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LOI SUR L’IMMIGRATION, « UN PROJET NI HUMAIN NI EFFICACE » |
Dans une tribune au « Monde », plusieurs universitaires soulignent que la future loi Collomb a le mérite d’expliciter une démarche politique déjà à l’œuvre tacitement. Mais « l’humanité » des mesures présentées n’est qu’un leurre qui va rendre l’ensemble inefficace.
PHOTO LA CIMADE |
Quoi qu’il en soit, ce nouveau projet se situe dans la logique des politiques précédentes : quelques mesures de plus, qui viennent restreindre encore davantage les droits et garanties des demandeurs d’asile. Cette réforme présente pourtant une réelle nouveauté : elle affiche sans pudeur ce que d’autres tentaient de masquer. Ce serait en effet faire injure à ses concepteurs de considérer son intitulé comme une simple maladresse. Il est au contraire une profession de foi.
On sait dorénavant et sans ambiguïté en quoi consiste l’effectivité du droit français de l’asile. Il ne s’agit pas, comme l’a proclamé le président de la République à maintes reprises, de le rendre « plus humain ». Non : un droit d’asile effectif doit être un droit qui poursuit une logique d’endiguement des flux de réfugiés.
Obstacles administratifs et procéduraux
DESSIN LE CANARD ENCHAÎNÉ |
Ce n’est donc pas pour réagir aux drames personnels quotidiens dont sont victimes les demandeurs d’asile qu’il faut légiférer, mais pour mettre fin à la pression que les arrivées de migrants représentent ; cela d’autant plus que la France est, à lire les rédacteurs du projet, bien plus généreuse que ses pairs européens, ce qui ferait de notre pays une destination privilégiée des déplacements intra-européens des demandeurs.
Face à ce constat, quelles sont donc les mesures proposées ? Diminuer les chances de déposer une demande d’asile en l’enfermant dans des délais plus brefs, étendre les possibilités qu’elle soit instruite selon une procédure accélérée, en confiant notamment à un juge unique le pouvoir de retirer la qualité de réfugié, ou encore restreindre les possibilités de préparer convenablement un recours (délais raccourcis et saisine de la Cour nationale du droit d’asile parfois non suspensive).
Multiplication des rejets
Passons sur les contradictions logiques de la réforme – tout restreindre pour lutter contre un « flux » plus grand – pour nous concentrer sur cette « humanité » qui nous était tant vantée. C’est en vain qu’on en trouvera trace dans le projet de loi tel qu’il a été déposé. Une réforme qui en aurait été empreinte n’aurait pourtant pas été difficile à mener – et aurait, surtout, gagné en efficacité. Car, parmi les mesures proposées, laquelle garantit au demandeur d’asile la possibilité pratique de constituer un dossier solide, en lui assurant, fût-ce temporairement, une protection garantissant la sérénité de son parcours de demandeur ? Aucune. Laquelle lui permet de réunir les pièces et traductions nécessaires au soutien de sa demande ? Aucune. Laquelle, enfin, lui garantira que sa cause sera entendue par des juges ou officiers de protection qui en auront le temps ? Aucune.
« Autant de bons moyens, surtout, de multiplier les rejets et leurs contestations, et ce faisant les demandeurs et déboutés en situation irrégulière »
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour verront donc se multiplier les dossiers incomplets, les demandes qui paraîtront infondées, les requérants absents. Autant de bons moyens de « réduire les flux » ? Autant de bons moyens, surtout, de multiplier les rejets et leurs contestations, et ce faisant les demandeurs et déboutés en situation irrégulière. En offrant aux demandeurs d’asile une protection temporaire et le temps nécessaire à la constitution d’un dossier le plus complet possible, les décisions de protection ou de rejet auraient été légitimes et la réforme aurait été humaine et efficace. Celle qui est proposée n’est ni l’un ni l’autre.
Les signataires de la tribune : Marie-Laure Basilien Gainche (Professeur de droit à l’université Lyon III), Anne-Laure Chaumette (Maître de conférences en droit à l’université Paris-Nanterre), Thibaut Fleury Graff (Professeur de droit à l’université Rennes I), Julian Fernandez (Professeur de droit à l’université Paris II), Alexis Marie (Professeur de droit à l’université Clermont Auvergne) et Serge Slama (Professeur de droit à l’université Grenoble-Alpes)