samedi 6 mars 2010

AU CHILI, LA CAFOUILLEUSE GESTION POLITIQUE DU SÉISME

Jusqu'à présent, les autorités faisaient état d'un chiffre provisoire avoisinant 800 morts. La présidente de la République sortante, Michelle Bachelet, laissait entendre que ce bilan s'alourdirait. Or elle fut la première, jeudi, à réduire de près de moitié le nombre des morts dans les zones les plus affectées.
Vendredi, après une reprise en main des services responsables par la présidence, le vice-ministre de l'intérieur, Patricio Rosende, a énuméré une première liste de 279 morts pour l'instant "officiellement identifiés".

Puis une autre dans la soirée, qui porte le bilan provisoire à 452 victimes. Il n'a ni évoqué une baisse du bilan total, ni mentionné le nombre des disparus. Ce flou statistique résulte d'une confusion initiale entre les morts et les disparus.

Elle fait suite à plusieurs faux pas. Très vite, la marine avait fait son mea culpa en reconnaissant une erreur de diagnostic. Situant l'épicentre du séisme sur terre, et non en mer, elle avait écarté le risque de tsunami au moment même où des vagues géantes déferlaient, meurtrières, sur le littoral. Vendredi, le chef du service d'hydrographie et d'océanographie de la marine, responsable de cette erreur, Mariano Rojas, a été limogé. Une enquête a été ouverte.

D'autres cafouillages ont une dimension plus politique car ils ont donné lieu à des versions contradictoires entre Mme Bachelet et les chefs de l'armée. La présidente affirme avoir attendu quatre heures un hélicoptère avant de pouvoir partir survoler les régions sinistrées ; les militaires répondent que l'appareil était prêt bien avant. Mme Bachelet dit avoir signé le décret instaurant "l'état de catastrophe" dès le dimanche matin ; l'armée parle de l'après-midi. Même désaccord concernant l'imposition trop tardive du couvre-feu, que l'armée, selon Mme Bachelet, n'aurait pas jugé nécessaire.

Ces dissonances s'expriment à fleurets mouchetés. Elles témoignent des hésitations de la présidente, pendant vingt-quatre heures, à faire appel pleinement à l'armée, avant que l'ampleur même de la catastrophe ne lui laissât plus aucun autre choix. Cette décision a aussi divisé le gouvernement.

"Pour une coalition qui a lutté contre la dictature militaire, l'idée de mettre les soldats dans la rue n'a pas été facile", avoue le ministre des travaux publics, Sergio Bitar. Et d'abord pour Mme Bachelet, torturée pendant la dictature, contrainte à l'exil avec sa mère, et dont le père est mort en prison. Ces atermoiements ont eu un prix. L'aide n'a commencé à arriver sur place que trois jours après le séisme ; entre-temps, les pillards s'étaient déchaînés et des familles dans le besoin s'étaient servies au passage.

Pour la première fois depuis le rétablissement de la démocratie, en 1990, l'armée est responsable du maintien de l'ordre dans les deux régions sinistrées, et notamment du couvre-feu. Elle a la charge de deux millions de personnes. Elle a été bien accueillie lorsqu'elle a commencé à distribuer les vivres et à traquer les pillards. Des convois blindés et des camions militaires ont été applaudis. Le général Bosco Pesse, commandant des opérations, s'est réjoui publiquement de cet accueil.

Une partie des soldats est composée de jeunes qui accomplissent leur service militaire et qui étaient à peine nés à la fin de l'ère Pinochet. L'armée semble avoir fait preuve de discernement dans sa répression des pillages, distinguant les délinquants "professionnels" des autres contrevenants. Elle a procédé à quelque 300 arrestations, dont des prisonniers qui avaient été libérés par décision "humanitaire" avant le tsunami par le directeur de l'établissement où ils étaient incarcérés.

Les trois fortes répliques (de 6, 6,2 et 6,6 sur l'échelle de Richter) survenues vendredi matin ont semé un début de panique à Concepcion, sans faire ni victimes ni dégâts importants. La maire de la ville, Jacqueline Van Rysselberghe, voit dans ces répliques, normales en pareille situation - plus de deux cents se sont déjà produites -, une raison majeure pour "accélérer la démolition des bâtiments" endommagés.

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, en visite à Santiago, a annoncé, vendredi, l'octroi au Chili de 10 millions de dollars et appelé à l'aide de la communauté internationale. Il devait se rendre samedi à Concepcion et dans le port, dévasté, de Talcahuano.
Mme Bachelet a décrété, à partir de dimanche, un deuil national de trois jours. Elle a annoncé que la passation de pouvoirs, le 11 mars, à son successeur de droite, Sebastian Piñera, sera "austère et simple".
Les réjouissances populaires sont supprimées. La cérémonie officielle aura lieu, comme c'est l'usage, au Parlement, en présence de délégations étrangères, dont l'invitation a été maintenue. La France sera représentée par sa ministre de l'économie, Christine Lagarde.

Au Chili, les cafouillages politiques ont retardé les secours après le séisme

La présidente, Michelle Bachelet, a hésité avant d'envoyer l'armée maintenir l'ordre dans les régions ravagées.

Jean-Pierre Langellier