mardi 11 mars 2008

La junte chilienne pour la première fois en procès en mai à Paris


"C'est sans doute le seul procès qui jugera les faits qui se sont déroulés au Chili" après le coup d'Etat de septembre 1973 jusqu'en 1990, relevait-on mardi au parquet général de Paris, face à ce "dossier atypique".

Rappelant que les familles attendent justice depuis 35 ans, le parquet général souligne "sa volonté de tout faire pour que les parties civiles, y compris celles qui sont encore au Chili, puissent assister à ce procès, et pour que nous puissions retrouver des témoins et les faire venir à l'audience".

Le général Pinochet était le principal accusé du dossier judiciaire portant sur l'enlèvement et la disparition de quatre Français durant la dictature, responsable de plus de 2.000 assassinats et disparitions et d'actes de tortures sur 27.555 victimes.

Finalement, ce seront 15 proches de l'ancien dictateur, essentiellement des militaires, qui seront jugés par défaut durant une semaine.

Portraits de Manuel Contreras (g) fondateur de la Direction du renseignement national
et de Paul Schaefer, fondateur de la Colonie de la Dignité

Parmi eux, le général Manuel Contreras, fondateur de la Direction du renseignement national (Dina, police secrète) et Paul Schaefer, fondateur de la Colonie de la Dignité (Colonia Dignidad), vaste domaine situé dans la Cordillère des Andes où ont été séquestrés des opposants politiques.

Les accusés sont soupçonnés d'avoir participé à la disparition de quatre Français entre 1973 et 1975: Georges Klein, conseiller de Salvador Allende, arrêté après le suicide du président; l'ancien prêtre Etienne Pesle; deux membres du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), Alphonse Chanfreau et Jean-Yves Claudet-Fernandez.

"Il y a une forte probabilité pour qu'ils ne soient ni présents ni représentés" par un avocat, précise-t-on au parquet général. Dans cette hypothèse, la cour d'assises sera composée de trois magistrats professionnels. Dans le cas contraire, elle siégera dans sa formation complète, avec un jury populaire.

"Il est fâcheux que les présumés bourreaux chiliens maintiennent une stratégie de boycott et d'esquive. On aurait souhaité qu'ils affrontent leurs responsabilités", déplore Me William Bourdon, avocat de trois parties civiles au procès.

Le général Pinochet avait été mis en examen, par mandat d'arrêt international, pour "complicité de crimes, d'arrestations, de détentions et de séquestrations accompagnés de tortures ou d'actes de barbaries, en donnant des instructions pour les commettre".

Mais sa mort en décembre 2006 l'a soustrait à l'ensemble des poursuites qui le visaient, en France comme au Chili, entraînant des réactions de frustration à travers le monde et des critiques sur les lenteurs de la justice.

Cela ne l'empêchera pas d'être au coeur du procès d'assises. La juge d'instruction Sophie Clément a d'ailleurs maintenu dans son ordonnance de mise en accusation tous les éléments concernant la responsabilité de Pinochet dans les crimes de la junte.

"C'est une des plus grandes tragédies de l'Histoire contemporaire", rappelle Me Bourdon, en relevant "le caractère unique" de ce procès, où "les juges français vont juger pour l'humanité".

"Compte tenu de l'évident intérêt pour l'Histoire", il a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris afin que le procès soit filmé et enregistré, comme le furent ceux de Paul Touvier et Maurice Papon.