Le suspense a enfin pris fin. La police bruxelloise, avisée jeudi vers 19 h 30 de coups de pistolet tirés dans le parc royal, près du parlement belge, a arrêté un homme – iranien, selon une source judiciaire – de 47 ans. Il serait le tueur de la juge de paix Isabella Brandon et de son greffier André Bellemans, assassinée jeudi matin, en pleine audience.
Avec la capture de l’homme, déjà condamné en 2005 pour des coups et violences, selon le parquet, le mystère est sur le point d’être percé : selon ses premiers aveux dans la nuit de jeudi à vendredi, l’homme, sans profession, aurait agi par vengeance, après avoir été « mécontent » d’une décision rendue en… 2007 par la juge Brandon. Il y a trois ans, la magistrate avait, en effet, tranché dans le cadre d’un conflit locatif en sa défaveur. L’homme avait été expulsé, et vivait sans domicile fixe depuis cette date. L’enquête dira si le meurtrier avait prémédité son geste depuis tout ce temps.
Cette arrestation coupera certainement court aux rumeurs lui prêtant des coups de hache, une « balafre sur la joue gauche », des origines albanaises et des amitiés troubles dans le milieu des « tueurs à gages ». Elle ne retranche rien, en revanche, à l’émotion intense qui, dès l’annonce du double meurtre, a saisi tout le pays. Seule maigre consolation : la justice belge, même endeuillée, continue de l’avant.
La femme de combat
Vendredi encore, la communauté judiciaire de Bruxelles a loué les qualités d’Isabella Brandon, une femme de convictions de 61 ans. Diplômée de l’Université libre de Bruxelles en 1973, elle avait commencé sa carrière en tant que militante du droit des plus modestes, défendant des ouvriers abusés par des employeurs. Ce combat s’accompagne d’un fort engagement à gauche, entre la lutte contre le dictateur Pinochet, de virulentes tribunes dans le journal belge Combat fustigeant la « mauvaise foi de certains employeurs quant à leurs obligations sociales » et une préoccupation pour le traitement judiciaire des malades mentaux. Un ancien condisciple de la faculté de droit se souvient ainsi : « Isabella aurait pu faire n’importe quoi d’autre, du pénal, des droits de l’homme, mais la justice de paix lui correspondait parfaitement, au plus près des gens, de la vie réelle. »
Mère d’une fille de 25 ans, elle avait récemment choisi de vivre dans la région de Hannut, non loin de Bruxelles, pour y trouver le calme à quelques années de la retraite. Posée et professionnelle, tous les avocats, même ceux à qui elle rendait un jugement défavorable, lui reconnaissent cette rigueur : « Je ne l’ai jamais vue prendre une décision dogmatique. Au contraire, elle tranchait toujours en faveur de l’humain, de la sincérit», entend-on dans l’immense salle des pas perdus du palais voisin, encore traversé par l’onde de choc.
Et son ombre
Le fidèle greffier André Bellemans, âgé de 60 ans et à dix-huit mois de la retraite, laissera, lui aussi, à ceux qui l’ont connu un sentiment du gâchis d’un « homme bien ». « Je le voyais tous les jours quand il venait acheter son journal, raconte le patron du kiosque du palais de justice. C’était un homme discret, mais toujours très gentil, souriant. » Un homme de l’ombre, père de deux enfants ; l’ombre même de Mme la juge Brandon, dont il notait scrupuleusement toutes les décisions, les gravant dans le marbre. « Cet homme était un gage de stabilité, toujours là aux côtés de la juge de paix. Il faisait définitivement partie des murs. Rien à voir avec un fonctionnaire froid. Lui, c’était la courtoisie en plus dans un monde de droit… », se souvient un avocat habitué de la petite salle d’audience austère du rez-de-chaussée, rue Ernest-Allard, où siégeaient la magistrate et son greffier.
Dans le petit bâtiment ne subsiste qu’un ruban de police devant la porte de la salle d’audience. Quelques techniciens de police scientifique s’affairent encore pour boucler l’enquête. Sur les bureaux du greffe du 4e canton, une simple feuille de papier, « s’adresser au 3e canton ». Jeudi matin à Bruxelles, la folie a frappé et enlevé deux vies, deux maillons de la loi.