L’histoire a parfois la mémoire courte, et dans la plupart des pays du monde, lorsque est évoquée la date du 11 septembre, ce sont aussitôt les images des avions se fracassant contre les tours du World Trade Center qui viennent à l’esprit. Pour le peuple chilien, le 11 septembre est une date imprimée au fer rouge dans la conscience collective. Il s’agit du 11 septembre 1973, jour où un coup d’État militaire a renversé le gouvernement démocratique de Salvador Allende et a instauré, avec le général Augusto Pinochet à sa tête, un régime dictatorial.par José Maldavsky
Le film Salvador Allende (1), du cinéaste chilien Patricio Guzmán, est un récit romantique, très personnel sur, dit-il, « l’homme qui a marqué ma vie». Trente ans après l’instauration de la terreur, Guzmán, jeune cinéaste à l’époque du gouvernement de l’Unité populaire (1970-1973) (2), confie : « Je ne serais pas ce que je suis, si Allende n’avait pas incarné l’utopie d’un monde plus juste et plus libre. » Son Salvador Allende n’est pas une simple biographie, où nous suivons le protagoniste de l’histoire pendant les différentes étapes de sa vie. C’est aussi et avant tout un poème qui sort des tripes de l’artiste pour rendre hommage à « Salvador Allende, cet homme atypique, révolutionnaire et fanatique de démocratie jusqu’au suicide ».
Paradoxalement, souligne avec finesse l’ancien dirigeant communiste chilien Volodia Teitelboim, « on parle peu d’Allende parce que ce serait comme brutaliser les consciences. Il a rompu avec le style habituel. Je crois qu’il faut absolument le réhabiliter en préservant son image éthique et morale. (...) Il est présenté comme un rêveur. Il continue à être bâillonné... »
Au moment où l’humanité tout entière subit le contrôle sans contrepoids d’une seule puissance, les États-Unis d’Amérique, la conspiration de Washington contre le gouvernement de Salvador Allende, dénoncée sans ambiguïté dans le film par Edward Korry, l’ancien ambassadeur de Richard Nixon au Chili à l’époque du putsch, donne des frissons dans le dos par « sa cruelle actualité ».
Cette même « cruelle actualité » nous frappe aussi dans Saccage : Argentine, le hold-up du siècle (3), film dans lequel l’Argentin Fernando E. Solanas fait l’analyse approfondie du mécanisme qui a conduit ce pays à la catastrophe économique et sociale et à la résistance d’un peuple qui s’est révolté avec courage pour ouvrir une nouvelle route vers la dignité.
Avec le bistouri d’un chirurgien, Solanas décortique sans complaisance « l’ultralibéralisme éhonté, la spoliation des biens de l’État, l’explosion de la dette extérieure, la corruption politico-financière, avec l’aide de multinationales et sous l’œil des institutions internationales ». Il dénonce la façon dont un pays riche comme l’Argentine a été mené au cataclysme de la famine, des maladies et de vies humaines sacrifiées pour satisfaire 10 % de privilégiés qui ont participé au « saccage » pendant vingt-cinq ans, de la dictature militaire jusqu’à aujourd’hui.
C’est un médecin de l’hôpital de Tucumán qui résume en toute simplicité le prix de la politique d’austérité appliquée par les différents gouvernements lorsqu’il affirme que « chaque plan d’austérité, c’était un coup de poignard pour les médecins, parce qu’on savait que six mois après les enfants des bidonvilles n’allaient pas manger et qu’on allait les accueillir chez nous. C’est pour ça qu’on a écrit ce texte qui dit : “d’autres prennent les décisions, nous, nous les voyons mourir” ».
Au-delà de la dénonciation de la terreur et de la violence déclenchées par la dictature de l’argent au Chili et en Argentine, ce qui indigne davantage dans Salvador Allende et Saccage, c’est l’impunité des responsables des crimes commis au nom de l’ultralibéralisme. Augusto Pinochet le Chilien et Carlos Menem l’Argentin coulent des jours heureux en toute tranquillité, quand tous deux méritent de comparaître devant le tribunal de l’Histoire... et la justice humaine.
José Maldavsky
Journaliste, coauteur de Chili : 11 septembre 1973, Le Serpent à plumes - Arte éditions, Paris, 2003.
(1) Salvador Allende, de Patricio Guzmán, produit par JBA Production (France), en coproduction avec Les Films de la passerelle (Belgique), CV Films (Allemagne), Mediapro (Espagne), Université de Guadalajara (Mexique), P. Guzmán Producciones Cinematográficas S.L. Sortie nationale : 8 septembre 2004.
(2) L’Unité populaire : coalition de communistes, de socialistes, de radicaux et de chrétiens de gauche qui soutenait Salvador Allende.
(3) Saccage : Argentine, le hold-up du siècle, de Fernando Solanas, produit par Ciné Sur SA (Argentine), Thelma AG (Suisse), ADR Production (France). Sortie nationale : 29 septembre 2004.