vendredi 3 juillet 2009

Le Chili investit son magot dans la relance


Il y a quelques années, à l’époque du boom des matières premières, le ministre des Finances chilien, Andrés Velasco, jouait les rabat-joie. Alors que le Chili, premier producteur mondial de cuivre, profitait à plein du quadruplement du prix de ce métal, Velasco s’entêtait à mettre de côté une grande partie de la manne en prévision des mauvais jours. A mesure que l’épargne gonflait, dépassant 20 milliards de dollars (soit 15 % du PIB), la pression montait pour qu’il casse la tirelire. Mais le ministre a tenu bon, malgré la chute de popularité du gouvernement de centre gauche. L’histoire de l’Amérique latine, disait-il, était remplie de “booms mal gérés qui se sont mal terminés”.

Aujourd’hui, Velasco fait figure de prophète. Grâce à sa gestion prudente, le Chili est en bonne position pour sortir de la récession qui frappe la planète. Ses mesures préventives ont évité à l’Etat de dépenser un seul peso pour sauver des banques. Comme le Chili a remboursé sa dette étrangère durant les années de prospérité, les comptes de la nation sont désormais positifs : en mars, l’agence de notation financière Moody’s a relevé sa note de solva bilité. Maintenant, le gouvernement transfère une partie de l’argent du cuivre dans un plan massif de relance, l’un des plus importants au monde relativement à la taille de l’économie nationale, équivalant à 2,8 % du produit intérieur brut. (A titre de comparaison, le plan de relance mis en place par Washington équivaut à 2 % du PIB américain.) Aussi les économistes ne prévoient-ils qu’un très léger recul de 0,5 % de l’activité cette année, bien moins que dans d’autres pays.

Les plus pauvres ont touché une allocation de l’état

En mars, 1,7 million de familles parmi les plus pauvres du pays, soit 40 % de la population, ont reçu une allocation de l’Etat. Juan Carlos Huaiquimil, un marchand de sodas ambulant , en a bénéficié. La somme, équivalant à 50 euros, est un don du Ciel, se réjouit-il, et lui a permis d’acheter des four nitures scolaires et les uniformes d’écolier de ses trois enfants. Le gouvernement vient d’annoncer un nouveau versement en août. “Combien d’autres pays au monde peuvent-ils se permettre de distribuer de l’argent par les temps qui courent ?” demande Huaiquimil.

Lorsque Andrés Velasco a quitté sa chaire de professeur d’économie à l’université Harvard pour devenir le ministre des Finances de Michelle Bachelet, en 2006, les prix du cuivre volaient de record en record. Pour un responsable politique, ce genre de situation est un véritable champ de mines. En période de hausse des prix des matières premières, explique le ministre, “un pays paraît très solvable, tout le monde veut lui prêter de l’argent, les capitaux affluent et la consommation explose”. Mais c’est durant ces périodes que les bulles se forment facilement dans l’immobilier, le système bancaire et les dépenses de consommation, met-il en garde. Par ailleurs, les revenus en dollars générés par la vente des matières premières peuvent renforcer excessivement la monnaie, ce qui rogne la compétitivité des exportations manufacturières. En cas de chute des prix des matières premières, tous ces facteurs accroissent la vulnérabilité de l’économie face à une crise, comme le Chili l’a appris à ses dépens au début des années 1980.

Pour éviter que l’histoire ne se répète, Velasco a fait passer en 2006 une loi selon laquelle le budget annuel de l’Etat doit être fondé sur le prix moyen du cuivre dans les dix années à venir – estimé par une commission indépendante –, et non sur le prix actuel du marché. Lorsque les revenus du cuivre dépassent le montant budgété, l’excédent est versé sur un fonds de stabilisation économique et sociale, investi à l’étranger. En 2007, le prix du cuivre pris en compte pour préparer le budget était de 1,21 dollar la livre, alors que le prix réel de marché s’est en fait établi à 3,23 dollars. La différence – soit quelque 6 milliards de dollars – est allée dans ce fonds, investi prudemment en obligations d’Etat ou en instruments du marché monétaire libellés en dollars, en euros et en yens. “C’est exactement ce que fait n’importe quel chef de famille, commente Velasco. Si vous avez une rentrée d’argent inattendue, vous vous demandez : ‘Est-ce que cela se reproduira l’année prochaine ?’ Dans la négative, vous vous dites : ‘Bon, il faut que j’en mette une partie de côté.’”

Mais, selon un sondage effectué en mai 2006, les deux tiers des Chiliens ne souhaitaient pas que l’Etat épargne l’argent du cuivre ; ils voulaient qu’il le dépense. Le gouvernement de Mme Bachelet a alors augmenté les dépenses publiques de 8 % en rythme annuel, étendu la couverture retraite et amélioré le système de garde des enfants. Cela n’a toutefois pas suffi à répondre aux attentes grandissantes de la population. Quelques semaines plus tard, des dizaines de milliers de lycéens réclamant la gratuité des transports scolaires et une réforme de l’éducation sont descendus dans la rue pour par ticiper à ce que l’on a appelé la “Mar che des pingouins”, à cause de leur uniforme blanc et noir. En août 2007, l’un des principaux syndicats du pays a lancé un appel à la grève générale, après avoir accusé Velasco de “déclarer la guerre” aux travailleurs en résistant à leurs revendications salariales. Les manifestations organisées lors de la grève ont dégénéré en affrontements avec la police, qui a procédé à des centaines d’interpellations. A l’époque, la politique de Velasco était critiquée au sein même de sa coalition, où l’on craignait qu’elle ne conduise à une déroute électorale. “Allons-nous céder à la droite un Etat riche de 20 ou 30 milliards de dollars ?” fulminait le sénateur Eduardo Frei, qui fut président dans les années 1990. “C’est de la folie !”

Des investissements massifs dans les infrastructures

Matt Moffett | The Wall Street Journal