LAMENTABLEMENT LA RÉPONSE DU GOUVERNEMENT DE DROITE DE PIÑERA AUX DEMANDES DU MOUVEMENT SOCIAL POUR LA RÉGION D'AYSÉN A ÉTÉ UNE BRUTALE ET VIOLENTE RÉPRESSION POLICIÈRE. PHOTO @CLAUYARA |
Certes, la Patagonie n'en est pas à sa première rébellion. Il y a moins d'un siècle, en 1920, un mouvement ouvrier patagon de Santa Cruz (en Patagonie argentine) avait choisi de se faire entendre auprès des grands propriétaires des estancias, en décrétant une grève générale pour changer leurs conditions de travail 16 heures journalières pendant 27 jours par mois, à trimer dans un froid de -18°C).
A l'époque, les gouvernants, qui appelaient les rebelles des « rats », ont fini par mater le mouvement dans le sang comme le raconte le film « Patagonia rebelde » de Hector Olivera (1974).
Isolée du reste du monde et du reste du Chili (il est impossible de traverser la Patagonie par la route, il faut continuellement prendre le bateau ou passer par l'Argentine), Aysén prouve que « l'esprit rebelle » qui caractérisait les Patagons du siècle dernier est loin d'être mort.
Ce sont les pêcheurs artisanaux qui ont, les premiers, exprimé leur ras-le-bol en février, en manifestant contre la loi sur la pèche en discussion au Congrès, qui met en place des quotas favorisant la pêche industrielle au mépris de la pêche artisanale.
Ils se sont installés sur le pont de Puerto Aysén et ont monté des barricades empêchant l'arrivée de l'essence dans les stations et immobilisant toute la vie économique de la région. Ce blocus devait vite être réprimé par des forces spéciales de carabiniers, venus d'une autre région et faisant preuve d'une grande violence.
Ras-le-bol globalisé
Très vite, les pêcheurs ont été rejoints par tous les citoyens : des étudiants, des camionneurs, des chauffeurs de bus, des commerçants, des écologistes, des autorités locales, des hommes d'Eglise et même des retraités.
Sur la place centrale de la ville où ils se réunissent « on voit même des femmes avec leur landau, des enfants » raconte un habitant de Coyhaique. Les routes ont été bloquées, les aliments se sont faits rares, les distributeurs de billets se sont vidés… Peu à peu, tous les manifestants se sont réunis dans ce qu'ils ont appelé le « mouvement social pour la région d'Aysén », une manière de faire passer leurs divers messages jusqu'à la présidence, à Santiago.
Pourquoi ce mouvement ? S'agit-il d'une véritable prise de conscience citoyenne de la signification profonde de la démocratie, avec un grand « d » ?
Cette prise de pouvoir d'une population qui a vécu dix-sept années sous une dictature puis vingt ans sous un gouvernement de centre-gauche et depuis deux ans de droite, signifie-t-elle que la peur des forces policières et militaires a finalement disparu ? Que les voix les plus isolées ont envie et besoin, elles aussi, de se faire entendre ? Que la peur est aujourd'hui dépassée par ce besoin de crier sa colère?
La province se sent oubliée, sacrifiée
La colère des Ayséninos est l'expression d'une crise profonde que la gestion politique n'arrive pas à contenir. Elle vient d'un sentiment unanime d'injustice qui s'exprime également ailleurs dans le pays (à Calama dans le nord minier, Valdivia, Dichato dans le Sud, Punta Arenas dans l'extrême sud), en raison de l'extrême centralisation du pays sur Santiago (plus du tiers des habitants) qui relègue les provinces aux oubliettes.
Alors que la région d'Aysén affiche une croissance économique fulminante de 19,4% en 2011, la plus élevée du Chili – due essentiellement à l'industrie du saumon, de l'énergie hydroélectrique et celle du bois –, les habitants du coin n'en récoltent aucun bénéfice. Leurs conditions de vie extrêmement dures au siècle dernier n'ont pratiquement pas changé. Ils se sentent oubliés, abandonnés et surtout sacrifiés.
Croissance la plus élevée du pays
L'infrastructure n'a pas été améliorée. Les universités sont rares, inaccessibles et chères, « Et les aides étatiques, tant promises, et permettant de faire face au prix prohibitif de l'essence… n'arrivent jamais ! », clament les manifestants.
Tous les produits alimentaires de première nécessité en provenance de régions plus clémentes, du centre et du nord du pays, et qui arrivent par bateaux, sont en moyenne 60% plus chers à Aysén qu'à Santiago. Le froid est si mordant qu'on dépense deux voir trois fois plus d'énergie pour se chauffer que dans la capitale.
Et, alors que cette région regorge de rivières bleu turquoise, les plus puissantes du pays, et que de multiples entreprises nationales et étrangères y construisent moult barrages, l'eau et l'électricité en Patagonie sont les plus chères du Chili. Les porte-parole du mouvement social dénoncent :
« Une petite maison peut facilement consommer 100 euros mensuels d'électricité et 80 euros d'eau tous les mois, alors que le revenu minimal pour 20% de la population du coin atteint difficilement 280 euros ! Avant de comparer les coûts à ceux de Santiago, il faut tenir compte du coût de la vie dans une région. »
Il ne faut pas oublier que c'est à Aysén que devrait être mis sur pied le projet HydroAysén, composé de cinq méga-barrages (même si à l'heure actuelle les opposants gardent bon espoir que le projet soit rejeté parce qu'illégal), qui devrait alimenter la capitale et les mines, à 2 300 km au nord du pays, un projet qui ne se soucie aucunement de l'opposition catégorique des citoyens et des conclusions négatives d'experts pointant du doigt l'inefficacité des barrages et les conséquences catastrophiques sur l'environnement et le mode de vie des habitants… alors que le Chili offre, d'après d'autres experts internationaux, un potentiel extraordinaire d'énergies renouvelables.
« Mauvais dans l'âme »
Les deux premières semaines du blocus, le gouvernement de Sebastián Piñera a fait la sourde oreille. Sans doute par manque de capacité d'analyse, les responsables se sont contentés d'émettre des jugements idéologiques et moraux (« Il y en a qui sont mauvais dans l'âme » expliquait le Président dans un entretien à Chilevisión, faisant référence, entre autres, aux Chiliens qui s'opposaient aux forces policières, à savoir aux manifestants en tout genre...) à l'égard d'un mouvement social qui critique d'ailleurs autant ce gouvernement que les précédents, qui ont pourtant fait partie d'une autre tendance politique.
Ils ont fait appel à des forces spéciales connues pour leur violence, et originaires d'une région différente pour éviter toute alliance, tout « sentimentalisme » de la part des carabiniers. Puis l'autorité centrale a mis comme condition au dialogue l'arrêt total du blocus tout en augmentant les moyens de répression.
Résultat : le nombre de manifestants blessés a fini par dépasser la centaine et trois d'eux ont perdu un œil, d'après le témoignage de plusieurs journalistes.
La violence se corse
Depuis le mercredi 14 mars, alors qu'à Coyhaique, les autorités gouvernementales proposaient des négociations, les forces spéciales de carabiniers ont redoublé leurs coups à Puerto Aysén, à quelques 60 km de là.
Même Antonio Horvath, aujourd'hui sénateur d'Aysén et membre du parti de Sebastián Piñera, le RN (renovación nacional) la dénonce...
La violence déployée à l'encontre des manifestants, des artisans pêcheurs et les familles de dirigeants du Mouvement social pour la région d'Aysén, affole les habitants d'Aysén.
Magdalena Rosas, professeur de musique à Coyhaique et membre d'un réseau d'observateurs de droits de l'homme appuyé par l'Eglise a décidé de monter un blog et témoigner des événements au quotidien.
Cette femme qui « aime sa terre patagone où elle a vu naître ses enfants » veut ainsi combattre la violence et éviter qu'il n'y ait de victimes dans ce conflit social. Elle questionne la bonne foi des décideurs :