La même question a été soulevée quand il a soudainement décidé de virer un dirigeant respecté de la banque du Vatican.
Elle a ensuite refait surface quand un cardinal lui a reproché de ne pas se rendre compte que ses propres diplomates «trahissaient» l’Église catholique souterraine en Chine à des fins politiques.
Des observateurs du Vatican se demandent maintenant si le pape François reçoit suffisamment de ces informations de haute qualité dont les dirigeants de la planète ont besoin, ou s’il choisit plutôt de se fier à son instinct et à son propre réseau d’informateurs qui lui refilent des informations clandestinement.
Depuis son élévation à la papauté il y a cinq ans, le pape a créé une structure de renseignement informelle qui se frotte souvent aux instances vaticanes officielles. Cela inclut un petit «conseil de cuisine» de neuf cardinaux qui se rencontrent tous les trois mois au Vatican et qui ont l’oreille du pape, en plus des breffages normaux qu’il reçoit des responsables du Vatican.
Événement rare, le Vatican s’est porté cette semaine à la défense du pape, des renseignements qu’il reçoit et de sa compréhension du dossier chinois. Le bureau de presse du Saint-Siège a indiqué que le pape suit les négociations avec la Chine quotidiennement, qu’il est informé «fidèlement» par ses conseillers et qu’il est entièrement d’accord avec son secrétaire d’État dans cette affaire.
«Il est donc étonnant et regrettable que des membres de l’Église prétendent le contraire, générant ainsi confusion et controverse», a dit le porte-parole du Vatican, Greg Burke.
Une telle défense serait normalement superflue, puisque les papes vivent habituellement au sein de leurs principaux conseillers. Mais le pape François habite l’hôtel Santa Marta, au Vatican, et non au Palais apostolique, où il lui est plus facile de laisser sa porte ouverte en tout temps pour accueillir ceux qui l’alimentent en informations informelles.
«Malheureusement il est victime du syndrome Santa Marta, explique le journaliste italien Massimo Franco. Le pape voulait y habiter parce qu’il ne voulait aucun filtre entre le secrétaire d’État et lui. Mais en revanche, ça le condamne à aussi recevoir des informations un peu informelles qui ne sont pas toujours précises.»
Le pape est maître de son agenda à Santa Marta, il fait ses propres appels et il gère ses propres visites, souvent à l’insu du bureau du protocole du Vatican. Il ne regarde pas la télévision et ne consulte pas internet, mais il lit le quotidien italien Il Messaggero et des extraits d’autres médias, en plus de ce qui lui est fourni par le Vatican.
Certaines informations lui arrivent en personne et d’autres par écrit; ces dernières sont placées à la réception de l’hôtel dans un cartable de cuir rouge que remet chaque jour un Garde suisse à l’un de ses deux secrétaires particuliers. L’un d’eux est monseigneur Fabian Pedacchio, un prêtre argentin que le pape, à l’époque où il était archevêque de Buenos Aires, avait envoyé à Rome.
Le pape s’appuie d’ailleurs sur une garde rapprochée composée essentiellement d’amis connus en Argentine qui l’informent des événements au Vatican et ailleurs dans l’Église.
Il peut aussi se révéler excessivement têtu une fois qu’il a pris une décision en fonction de l’information qui s’est rendue jusqu’à lui, comme en témoigne sa décision de limoger le directeur adjoint — pourtant fort respecté — de la Banque du Vatican, Giulio Mattietti. Aucune explication n’a été fournie pour ce congédiement annoncé à la fin de l’an dernier.
Quand il s’est ensuite adressé au personnel du Vatican à l’occasion de Noël, le pape a dénoncé les employés congédiés qui «se déclarent incorrectement des martyrs du système, d’un ‘pape qu’on garde dans le noir’».
Mais dans le dossier du prêtre pédophile chilien, le pape François n’a eu d’autre choix que d’admettre non seulement qu’il avait commis une erreur, mais aussi qu’il ne savait peut-être pas tout.
Le Vatican a annoncé mardi l’envoi au Chili par le pape de son principal enquêteur en matière de crimes sexuels, pour tenter de déterminer si un évêque a enterré ou non les agissements du plus infâme prêtre pédophile du pays. Le pape avait farouchement défendu l’évêque Juan Barros pendant sa visite au Chili; il a changé d’idée à la lumière d’«informations récentes», selon M. Burke.
Le pape a semblé complètement ignorant du fait que les victimes chiliennes du père Fernando Karadima prétendent depuis des années que monseigneur Barros a fermé les yeux sur tout. Un survivant, Juan Carlos Cruz, l’a même raconté sous serment aux procureurs chiliens.
Cette information semble ne s’être jamais rendue jusqu’au pape — ouvrant la porte à l’une des pires gaffes de sa papauté quand il a demandé des «preuves» que monseigneur Barros a camouflé les crimes du père Karadima. Sans ces preuves, a-t-il assuré, les allégations contre lui ne sont que des «calomnies».
Le pape y est ensuite allé d’excuses partielles. Mais au moment de repartir pour Rome le 21 janvier, le pape soutenait encore et toujours qu’il était convaincu de l’innocence de monseigneur Barros, tout en se disant prêt à écouter ceux qui auraient de l’information à ce sujet.
Dans une telle situation, le pape aurait reçu des informations de son ambassadeur au Chili qui, comme tous les autres émissaires du Vatican, transmet chaque jour au secrétariat d’État des dépêches chiffrées que le pape lit chaque matin. Il est aussi informé par la hiérarchie de l’Église locale, dont une délégation importante s’est rendue au Vatican en février 2017.
Un des cardinaux qui conseillent le pape est aussi originaire du Chili. Monseigneur Francisco Errazuriz, l’archevêque à la retraite de la ville de Santiago, a témoigné qu’il ne croyait pas les victimes du père Karadima et qu’il avait classé l’affaire — jusqu’à ce qu’il soit obligé de la relancer quand les victimes sont sorties sur la place publique.
Conséquemment, à n’importe quel moment, quiconque ne croyait pas les victimes ou souhaitait protéger monseigneur Barros avait la possibilité de filtrer ou de discréditer le témoignage des victimes avant même que ça n’atteigne les oreilles du pape.