Cela a commencé par la veille du corps de Victor Jara, chanteur et militant communiste, l'une des premières victimes de la dictature. Jara faisait partie des quelques 600 personnes emprisonnées le 12 septembre 1973, dans le stade du Chili, à proximité du palais présidentiel de La Moneda. Pour leur majorité, ils s'étaient réfugiés dans l'Université technique, pour mener la résistance contre le coup d'Etat perpétré la veille par Augusto Pinochet, et défendre le gouvernement d'Unité populaire de Salvador Allende.
Reconnu par les officiers, Jara, qui était une idole des jeunes, a été le premier à être soumis à une série de tortures. Cinq jours plus tard, son corps était abandonné, méconnaissable, roué de coups et criblé de balles. Joan, sa femme, l'a enterré clandestinement dans une fosse du cimetière général de Santiago, accompagnée de deux personnes. En juin dernier, les restes du chanteur et dramaturge ont été exhumés, et envoyé à un laboratoire autrichien auteur d'une nouvelle technologie pour identifier les raisons de sa mort.
La veuve et ses deux filles apprennent ainsi la série de torture subies par Victor Jara, et les plus de trente balles logées dans son corps. Avant de le remettre en terre, elles ont décidé de lui offrir ce qui lui avait été refusé il y a trente-six ans, des funérailles publiques. Pendant trois jours, le corps a été veillé sur la place Brasil, dans le quartier à mes yeux le plus sympathique de Santiago, en tous cas le plus progressiste. Nulle lamentation, mais des chansons, des poésies déclamées et des danses folkloriques, avec, divine surprise, une affluence exceptionnelle de jeunes.
Samedi, ils étaient des milliers, un œillet rouge à la main, à accompagner le cercueil revêtu du poncho du chanteur. L'émotion faisait pleurer les cinquantenaires, qui se souviennent de chaque minute du coup d'Etat, et sourire les adolescents, né en pleine démocratie, mais qui se retrouvent plus dans la combativité du chanteur assassiné que dans l'individualisme de la société chilienne.
Lundi, un autre mort s'est invité sur la scène chilienne. Il s'agit d'Eduardo Frei, le père, le démocrate-chrétien qui a gouverné le Chili entre 1964 et 1970. Opposant de l'Unité populaire d'Allende, l'ex-président avait rapidement déchanté face au régime dictatorial de Pinochet. Au début des années 80, il se profile comme un adversaire notable du président, bénéficiant du respect de la population. Sans doute trop aux yeux des militaires.
En 1982, Eduardo Frei entre à la clinique pour se faire opérer d'une banale hernie. Il n'en sortira jamais. Selon la version officielle, Frei aurait été victime de complications chirurgicales, et succombé à une septicémie. La famille n'a jamais eu droit de connaître la vérité : l'autopsie a été organisée par les militaires, sans son autorisation. Ce n'est qu'une dizaine d'années plus tard qu'une investigation judiciaire est enfin ouverte, lorsqu'on apprend la mort, à Montevideo, d'Eugenio Berrios, le chimiste de la dictature. L'homme avait fui en Uruguay par crainte d'être éliminé par les hommes de Pinochet, car il en savait trop. On a retrouvé son corps sur une plage à proximité de Montevideo, avec deux balles dans le corps.
Ce lundi, un juge chilien a pour la première fois accepté la thèse de l'assassinat. « La mort de l'ancien président a été provoquée par l'introduction graduelle de substances toxiques non conventionnelles, par l'injection de produits pharmaceutiques non autorisés et par une succession d'anomalies qui ont été dissimulées et ont détérioré son système immunitaire", a déclaré le juge Alejandro Madrid. Il a ordonné la détention de six hommes, dont quatre médecins, un ancien chauffeur et un homme de confiance de la famille Frei. Un autre médecin est accusé de complicité pour avoir menti sur les résultats de l'autopsie.
L'annonce a fait l'effet d'une bombe. Car le fils de la victime, qui porte le même nom, Eduardo Frei, et qui est également ex-président (1994-2000) est un des principaux candidats de l'élection présidentielle de dimanche. La droite s'est d'ailleurs empressée de dénoncer la date choisie par le juge pour faire son annonce, sans grand succès. La justice est au Chili un corps qui commence à prendre son indépendance, sans doute l'un des plus respectés de la population.
Le candidat de la droite, Sebastian Pinera, a réagi rapidement, et de manière astucieuse en se solidarisant avec la famille et en exigeant que la vérité soit faite. Il souligne ainsi sa distance avec le pinochetisme - il avait voté non, en 1988, au référendum sur le maintien au pouvoir du général. Mais il heurte ainsi une partie de son électorat, qui continue à revendiquer haut et fort l'héritage du gouvernement militaire.
Il est peu probable que ces deux morts changent le cours d'une élection qui semble favorable à la droite. Ils ont au moins le mérite de rappeler aux Chiliens que la page est loin d'être tournée.
Reconnu par les officiers, Jara, qui était une idole des jeunes, a été le premier à être soumis à une série de tortures. Cinq jours plus tard, son corps était abandonné, méconnaissable, roué de coups et criblé de balles. Joan, sa femme, l'a enterré clandestinement dans une fosse du cimetière général de Santiago, accompagnée de deux personnes. En juin dernier, les restes du chanteur et dramaturge ont été exhumés, et envoyé à un laboratoire autrichien auteur d'une nouvelle technologie pour identifier les raisons de sa mort.
La veuve et ses deux filles apprennent ainsi la série de torture subies par Victor Jara, et les plus de trente balles logées dans son corps. Avant de le remettre en terre, elles ont décidé de lui offrir ce qui lui avait été refusé il y a trente-six ans, des funérailles publiques. Pendant trois jours, le corps a été veillé sur la place Brasil, dans le quartier à mes yeux le plus sympathique de Santiago, en tous cas le plus progressiste. Nulle lamentation, mais des chansons, des poésies déclamées et des danses folkloriques, avec, divine surprise, une affluence exceptionnelle de jeunes.
Samedi, ils étaient des milliers, un œillet rouge à la main, à accompagner le cercueil revêtu du poncho du chanteur. L'émotion faisait pleurer les cinquantenaires, qui se souviennent de chaque minute du coup d'Etat, et sourire les adolescents, né en pleine démocratie, mais qui se retrouvent plus dans la combativité du chanteur assassiné que dans l'individualisme de la société chilienne.
Lundi, un autre mort s'est invité sur la scène chilienne. Il s'agit d'Eduardo Frei, le père, le démocrate-chrétien qui a gouverné le Chili entre 1964 et 1970. Opposant de l'Unité populaire d'Allende, l'ex-président avait rapidement déchanté face au régime dictatorial de Pinochet. Au début des années 80, il se profile comme un adversaire notable du président, bénéficiant du respect de la population. Sans doute trop aux yeux des militaires.
En 1982, Eduardo Frei entre à la clinique pour se faire opérer d'une banale hernie. Il n'en sortira jamais. Selon la version officielle, Frei aurait été victime de complications chirurgicales, et succombé à une septicémie. La famille n'a jamais eu droit de connaître la vérité : l'autopsie a été organisée par les militaires, sans son autorisation. Ce n'est qu'une dizaine d'années plus tard qu'une investigation judiciaire est enfin ouverte, lorsqu'on apprend la mort, à Montevideo, d'Eugenio Berrios, le chimiste de la dictature. L'homme avait fui en Uruguay par crainte d'être éliminé par les hommes de Pinochet, car il en savait trop. On a retrouvé son corps sur une plage à proximité de Montevideo, avec deux balles dans le corps.
Ce lundi, un juge chilien a pour la première fois accepté la thèse de l'assassinat. « La mort de l'ancien président a été provoquée par l'introduction graduelle de substances toxiques non conventionnelles, par l'injection de produits pharmaceutiques non autorisés et par une succession d'anomalies qui ont été dissimulées et ont détérioré son système immunitaire", a déclaré le juge Alejandro Madrid. Il a ordonné la détention de six hommes, dont quatre médecins, un ancien chauffeur et un homme de confiance de la famille Frei. Un autre médecin est accusé de complicité pour avoir menti sur les résultats de l'autopsie.
L'annonce a fait l'effet d'une bombe. Car le fils de la victime, qui porte le même nom, Eduardo Frei, et qui est également ex-président (1994-2000) est un des principaux candidats de l'élection présidentielle de dimanche. La droite s'est d'ailleurs empressée de dénoncer la date choisie par le juge pour faire son annonce, sans grand succès. La justice est au Chili un corps qui commence à prendre son indépendance, sans doute l'un des plus respectés de la population.
Le candidat de la droite, Sebastian Pinera, a réagi rapidement, et de manière astucieuse en se solidarisant avec la famille et en exigeant que la vérité soit faite. Il souligne ainsi sa distance avec le pinochetisme - il avait voté non, en 1988, au référendum sur le maintien au pouvoir du général. Mais il heurte ainsi une partie de son électorat, qui continue à revendiquer haut et fort l'héritage du gouvernement militaire.
Il est peu probable que ces deux morts changent le cours d'une élection qui semble favorable à la droite. Ils ont au moins le mérite de rappeler aux Chiliens que la page est loin d'être tournée.