dimanche 6 décembre 2009

Le Chili enterre solennellement le chanteur Victor Jara tué par la dictature

«Victor vit dans le coeur de son peuple», «Camarade Vicor présent ! Justice et vérité !» - ces banderoles et slogans scandés ont rythmé le cortège funéraire d'environ 3.000 personnes au début, bien davantage sur le parcours à travers le centre de Santiago.
Mer d'oeillets, de drapeaux rouges, chansons engagées et airs qui rendirent Victor Jara célèbre à travers l'Amérique latine, comme «Te recuerdo Amanda»: les obsèques solennelles du chanteur qui s'est toujours déclaré communiste, ont rassemblé le monde des arts, de la politique, de la gauche, mais aussi des Chiliens ordinaires.
Cet enterrement était l'aboutissement de trois jours d'hommages au chanteur populaire exécuté à l'âge de 40 ans, au cours desquels plusieurs appels ont été lancés à poursuivre la quête de justice pour les 3.100 morts ou disparus de la dictature militaire (1973-90). Appels teintés d'inquiétude à huit jours d'élections où les formations de centre gauche pourraient perdre le pouvoir pour la première fois depuis le retour du Chili à la démocratie.
Pendant quatre heures, le cortège a traversé le centre-ville derrière le cercueil de Victor Jara, suivi de sa veuve britannique Joan Turner et de leurs deux filles Manuela et Amanda.
« Nous sommes venus lui rendre l'hommage du peuple, il ne mérite pas moins », a déclaré à l'AFP Manuel, anonyme au milieu d'une foule éclectique mêlant artistes, syndicalistes, supporters de football, indiens Mapuches et beaucoup d'enfants avec leurs parents.
La dépouille du chanteur avait été exhumée en juin pour des examens médico-légaux, dont la justice espérait des précisions sur les circonstances exactes de sa mort et sur ses assassins.
Victor Jara fut arrêté dans les heures suivant le coup d'Etat militaire contre le président socialiste Salvador Allende le 11 septembre 1973.
Avec environ 5.000 autres prisonniers politiques arrêtées dans des rafles, il fut détenu au Stade du Chili, le plus grand de Santiago. Là, il fut interrogé, torturé, avant d'être abattu à la mitraillette, son corps criblé de 44 balles, probablement le 15 septembre.
Un fait particulier témoigne de l'acharnement des militaires: les doigts écrasés du chanteur guitariste, cassés à coups de crosse et de bottes.
«Regarde mes mains, regarde mes mains... ils me les ont écrasées, pour que je ne puisse plus jamais jouer de la guitare ! », cria Jara au journaliste Sergio Gutierrez, co-détenu, qui a survécu à cette détention au stade.
En mai dernier, un ex-soldat âgé de 18 ans à l'époque a été inculpé après des aveux partiels, mais il s'est rétracté depuis et a été libéré sous caution, ce qui renvoie l'enquête judiciaire au point mort, comme pour des centaines de dossiers de victimes de la dictature.
Elle-même victime de la dictature avec sa famille, la présidente socialiste Michelle Bachelet, présente vendredi à une des cérémonies, a demandé que la recherche de la justice se poursuive.
«Victor peut enfin reposer en paix après 36 ans, mais beaucoup d'autres familles » aimeraient aussi retrouver la paix et «il est important de poursuivre la quête de justice et de vérité », a-t-elle dit.
Joan Turner avait réussi à récupérer le corps de son mari d'une morgue avec l'aide d'un fonctionnnaire ami et l'avait fait enterrer le 18 septembre 1973 en catimini au cimetière général de Santiago, là où samedi il a retrouvé sa dernière demeure.