lundi 12 décembre 2011

AU CHILI, LES MANIFESTATIONS ESTUDIANTINES S’ÉTIOLENT APRÈS AVOIR OBTENU DES CONCESSIONS MINEURES

Réforme de l’Université chilienne, épisode III

Le mois de novembre a marqué l’apogée de ce large mouvement de grève lancé dès avril dernier, au moment où le gouvernement cherchait à faire voter le budget de l’éducation pour l’année 2012. Plus de 250 000 étudiants chiliens étaient alors mobilisés et en grève pour obtenir la satisfaction de revendications affichées depuis longtemps, que soit mis fin à la recherche de profit par les universités privées, l’accès gratuit à l’université, et l’augmentation de la part dévolue à l’État dans le financement de l’enseignement supérieur. En juin, plusieurs milliers de travailleurs avaient rejoint les étudiants pour soutenir leurs revendications. En août, une grève générale de deux jours avait démontré l’écho qu’elles rencontrent au sein de la population. Il avait pourtant fallu attendre la mi-septembre pour que le gouvernement entame le dialogue, et début novembre pour que les représentants des étudiants soient reçus au Sénat.

Ce mouvement est le troisième épisode d’un cycle de manifestations estudiantines commencé en 2006. Entre avril et juin, les plus grandes manifestations de l’histoire du pays avaient alors réuni plus de 600 000 personnes autour du thème de la réforme de l’enseignement supérieur. Les manifestants revendiquaient une refonte complète de la Loi sur l’Enseignement de 1990 et la gratuité des concours d’entrée à l’université. Il s’agissait de la première grande remise en cause de l’organisation de l’enseignement supérieur telle qu’elle avait été mise en place sous Pinochet. Le gouvernement de gauche avait alors pris quelques mesures symboliques, comme l’ouverture de cantines scolaires et la création d’un système de bus scolaires gratuits pour le collège et le lycée à destination des plus nécessiteux, et promis qu’une nouvelle Loi Générale sur l’enseignement viendrait remplacer la Loi de 1990. Le vote de cette nouvelle loi en 2008 allait décevoir grandement les attentes de la population, et provoquer pendant plusieurs semaines un nouveau cycle de manifestations, car nombre d’étudiants jugeaient que si la nouvelle loi apportait des améliorations pour les plus pauvres, elle ne remettait pas en cause la base même du système.

L’éducation selon Pinochet : un monde privatisé

Quelques années après qu’il eut pris le pouvoir, Augusto Pinochet mit fin à la gratuité de l’université en 1981. De plus, il a également décidé de procéder à la municipalisation des écoles primaires, chaque commune devant dès lors assurer le coût financier des écoles qu’elles accueillent, ce qui a eu pour conséquence de cesser d’orienter des fonds destinés à l’éducation vers les plus défavorisés. Depuis lors, environ 60% des élèves du primaire et du secondaire sont accueillis dans des établissements privés ou semi-privés. Au niveau universitaire, sont apparus une trentaine d’universités privées qui aujourd’hui reçoivent les deux tiers des étudiants. L’ironie du sort veut que ce soient les étudiants les plus pauvres, ceux provenant du système éducatif municipal et qui ont obtenu les notes les plus basses au test d’entrée à l’université, qui doivent se diriger vers ces universités privées. Aujourd’hui, 70% des universitaires chiliens doivent s’endetter pour étudier, et ils participent à 75% du financement de l’université tandis que la part de l’État ne s’élève qu’à 25%.

Cette année, suite au vaste mouvement de manifestation, le gouvernement chilien a donc décidé d’effectuer un effort supplémentaire pour le budget de l’éducation en l’augmentant de 10%, soit deux fois plus que la croissance du PNB de 2011. Un tel effort n’est pourtant pas nouveau, puisque le budget de l’éducation nationale a été multiplié par deux entre 2006 et 2011. Malgré tout la part du PNB consacrée à l’éducation n’est toujours que de 4,5%, loin des 7% recommandés par l’UNESCO. Le gouvernement a également décidé de doubler le nombre de bourses attribuées aux étudiants de première année, en les faisant passer à 128 000. Au total, 280 000 étudiants devraient recevoir une bourse en 2012. Le gouvernement a également annoncé la création d’un Conseil Supérieur de l’Education, aux objectifs et aux moyens encore flous. Enfin, il a été décidé de baisser les exigences de l’examen d’entrée à l’université, ce qui aura sans doute pour effet de permettre à plus d’étudiants des classes moyennes et populaires d’entrer dans un système qui accueille déjà plus d’étudiants que ne peut en accueillir le marché du travail.

On le voit, revenir d’un système très privatisé n’est pas chose aisée, et après cinq ans de manifestations, de grève, et de négociation avec le gouvernement, les étudiants sont encore loin d’avoir obtenu une réforme remettant en cause les présupposés mêmes du système, la « responsabilité » individuelle à travers la municipalisation de l’éducation primaire et la prépondérance d’un système privée cherchant à dégager des profits, dans un secteur qui aurait pu être une des voies de la réduction des inégalités dans le continent le plus inégalitaire du monde.