Depuis une année, Antonieta1 a écrit (par l'entremise du Syndicat sans frontières) à la Mission permanente de la Suisse auprès des Nations Unies, au Bureau de l'amiable compositeur2, au Conseil d'Etat genevois et même à la présidente du Chili, Michelle Bachelet! A chaque fois elle a reçu la même réponse de Normand: «En principe, vous avez droit au salaire du contrat type de la branche, mais votre cas est un peu spécial.» Aux dernières nouvelles, c'est le Tribunal des prud'hommes qui devrait, enfin, lui donner la réponse. Mardi, le tribunal s'est déclaré compétent pour trancher le litige qui oppose la domestique à la «République du Chili». Cette ouverture fait chaud au coeur de Luis Cid, responsable du Syndicat sans frontières. Chilien lui aussi et infatigable dénonciateur des abus commis dans le cercle très protégé des diplomates. L'avocat de la mission du Chili, Antoine Kohler, a vainement tenté d'empêcher la tenue du procès à Genève, faisant valoir «l'immunité de juridiction du Chili»: les contrats de travail (signés à Genève) font en effet référence aux lois chiliennes. Il revenait donc, selon lui, aux tribunaux chiliens de trancher le litige. Un avis partagé par le Ministère des relations extérieures du Chili. Mais pas par les Prud'hommes. Quant à Luis Cid, il qualifie cette défense de «ridicule» car il existerait plusieurs précédents déjà jugés. Ces considérations procédurales dépassent un peu Antonieta. Aujourd'hui âgée de 71 ans, l'employée de maison n'a pas retrouvé de travail. Elle n'a pas droit non plus à l'AVS, son employeur n'ayant pas cotisé. Elle lui réclame des différences de salaire – par rapport au contrat type genevois de l'économie domestique – ainsi que le paiement d'heures supplémentaires. Soit 90 000 francs au total, pour 30 mois de travail effectués entre 2005 et 2008. De son côté, un collègue chauffeur exige 25 000 francs, également à titre de différence salariale avec le contrat type en vigueur, sur une période de 18 mois. Difficile de faire un pronostic. A en croire l'Amiable compositeur, le contrat type ne s'appliquerait pas forcément aux «détenteurs d'une carte de légitimation (délivrée par le DFAE, ndlr) de type E». La Mission permanente de la Suisse fait aussi dans la nuance, expliquant à Antonieta qu'elle n'a «pas été engagée par un membre d'une représentation étrangère, mais par un Etat étranger en tant qu'employée affectée à des tâches domestiques». Du coup, elle n'aurait pas les mêmes droits? Ce subtil distinguo reste en revanche hermétique aux syndicats, outre celui de Luis Cid. Lara Cataldi, du Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs, est formelle: le «contrat type de l'économie domestique s'applique à tous les employés, sur tout le territoire genevois. Cela n'a absolument rien à voir avec le permis!» De même, Philippe Sauvin, membre de l'Autre syndicat, confirme que personne ne peut déroger au contrat type genevois. Du moins pas aux dispositions essentielles, dont le salaire fait partie. Mais d'un autre côté, les règles, directives et autre Convention de Vienne qui régissent l'activité des diplomates contiennent une foule d'exceptions, constituant «un vrai fouillis!» Les juges des Prud'hommes sont prévenus. I Note : 1 Prénom d'emprunt. 2 Structure composée de trois médiateurs, démunis de tout pouvoir, chargés de régler à l'amiable les différends entre employeurs et employés de la communauté internationale résidant à Genève.
PHILIPPE CHEVALIER