vendredi 27 juillet 2018

UN CARDINAL CHILIEN ACCUSÉ D’AVOIR DISSIMULÉ UN SCANDALE DE PÉDOPHILIE


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L’ARCHEVÊQUE DE SANTIAGO, RICARDO EZZATI, LE 25 JUILLET, 
LORS D’UNE MESSE PERTURBÉE PAR DES CHILIENS PROTESTANT 
CONTRE LES SILENCES DE L’EGLISE DANS LES AFFAIRES 
DE PÉDOPHILIE QUI SECOUENT LE PAYS. 
PHOTO IVAN ALVARADO / REUTERS
Ricardo Ezzati, cardinal et archevêque de Santiago, est soupçonné d’avoir couvert des actes de pédophilie commis par des prêtres de son diocèse.
MGR CHARLES SCICLUNA (G.) ET JORDI BERTOMEU 
ONT ENQUÊTÉ SUR LES ABUS SEXUELS AU CHILI
 PHOTO ESTEBAN FELIX 
L’Église catholique est de nouveau dans la tourmente au Chili où, pour la première fois, un cardinal a été mis en accusation, le 25 juillet, pour avoir couvert des prêtres pédophiles.

Cité à témoigner devant la justice, le 21 août, Ricardo Ezzati, cardinal et archevêque de Santiago, a célébré, le 26 juillet, une messe dans la cathédrale de Santiago, au cours de laquelle de nombreux fidèles ont brandi des pancartes pour protester contre les abus sexuels commis par des prêtres de différentes congrégations.

Mgr Ezzati est soupçonné d’avoir couvert Oscar Muñoz, 56 ans, un curé accusé d’avoir abusé au moins sept mineurs entre 2002 et 2018, dans les villes de Santiago et Rancagua, au sud de la capitale. M. Muñoz a été placé en détention provisoire, le 12 juillet, pour six mois, en attendant que l’enquête judiciaire progresse. Il occupait des postes à responsabilités au sein de l’archevêché de Santiago, où il était notamment chargé de recevoir les déclarations de victimes d’abus sexuels commis par des prêtres.

« Secrets de Polichinelle »

Mgr Ezzati est également soupçonné d’avoir couvert Fernando Karadima, un prêtre octogénaire, ayant abusé de nombreux enfants et adultes. Ancien formateur charismatique de prêtres, Karadima a été reconnu coupable en 2011 par un tribunal du Vatican d’avoir commis des actes pédophiles dans les années 1980 et 1990. Il a été contraint de se retirer pour une vie de pénitence.

Au Chili, pour la première fois, la justice a dévoilé, le 23 juillet, des chiffres accablants. Au total, 158 personnes – évêques, prêtres mais aussi laïcs liés à l’Église – sont ou ont été visées par des enquêtes pour abus sexuels sur des mineurs et des adultes depuis les années 1960. Si la plupart des ces dossiers ont été classés au fil du temps après une condamnation, un classement sans suite ou un non-lieu, 36 enquêtes sont toujours en cours, a indiqué le procureur général Luis Torres, lors d’une conférence de presse à Santiago.

Depuis 1960, le parquet général a recensé 266 victimes, dont 178 étaient mineures. « Dans leur grande majorité, les faits dénoncés correspondent à des agressions sexuelles commises par des curés de paroisses ou des personnes liés à des établissements scolaires », a précisé le procureur Torres.

Ces données incluent des auteurs présumés qui faisaient partie du clergé au moment des faits, dont des évêques, des prêtres ou des diacres, mais aussi des moines. En outre sont visés une dizaine de « laïcs qui exerçaient une fonction dans la communauté de l’Église », tels que des coordinateurs dans des établissements scolaires religieux.

Pour les associations de défense des victimes, il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. « Le travail qu’est en train de réaliser le parquet est sans aucun doute quelque chose de très positif et il commence à mettre en lumière des cas qui étaient des secrets de Polichinelle », a déclaré à l’AFP Juan Carlos Claret, porte-parole de l’Association des laïcs d’Osorno (sud).

« Nous n’avons pas su écouter »

Dans le cadre de l’énorme scandale de pédophilie qui ébranle le clergé chilien, l’ensemble de la hiérarchie ecclésiale du pays – soit 34 évêques – avait présenté le 18 mai sa démission au pape, une démarche inédite. Le souverain pontife a jusqu’à présent accepté la démission de cinq évêques, dont celle du très controversé monseigneur Juan Barros, soupçonné d’avoir caché les actes de pédophilie, dans les années 1980 et 1990, de Fernando Karadima, mais qui nie toute responsabilité. Au cours des derniers mois, le pape a reçu plusieurs victimes de M. Karadima au Vatican.

Devenu le symbole de la crise de l’Église chilienne, Mgr Barros a démissionné début juin, après une marche arrière spectaculaire du pape par rapport à son voyage au Chili, en janvier, quand le souverain pontife l’avait défendu avec force, dénonçant des « calomnies » à son encontre. L’opinion publique avait été scandalisée par l’omniprésence de Mgr Barros dans les messes célébrées par François.

Le souverain pontife avait lui-même nommé cet évêque dans le diocèse d’Osorno en janvier 2015, malgré les réserves formulées à l’époque par des experts de la commission vaticane de protection des mineurs.

Par la suite, le pape avait reconnu de « graves erreurs » de jugement, à la lecture, en avril, des conclusions de 2 300 pages d’enquête, dont 64 témoignages recueillis au Chili et aux Etats-Unis. Il avait parlé d’un « manque d’informations véridiques et équilibrées ». « Honteusement, je dois dire que nous n’avons pas su écouter et réagir à temps » aux scandales d’abus sexuels au sein de l’Église chilienne, avait-il reconnu, le 31 mai, dans une lettre de mea culpa adressée aux Chiliens.



Un autre scandale a éclaté le 24 juillet. Au cours d’une émission de la chaîne de télévision chilienne TVN, 23 anciennes religieuses ont dénoncé avoir été victimes, « pendant des années », d’abus de la part de prêtres au sein de la congrégation des « sœurs du bon samaritain » dans la région de Maule, au sud de Santiago. Elles affirment avoir été expulsées de leur couvent. Elles ont précisé avoir parlé en janvier devant l’archevêque de Malte, Charles Scicluna, envoyé par le pape pour écouter les victimes d’abus au sein de l’Église chilienne, mais affirment n’avoir pas reçu, jusqu’à présent, de réponse officielle du Vatican.