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« BATAILLE DE TACNA 26 MAI 1880 » 'LE MONDE ILLUSTRE' N° 1220 |
Toutes les négociations, entreprises à différentes périodes, ayant échoué, en 2013, la Bolivie a déposé un recours devant la Cour Internationale de La Haye pour qu'elle oblige le Chili à commencer des négociations sérieuses afin de trouver une solution.
Historiquement le Chili
s'est senti supérieur à sa voisine du nord-est de sorte que le
problème de l'insularité bolivienne n'a pas été traité de
manière sérieuse par les autorités chiliennes. Étant donné le
volume énorme de textes juridiques auxquels se référer, il semble
paradoxal que le Chili n'ait pas, jusqu'à maintenant, été capable
de résoudre ce différend en satisfaisant toutes les parties.
La diplomatie chilienne
n'a pas non plus été à la hauteur des exigences de la situation.
Dès que la revendication bolivienne s'est faite insistante, le Chili
a systématiquement développé des raisonnements qui ressemblaient
plus à des fruits de l'improvisation et à force d'être répétés,
à des mantras invocatoires, qu'à de véritables argumentaires.
Tout d'abord, et pendant
des années, les Chiliens ont proclamé qu'il s'agissait d'une
question exclusivement bilatérale. Or, toute négociation incluant
les territoires du nord du Chili - anciennes possessions du Pérou -
doit compter avec son aval. La question n'est donc évidemment pas
exclusivement bilatérale. D'ailleurs, la solution d'un corridor
accolé à la frontière péruvienne n'a pu voir le jour en 1978 car
le Pérou s'y est opposé.
Ensuite la chancellerie
chilienne n'a cessé de répéter que les accords et les traités
sont intangibles et qu'ils sont signés une fois pour toutes. Une
« fin de l'histoire » à la chilienne en quelque sorte.
Là non plus la position chilienne ne tient pas la route. Les
protocoles, accords et traités sur la question, entre les deux pays,
sont nombreux (une liste sommaire pourrait inclure ceux de 1866,
1874, 1895 et 1904), chacun remplaçant, ou complétant, le
précédent.
Enfin, les responsables
chiliens ont répété sans cesse qu'il n'y avait plus de problème
avec la Bolivie, car le Chili lui garantissait, selon l'accord de 1904, un accès permanent aux côtes chiliennes. Ils oublient de
rappeler dans quelles conditions d'infériorité la Bolivie a du
négocier ce traité et que l'accès aux ports
chiliens des marchandises boliviennes est loin d'être garanti. Le
trafic sur la ligne ferroviaire entre Arica et La Paz est en effet
interrompu depuis 1997. Et il a suffi d'une grève des dockers
chiliens, dans les ports privatisés par les politiques néolibérales
menées jusqu'à maintenant, pour que la « garantie »
chilienne soit suspendue comme ce fut le cas en décembre 2013. Et
c'est sans parler de l'interdiction pure et simple de faire transiter
des armes dans les années 1932-1935 ou de l'embargo sur les
marchandises dans les années 1952-1953, interdiction et
embargo décrétés par les autorités chiliennes.
Ainsi insidieusement, les
allégations chiliennes se sont disqualifiées d'elles-mêmes, aux
yeux de tous, laissant le champ libre aux raisonnements de la Bolivie
et, de fait, la stratégie bolivienne consistant à promouvoir sa
position dans le concert des nations, n'a cessé de récolter des
fruits (1).
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BATAILLE NAVALE D'IQUIQUE, LE HUÁSCAR ENGAGE LA ESMERALDA. COMBAT NAVAL D'IQUIQUE, HUILE SUR TOILE DE THOMAS SOMERSCALES, XIXE SIÈCLE |
La situation chilienne
Il faut chercher les
raisons de traiter cette affaire avec une telle désinvolture dans
l’idiosyncrasie de la nation. Le Chili est convaincu que le recours
argumentaire ultime pour régler ce différend reste la force. En
effet, les forces armées chiliennes se placent en troisième
position en Amérique Latine de par leur puissance, leur taille et
leur budget (celui-ci étant équivalent à ceux de l'Argentine et du
Pérou réunis), derrière le Brésil et le Mexique, pays bien plus
peuplés et économiquement plus importants (2). Elles sont marquées
par le nationalisme, le chauvinisme et l'anticommunisme, dont la
dictature de Pinochet les a imprégnées depuis 1973 en adoptant la
Doctrine de Sécurité Nationale, forgée dans les académies de
guerre des États-Unis.
Dans les casernes
chiliennes on enseignait que, outre les marxistes, les trois pays
limitrophes du sous-continent (le Chili possède aussi une frontière,
bien qu'éloignée, avec la France, grâce à l'île de Pâques, à
travers la Polynésie (3)), sont des ennemis qu'il faut éliminer
(4). C'est cette doctrine léguée par la dictature civilo-militaire
de Pinochet qui domine encore aujourd'hui.
L'importance que le Chili
accorde à la force est historique et le blason à lui seul est
révélateur de celle-ci dans l'imaginaire chilien : « Par
la raison ou par la force ». L'armée chilienne se plaît à
répéter qu'« elle est une armée victorieuse, jamais
vaincue ». Cependant la plupart de ses batailles, elle les a
gagnées contre les habitants de son propre pays. Malheureusement,
l'histoire chilienne est jalonnée de grands bouleversements internes
provoqués plutôt par la force que par la raison, et assortis de
tous leurs cortèges de massacres perpétrés par les forces armées.
Pour ne signaler que les plus importants : 1884 (pacification de
l'Araucanie), 1891 (chute et suicide de Balmaceda), 1907 (massacre de
Santa-Maria de Iquique) et 1973 (coup d’État contre Allende).
La récente déclaration
de l'ex-ministre de la défense, Jaime Ravinet, ripostant après le
rejet de la demande chilienne par la cour de La Haye (5), dans
laquelle il provoquait la Bolivie et la mettait au défi de venir
retrouver une issue vers la mer les armes à la main, prouve dans
quel domaine la réaction chilienne est encore le plus à l'aise (6).
Les raisons boliviennes et les défis
à surmonter
Le plan en 13 points
signé par les deux pays au cours du premier mandat de M. Bachelet
(2006-2010) et qui comprenait une solution à l'insularité de la
Bolivie, a vu repousser ses aspirations par la décision du président
de droite, Sebastian Piñera, en 2010.
Le gouvernement bolivien,
déçu de voir ses demandes rejetées, a alors pris la décision de
faire appel au Tribunal de La Haye, sans tenir compte, peut être, de
la dynamique difficile que vit le Chili depuis 1973. En effet, la
dictature de Pinochet, qui s'est prolongée pendant dix-sept ans, a
profondément modifié la mentalité chilienne en inoculant dans
l'imaginaire populaire les « valeurs » très rétrogrades
d'individualisme et de chauvinisme. Jusqu'à présent ce sont ces
idées qui prédominent dans la société chilienne. Les commentaires
insolites, négatifs et agressifs, diffusés par les réseaux
sociaux, au sujet de l'inauguration, par une mairie communiste, d'une
pharmacie qui distribue des médicaments à prix d'usine au bénéfice
de tous, corroborent l'existence d'une position idéologique
extrémiste et bornée, en dépit du bon sens, au sein de la
population (7).
Le recours fait au
Tribunal de La Haye et la campagne de promotion internationale
bolivienne ont eu deux effets. Le premier, positif : l'appui
international à la position bolivienne n'a cessé de grandir,
additionnant des soutiens venus de tous les horizons. L'autre,
négatif : mises à part les positions solidaires, mais
minoritaires envers les aspirations boliviennes au sein de la société
chilienne, la grande majorité des Chiliens s'est repliée dans le
chauvinisme et la xénophobie face à ce qu'ils considèrent comme
une agression.
La vague chauviniste qui
a déferlé après la décision du Tribunal de La Haye le 24
septembre 2015 de se déclarer compétent pour statuer sur ce
différend, rejetant ainsi la réclamation chilienne, montre l'état
d'esprit de la population (8).
Les changements de
mentalité seront forcément très lents et devront être accompagnés
de transformations des institutions et de la législation qui
régissent la vie des Chiliens.
Les conditions et perspectives de
solution
La dernière bataille de
la Bolivie pour retrouver une issue souveraine vers l'océan
Pacifique a déjà commencé. Elle ne se déroulera pas sur le
terrain des armes mais bien sur les terrains juridique, diplomatique
et politique où la Bolivie est largement mieux placée. Ce conflit
ne sera pas réglé, comme l'arborent les armoiries chiliennes, par
la force, mais bien par la raison, et uniquement par elle.
La condition préalable
au règlement de ce différend est une transformation de mentalité
de la grande majorité du peuple chilien, un passage plus ou moins
rapide, de valeurs individualistes à une conscience plus généreuse,
responsable et collective, au-delà de la vie interne du pays.
Malheureusement les évolutions de mentalités ne se décrètent pas.
Et il semblerait qu'au Chili ce processus menant à une prise de
conscience de l'intérêt commun à mettre un terme à une querelle
entre pays voisins, soit facilité par une démarche parallèle
consistant au démontage de l'armature pinochetiste toujours en
vigueur, ce qui requiert du temps, contrairement au souhait de
nombreux citoyens.
Tous
ceux qui œuvrent pour soustraire le pays à l'hégémonie
réactionnaire imposée par Pinochet agissent dans le bon sens et
pour le moment, les plus grandes transformations dans les
institutions pinochetistes ne sont venues et ne
peuvent venir dans un futur proche que du gouvernement de la
Nouvelle Majorité, s'appuyant sur les revendications sociales.
Donc s'en prendre au
gouvernement chilien sous prétexte qu'il n'avance pas assez vite,
relève de la précipitation, de l’impatience et d'une
incompréhension de la dynamique en cours.
Par ailleurs, la
polémique, souvent contre-productive, et d'où
qu'elle vienne, ne peut créer une ambiance favorable à la
compréhension et par conséquent à une solution du litige. Depuis
2013, date de la saisine de La Haye, la guérilla faite de
déclarations des deux parties n'a jamais faibli. Dans
l'état actuel des choses elle pourrait bien desservir la cause
bolivienne.
J.C. Cartagena et Nadine Briatte
NOTES
(3) À ce propos une
anecdote savoureuse : « En 1990 et en 1991 la France émet des timbres commémorant les exploits de la colonisation des îles du
Pacifique par les polynésiens. Le libellé "Polynésie
française" accompagnant des illustrations de l'île de Pâques
sur les dits timbres porte à quiproquo et le Chili proteste
contre ce qu'il considère comme une tentative d'hégémonie sur
l'île de Pâques de la part de la France ».
(5) La demande du Chili,
à la cour de La Haye, de se déclarer incompétente pour statuer sur
ce litige a été rejetée par le tribunal le 24 septembre 2015.