samedi 16 septembre 2017

CHILI : DIVISIONS SUR LA PROTECTION DE L'IDENTITÉ DES VICTIMES DE LA DICTATURE


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PRÈS DE 1 200 DOSSIERS RESTAIENT OUVERTS 
 EN 2016 POUR CRIME CONTRE L'HUMANITÉ. 
 PHOTO FERNANDO LAVOZ
Michelle Bachelet tente d'accélérer les procès des bourreaux de la dictature chilienne, mise en place en 1973. Cet anonymat a permis de récolter de nombreux témoignages.
UN ENFANT PASSE DEVANT DES 
PHOTOS DE LA PÉRIODE DE LA 
DICTATURE DE PINOCHET EXPOSÉES 
DANS LE STADE NATIONAL DE 
SANTIAGO, LE 10 FÉVRIER 2015 
PHOTO  MARTIN BERNETTI 
Le Chili reste traumatisé par la dictature mise en place après le coup d'État du 11 septembre 1973. Le renversement du président socialiste Salvador Allende par le général Pinochet a marqué le début d'une période sombre de l'histoire chilienne qui aujourd'hui fait encore débat. En effet, aujourd'hui, le pays est divisé sur la question du secret de l'identité des personnes torturées pendant la dictature. La présidente Michelle Bachelet souhaite lever la protection de l'identité de ces personnes dans le but d'accélérer les procès des bourreaux.

Brûlures des parties génitales, électrocutions, viols par des animaux : c'est justement cet anonymat, prévu pour une durée de 50 ans, qui a fait que nombre de victimes ont osé raconter en 2003 les sévices endurés à la Commission sur la prison politique et la torture, baptisée Commission Valech. Cette entité, mise en place par le président de l'époque Ricardo Lagos (2000-2006), a entendu 35 000 personnes et établi que près de 28 000 Chiliens avaient été torturés sous le régime militaire, un des plus durs d'Amérique latine.

1 184 dossiers pour crime contre l'humanité

Ces témoignages ont été compilés dans un rapport secret remis à Ricardo Lagos à l'occasion du 30e anniversaire du coup d'État du 11 septembre 1973. Ils ont servi de base à la rédaction d'un volet public, où les noms ne figurent donc pas. Les mauvais souvenirs de cette page de l'histoire chilienne viennent d'être ravivés par la présidente Michelle Bachelet, elle-même torturée, et sa volonté d'accélérer l'examen d'un projet de loi visant à lever le secret sur ces déclarations.

Il s'agit, pour la dirigeante socialiste, de donner accès à la justice aux documents et témoignages fournis à l'époque à la commission, afin de faire avancer « des procès qui peuvent être aujourd'hui paralysés, et de participer concrètement à l'obtention de la vérité », a déclaré lundi la chef de l'État socialiste, lors de la commémoration du 44ème anniversaire du putsch du général Pinochet. Elle souhaite suivre l'exemple de la Commission Rettig qui, en 1991, un an après la fin du régime militaire (1973-1990), avait établi les circonstances de la mort ou de la disparition de 3 197 personnes, ouvrant la voie à des enquêtes et à des procès.

Toutes procédures confondues, en juillet 2016, la justice chilienne conservait ouverts 1 184 dossiers pour crime contre l'humanité, tandis que jusqu'en 2015, 344 anciens agents de la dictature étaient en train de purger leur peine, selon un rapport de l'université Diego Portales. « Personne n'aime rendre publiques les humiliations subies », a déclaré l'ex-président Ricardo Lagos, ouvertement opposé à cette initiative. Outre les indemnités versées aux victimes, la Commission Valech avait prévu de conserver l'anonymat de ces témoignages pendant 30 ans. Mais le sujet était tellement sensible que le président Lagos avait porté ce délai à 50 ans, soit jusqu'en 2054.

Cacher les souvenirs douloureux

« Le but était de connaître la vérité et non pas de faire justice. Tous ceux qui venaient témoigner avaient la garantie que leurs déclarations resteraient confidentielles », a poursuivi Ricardo Lagos. Beaucoup de personnes, a ajouté l'ancien président, « ont témoigné [...] et ont ensuite demandé à ce que leurs déclarations soient effacées, car elles avaient peur ». Si la crainte de représailles s'est estompée avec les années, la honte de voir ses souffrances exposées sur la place publique et devant leurs proches a provoqué une levée de boucliers.

Le témoignage rapporté par l'ex-président Lagos illustre cet embarras. Alors que la Commission Valech était sur le point de conclure ses travaux, une femme, qui avait été régulièrement violée par ses tortionnaires alors qu'elle n'était âgée que de 15 ans, s'était approchée de lui. « J'espère être encore en vie à 80 ans et je ne veux pas que, moi vivante, mes petits-enfants puissent découvrir les atrocités dont a été victime leur grand-mère », a-t-il raconté. Protégés par l'anonymat, nombre de prisonniers du régime ont avoué avoir dénoncé leurs propres camarades sous la torture, argumente également Ricardo Lagos.