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Elle est arrivée les traits tirés, un peu lasse, mais la tête haute. Quarante-huit heures après le vote des députés réclamant à une très large majorité sa destitution, la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, reste déterminée à laver l’injustice dont elle s’estime victime. Prête à « résister avec honneur et dignité » à ce qu’elle continue d’appeler un coup d’Etat. Mardi 19 avril, l’ancienne guérillera a détaillé pendant de longues minutes à la presse étrangère l’explication technique conduisant à cette conclusion : les manipulations comptables dont on l’accuse sont sans fondement juridique.
Par Claire Gatinois
Mais la machine visant à l’éloigner du Planalto est en marche. Lundi 25 avril, la commission sénatoriale devrait être formée pour analyser sa destitution. S’en suivra un vote au Sénat prévu le 17 mai. En cas d’aval d’une majorité simple de 81 sénateurs, Dilma Rousseff sera éloignée du pouvoir pendant 180 jours, remplacée par son vice-président Michel Temer, avant un vote final à la majorité des deux tiers, probablement en octobre.
Presque assis sur le trône, Michel Temer qui fit deux fois campagne aux côtés de la présidente, dit attendre « silencieusement et respectueusement » le scrutin du Sénat. Mais en coulisse, l’ancien chef du parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) s’active, multipliant les rendez-vous pour former son gouvernement. Lundi soir, il dînait à Sao Paulo avec Aecio Neves, du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) rival malheureux face à la candidate du Parti des travailleurs (PT, gauche) en 2014, et avec l’ancien président de la banque centrale, Arminio Fraga, qui aurait refusé le poste de ministre de l’économie que M. Temer lui aurait offert. « Ils vendent la lune », raille Mme Rousseff.
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« Un vieux putschiste sommeille au Brésil »
Malmenée par la rue depuis sa réélection en 2014, la dauphine de Luiz Inacio Lula da Silva juge avoir été le jouet d’une conspiration orchestrée par son vice président et d’une vengeance fomentée par le président de la chambre des députés, Eduardo Cunha. « Un homme coupable de corruption et de blanchiment d’argent », qu’elle a refusé de soutenir pour lui permettre d’échapper à la justice, rappelle-t-elle. L’impeachment s’est révélé pour ce petit groupe comme «l’unique possibilité d’obtenir le pouvoir», détournant la procédure de destitution en une sorte «d’élection indirecte », dit-elle.
La présidente n’est pas la seule à souffrir de cette torsion du droit constitutionnel. «Depuis les années 1960 l’impeachment s’est transformé de façon systématique en un outil contre les présidents élus.» Et d’ajouter «un vieux putschiste sommeille au Brésil».
Le «pédalage budgétaire», dont la présidente se serait rendue coupable n’est, de facto, pas la réelle motivation de la destitution. En attestent les mots prononcés dimanche 17 avril par les parlementaires. Rarement les élus ont fait mention du «crime» comptable de Dilma Rousseff, préférant évoquer la défense de valeurs traditionnelles, la famille, Dieu, ou la situation économique «désastreuse» dans laquelle se trouve le pays.
Une partie des économistes estime que la mauvaise gestion de la présidente et de ses conseillers n’a fait qu’aggraver la situation. Mais de mea culpa, elle n’en fera pas. «Je ne suis pas responsable de la fin du super-cycle des matières premières», a-t-elle expliqué. La chute des prix du pétrole, dont dépend en grande partie l’économie du Brésil ne pouvait être anticipée, pas plus que la grande sécheresse de 2014. Et même si la conjoncture a empêché la présidente de tenir ses promesses de campagne, «je n’ai trompé personne». L’impeachment, prévient-elle, ne mènera pas à la stabilité politique ni au retour de la croissance comme l’estiment certains. Il signera une «rupture avec la démocratie». En quête d’une alternative, un petit groupe de sénateurs entend déposer un amendement constitutionnel afin de convoquer de nouvelles élections en octobre. Mais leurs chances sont maigres et le délai, très court.
Manque de tact
Dilma Rousseff que l’on dit arrogante et têtue, a sans doute manqué de tact avec le Congrès. Quand Lula recevait les parlementaires dans son bureau la main sur l’épaule, trouvant des arrangements pour faire voter ses lois, elle les faisait patienter dans sa salle d’attente, en vain. «Ce n’est pas son monde. C’est une puriste. Marchander avec eux l’a toujours gênée», explique un de ses proches.
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Ce refus de mettre les «pieds dans la glaise» a fait du Congrès le promoteur de sa chute. Et l’animosité de certains députés s’est muée en haine. Les propos de Jair Bolsonaro du Parti progressiste (PP, droite), sorte de Jean-Marie Le Pen brésilien, rendant hommage, dimanche, au colonel Ustra, grand tortionnaire de la dictature militaire (1964, 1985) resteront gravés dans la mémoire de celle qui fut torturée vingt-deux jours, pendant les années de plomb. «Lamentable» et «terrible», a-t-elle réagi, atterrée. Il ne s’agit pas de la seule attaque que la présidente a essuyée. «Certains ont eu un comportement envers moi qu’ils n’auraient jamais eu si j’avais été un homme.» La présidente devrait se rendre en fin de semaine à New York pour signer un accord sur le climat à l’ONU, mais aussi pour dénoncer auprès des médias américains le «coup d’État» dont elle s’estime victime.