samedi 23 septembre 2017

ARGENTINE. CRI DE GUERRE MAPUCHE CONTRE BENETTON


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FACUNDO JONES HUALA 
Lui se définit comme un combattant de la liberté. Il est le chef coutumier des Mapuches, le dernier représentant d’une lignée indigène qui, du début du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe, dominait la Patagonie avant d’en être expulsée par les Argentins [lors de la tristement célèbre Conquête du désert, campagne militaire sanglante lancée entre 1878 et 1885]. La terre mapuche s’étirait de la côte atlantique aux confins du Pacifique en un long sillon ininterrompu.

Depuis deux ans, avec une communauté réduite à quelques milliers d’individus, ce jeune guerrier mène une lutte qui semblait impossible, archaïque, déconnectée des dynamiques politiques et économiques qui régissent les équilibres dans les États modernes. Mais la présence du groupe Benetton sur un territoire de 900 000 hectares où paissent quelque 100 000 brebis fournissant 10 % de la précieuse laine avec laquelle sont fabriqués les vêtements de la célèbre marque de prêt-à-porter de Trévise [en Italie] a mis le feu aux poudres et provoqué un affrontement qui couvait depuis au moins un siècle.

Un peuple de la terre en colère

La lutte des Mapuches, commencée il y a trois ans, presque en sourdine, par de petites revendications aussitôt rejetées par d’éphémères concessions et des décrets judiciaires, s’est très rapidement transformée en guérilla. Deux cents indigènes ont occupé une parcelle de la propriété des Benetton, acquise en 1991, et s’y sont installés en créant des campements.

Ainsi renaissait de ses cendres une civilisation qui avait été expulsée manu militari, reléguée dans quelques réserves que le gouvernement argentin avait destinées aux descendants des Mapuches, dont le nom signifie “le peuple de la terre”.

L’occupation a ravivé des espoirs jamais éteints et ranimé des sentiments que l’on croyait disparus. Des dizaines de familles, avec leurs anciens et leurs enfants, ont fini par essaimer, comme une tache de léopard, dans d’autres parties du domaine Benetton.

Carlo, le benjamin de la famille d’industriels textiles, prend alors l’affaire en main. C’est lui qui s’occupe de cette branche de l’exploitation. Il se rend en Patagonie plusieurs fois par an. Dans un premier temps, il tente de régler le litige par la conciliation. Il trouve un médiateur en la personne de Ronald McDonald, un Écossais coriace arrivé enfant en Patagonie. C’est un type dur, qui n’est pas du genre à prendre des gants. Il connaît cette terre, sait faire face aux imprévus. Il gère l’immense propriété et commente :
« Ils me semblent totalement irréalistes. C’est comme si aujourd’hui j’allais à Inverness, en Écosse, revendiquer la terre de mes ancêtres. C’est ridicule. »
Les Mapuches résistent. Il commettent de petits attentats, allument quelques incendies, dispersent les troupeaux, préparent des défenses artisanales. Armés de lances et de fusils, montés à cru sur leurs chevaux, ils patrouillent les terres reconquises.

Les errements des autorités argentines

Benetton cherche alors des recours légaux et se tourne vers la justice argentine. Il affirme, carte en main, que ces indigènes sont arrivés du Chili et que c’est donc au Chili de s’en occuper. L’Argentine lui donne raison, car elle ne veut pas d’autres problèmes. Mais elle joue la montre. Elle est en effet contrainte par un article de sa Constitution nationale qui reconnaît aux Mapuches la propriété de cette terre qu’ils occupaient traditionnellement. Elle envoie des détachements de police, traitant l’affaire comme un problème d’ordre public. Mais elle se heurte à une résistance inattendue.

Pour ne rien arranger, l’affaire prend un retentissement national. Les ONG et associations de défense des indigènes se sont mobilisées. La question est en effet très sensible en Amérique latine. Les sabotages se poursuivent et Benetton est dans l’œil du cyclone. Les affrontements redoublent d’intensité. Dans les villes de Bariloche, Esquel et El Bolsón [provinces de Río Negro et de Chubut], de féroces batailles opposent les militants aux forces de l’ordre. Il y a des arrestations et on compte plusieurs blessés.

Puis un sympathisant, [supposément] embarqué par les gendarmes, disparaît. Il s’appelle Santiago Maldonado et il a 28 ans. Il vivait à El Bolsón, avec une communauté d’indigènes. Sa disparition est dénoncée haut et fort, faisant ressurgir le spectre des méthodes brutales de la dictature argentine [1976-1983]. Le cas des Mapuches acquiert une dimension internationale.
Pour éteindre l’incendie, il ne reste plus qu’à frapper le mouvement à sa tête [estiment les autorités argentines]. Privé de son leader, il ne tiendra pas longtemps. Fin juin 2017, le chef Huala, passé dans la clandestinité, est capturé et incarcéré à la prison d’Esquel, à 1 800 kilomètres au sud de Buenos Aires, dans l’attente de son extradition au Chili. Les militants accentuent la pression en multipliant les manifestations et le mouvement prend de l’ampleur. Une vingtaine d’hommes, le visage dissimulé sous des écharpes et des passe-montagnes, saccagent la maison de la province de Chubut [à Buenos Aires], laissant derrière eux des paquets de tracts signés de la Résistance ancestrale mapuche (RAM).

Depuis sa cellule, Facundo Jones Huala donne des interviews à la presse. “Nous en avons assez de l’oppression, du vol de nos terres, déclare-t-il. Nous en avons assez de nous faire massacrer et arrêter quand bon leur semble. Mon cri de résistance a fait naître un nouvel espoir chez les gens qui ont commencé à récupérer ce qui a appartenu à nos ancêtres.

Et devant la prison, une pancarte bien en vue clame : “Le Paradis perdu ne peut plus attendre.”

Daniele Mastrogiacomo
Un gênant mystère

«  OU EST-IL? »
Où est Santiago Maldonado ?” s’interroge encore et toujours, à l’instar de toute la presse, le quotidien Página12. Le jeune artisan au look baba cool a disparu le 1er août après une intervention musclée de la police dans le campement mapuche de plein air, baptisé Pu Lof .

Ce jour-là, l’incursion des gendarmes sur le campement disperse les militants et des témoins assurent qu’ils ont vu Santiago Maldonado se diriger vers la rivière avant d’être supposément rattrapé par les forces de l’ordre et introduit de force dans une camionnette.

Après être d’abord resté “silencieux, avant d’évoquer des hypothèses inconsistantes et de soulever des doutes” à l’encontre des Mapuches eux-mêmes, souligne le journal Perfil, le gouvernement prend finalement la mesure de l’opprobre qu’il allait s’attirer, et fait diligenter une enquête plus poussée sur la gendarmerie. Le 12 septembre, le quotidien Clarín rapporte la confession d’un gendarme admettant pour la première fois depuis un mois et demi “qu’il avait agressé un manifestant en capuche” avec une pierre. L’Argentine est suspendue au douloureux mystère de cette disparition qui fait ressurgir les souvenirs du temps des dictatures (1976-1983).