lundi 8 mars 2010

Le séisme renvoie le Chili à ses fractures sociales

Photo Victor Toro
Deux mois seulement après l'adhésion triomphale à l'OCDE du pays, le deuxième d'Amérique latine à entrer dans ce club de pays riches, les images de mises à sac de résidences et supermarchés, d'hommes et de femmes livrés à eux-mêmes, ont fait le tour du monde et choqué les Chiliens.
"Qu'est-ce qui nous arrive? C'est ce que des millions de Chiliens se sont demandé en voyant à la télévision une litanie de faits inimaginables en plein milieu d'une tragédie humaine", où au moins 450 personnes ont péri, a déclaré la sociologue Lucia Dammert au quotidien La Tercera. Les médias chiliens n'en revenaient pas. "Je n'arrive pas à croire ce qui se passe dans notre pays.
Ce vandalisme, cette délinquance, c'est le pire de nous-mêmes!", a lancé à l'antenne d'une radio nationale un reporter de Concepcion, deuxième ville du pays, où un couvre-feu a été instauré au lendemain du séisme. Il y a au Chili un "malaise social qui nous ronge secrètement, et qui a explosé ces derniers jours", estime Mme Dammert, décrivant un pays "fracturé, socialement divisé, avec une population qui se sent exclue et agit en conséquence".
Le Chili est un des pays les plus développés d'Amérique latine, mais c'est aussi l'un des plus inégalitaires, avec plus de 40% de la richesse concentrée dans les mains des 10% les plus riches. Les 10% les plus pauvres se partagent 1,2% des richesses.
Pour l'écrivain-sociologue Fernando Villegas, le séisme et le tsunami "ont été un événement destructeur, mais aussi révélateur: il a mis au jour des faiblesses accumulées au fil des ans dans l'édifice de notre société". D'autres observateurs rechignent à surinterpréter les débordements. "Les pillages sont un classique des catastrophes du monde entier", estime le sociologue Eugenio Tironi. Pendant quelques jours, le manque d'eau, d'électricité, la peur des pénuries a suscité "une hystérie et une psychose collective, une perte de confiance dans l'autorité, soudain sans Etat", explique-t-il. D'ailleurs, des habitants de Concepcion ont rendu des centaines d'appareils électroménagers et de meubles volés pendant les pillages, une fois la police massivement déployée dans les rues. Mais globalement, la catastrophe a donné une impression inédite de dysfonctionnement, symbolisé par "l'erreur de diagnostic" reconnue par les autorités militaires sur l'alerte au tsunami, sous-estimé.
Des commentateurs se sont également étonnés du nombre de logements détruits par le séisme, dont la majorité datait de l'embellie récente qui a fait du Chili un modèle en Amérique latine, avec une croissance de 5% en moyenne sur 20 ans. A Haïti, "tout ce qui était ancien est tombé dès les premières secondes", a noté sur son blog l'écrivain Rafael Gumucio. "Mais au Chili, c'est le bâti récent, les logements construits pour la classe moyenne en plein essor, l'aéroport et son fier design, les autoroutes récemment inaugurées, qui sont tombés les premiers".
"Comme beaucoup de choses au Chili, le désastre est très subtil, mais il est bien là, tapi sous notre désir avide d'être et de paraître normaux, c'est-à-dire d'appartenir au premier monde", a écrit Gumucio. Le Chili, conclut-il, n'est pas Haïti, mais pas non plus la Suède ou la Suisse. "Il est dans ce purgatoire particulier où les structures résistent, mais où le décor s'effondre dangereusement".