Le visage de Carmen Quintana, brûlée par des soldats du régime militaire en 1986, était sur toutes les chaînes de télévision chilienne au cours du dernier mois. Dans les journaux, à la radio, la Chilienne a encore raconté sa terrible histoire.
Elle a de nouveau exigé justice et vérité. D'abord devant des politiciens, dont la présidente Michelle Bachelet, puis devant l'un de ses agresseurs.
«Ouf, c'était un voyage très intense», a-t-elle lancé d'emblée, hier, au lendemain de son retour à Montréal, où elle vit avec sa famille depuis 2011.
Le 2 juillet 1986, pendant une manifestation anti-régime, Carmen Quintana et le jeune photographe Rodrigo Rojas De Negri ont été aspergés de kérosène, brûlés vifs et laissés pour morts dans un fossé.
La jeune femme, brûlée sur près des trois quarts de son corps, a survécu. Son camarade est mort quatre jours après l'attaque.
Du côté des bourreaux se tenait Fernando Guzman, jeune soldat conscrit de 18 ans. Pendant près de 30 ans, il a gardé le silence sur l'agression; il a rapporté la version officielle, celle de jeunes «terroristes» qui s'étaient brûlés avec des cocktails Molotov.
Quand il a finalement brisé le silence, au mois de juillet, l'enquête sur la tentative de meurtre de Carmen Quintana a été relancée. Depuis, le cas de l'une des victimes les plus célèbres de Pinochet intéresse le pays.
«Au Chili, les gens ont été complètement bouleversés», a observé Mme Quintana. «Ça a levé le voile sur toute la complicité et l'impunité dans les forces armées.»
La réaction a été renforcée le 31 juillet, quand les États-Unis ont déclassifié un document révélant que des militaires de l'ère Pinochet auraient camouflé l'attaque à l'essence.
Crime contre l'humanité
Les aveux de Fernando Guzman et la campagne de Mme Quintana ont eux aussi porté leurs fruits, selon la principale intéressée.
«Oui, ça a marché, parce qu'un deuxième militaire [Pedro Franco Rivas] a parlé deux jours après Guzman. Il a impliqué des officiels dans l'histoire», a-t-elle rappelé. «Maintenant, un total de 15 bourreaux sont jugés.»
Carmen Quintana retournera au Chili en décembre. «Pour faire une évaluation», a-t-elle dit. La présidente Bachelet lui a promis de fermer la prison réservée aux militaires, une «sorte d'hôtel quatre étoiles», selon Mme Quintana.
«J'ai aussi demandé que les militaires qui ont participé à des crimes contre l'humanité soient dégradés et ne reçoivent plus leurs généreuses pensions [de retraite]», a-t-elle expliqué.
Cacher la vérité
Près de 30 ans après l'agression, Mme Quintana n'en veut pas aux militaires qui l'ont attaquée.
«Les soldats conscrits sont des victimes, surtout ceux qui sont capables de dire la vérité. Ils regrettent ce qu'ils ont fait», a-t-elle déclaré.
En revanche, elle en a contre ceux qui ont tenté de cacher la vérité. Ceux qui empêchent le Chili de se reconstruire pour de bon, à son avis.
«Les gens qui profitent encore de l'argent des militaires, ils sont complices, estime-t-elle. Mais je suis contente, parce qu'au Chili, toute la thématique des droits de la personne a pris la place qu'elle n'avait pas depuis 25 ans. [...] Notre mémoire ne doit pas être basée sur l'impunité.»
Carmen Quintana est convaincue que son voyage a été «une sorte de prise de conscience de l'importance de la vérité et de la justice». On pourrait croire que son visage l'aura été, aussi.