lundi 28 janvier 2019

VENEZUELA : LA RUSSIE ET LA CHINE ONT DÉNONCÉ L’INGÉRENCE AMÉRICAINE DANS LES AFFAIRES INTÉRIEURES DU PAYS


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DESSIN OSMANI SIMANCA
Washington avait espéré réunir un soutien – sous la forme d’une déclaration – pour encourager la transition démocratique au Venezuela et son président autoproclamé Juan Guaido. Mais le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo est reparti d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU), samedi 26 janvier 2019, avec un aperçu des divisions profondes qui animent la communauté internationale sur la réponse à apporter à la crise politique qui secoue le pays depuis le 23 janvier.
ELLIOTT ABRAMS L'ÉMISSAIRE AMÉRICAIN AIDERA À 
«RESTAURER LA DÉMOCRATIE» AU VÉNÉZUÉLA
PHOTO MANUEL BALCE CENETA
La Russie, la Chine, la Guinée Équatoriale et l’Afrique du Sud ont commencé par tenter d’empêcher la tenue de la réunion réclamée par Washington, en faisant valoir que la crise politique que traverse ce pays d’Amérique latine n’était pas une menace à la paix et la sécurité dans le monde.

« Si quelque chose représente une menace (…), ce sont les actions honteuses et agressives des États-Unis et de leurs alliés qui visent à évincer un président du Venezuela légitimement élu », a déclaré l’ambassadeur russe, Vassily Nebenzia, qui a accusé Washington de fomenter un coup d’État au Venezuela.

Faux, ont répondu neuf des quinze membres [«les laquais des États-Unis »] qui ont rappelé l’exode de plus de trois millions de Vénézuéliens dans les pays limitrophes, dont près de 700 000 au Pérou, faisant peser sur ces États un risque de déstabilisation grave.

« Tentatives d’ingérences »

L'ENVOYÉ SPÉCIAL AMÉRICAIN RÉCEMMENT NOMMÉ POUR LE 
VENEZUELA,  ELLIOTT ABRAMS, -QUI A AVOUÉ AVOIR MENTI 
DEVANT LE CONGRÈS LORS DE L'ENQUÊTE SUR L'AFFAIRE
IRAN-CONTRA- EST ASSIS JUSTE DERRIÈRE, À LA 

DROITE DE POMPEO PHOTO DE SPENCER PLATT 

La réunion a donc eu lieu, et elle a permis aux amis du président Nicolas Maduro de s’exprimer. La Chine, la Russie, la Bolivie, le Nicaragua, la Bolivie et des pays des Caraïbes ont indiqué leur soutien à son gouvernement et ont dénoncé « les tentatives d’ingérences » dans les affaires intérieures vénézuéliennes. Moscou a violemment dénoncé les « jeux sales » de Washington et ses tentations de « changement de régime » en Amérique latine, « son sport favori » a ironisé M. Nebenzia, en rappelant l’historique de la baie des Cochons à Cuba ou de l’affaire Iran-Contra au Nicaragua. « Vous mettez le pays au bord du précipice d’une guerre intestine sanglante », a-t-il encore prévenu.

Très offensif, Mike Pompeo a rappelé le lourd passif de violation des droits de l’homme du président Maduro, qui « n’hésite pas à affamer » son peuple pour mener « une expérience socialiste ». La situation humanitaire dans le pays exige « une réaction immédiate » de la communauté internationale, a exhorté M. Pompeo qui a rejeté «les indécisions et les tentatives de diversion ». Les Vénézuéliens « ne peuvent plus attendre », a-t-il soutenu avant de demander à ses alliés de choisir leur camp, « soit du côté de la force de la liberté soit du côté du chaos et de Maduro ».

Symptomatique des relations de plus en plus difficiles avec Pékin et Moscou, le secrétaire d’Etat américain a par ailleurs accusé la Chine et la Russie de « soutenir un régime en faillite dans l’espoir de récupérer des milliards de dollars grâce à des investissements inconsidérés et à une assistance consentie au fil des ans ».

LE PRÉSIDENT CONTESTÉ REPROCHE SON « ARROGANCE »
À L’EUROPE, LA JUGEANT DÉCONNECTÉE DE
L’HISTOIRE ET DES RÉALITÉS VÉNÉZUÉLIENNES.
NICOLÁS MADURO (À GAUCHE), AVEC LE JOURNALISTE
TURC CÜNEYT ÖZDEMIR, SAMEDI, AU PALAIS PRÉSIDENTIEL
PHOTO CNN 
Les Européens, qui soutiennent, pour leur part, une position alternative – l’organisation d’élections libres sous huit jours sous peine de reconnaître Juan Guaido comme président – ont peiné à convaincre. Seuls Paris, Berlin et Madrid soutiennent officiellement cette proposition et l’ultimatum fixé par les capitales a été immédiatement rejeté par Caracas et ses soutiens. « L’Europe nous donne huit jours ? Pourquoi ? D’où tire-t-elle qu’elle peut nous imposer une telle idée ? C’est infantile », s’est élevé le ministre des affaires étrangères vénézuélien Jorge Arreaza.

« Pourquoi Macron se penche-t-il sur le Venezuela au lieu de se pencher sur la crise des “gilets jaunes” ? », s’est aussi interrogé à voix haute M. Arreaza. Paris a immédiatement rejeté une comparaison « déplacée et hors sujet » en rappelant que « les élections en France sont démocratiques » et que le gouvernement traite des « affaires intérieures dans le respect de l’état de droit et le dialogue ».

Sortie de crise difficile

Les débats, qui ont duré près de cinq heures, ont laissé entrevoir une sortie de crise difficile. « Toutes les parties devront très bientôt céder du terrain et négocier les conditions de la transition, y compris les réformes en profondeur nécessaires pour organiser des élections honnêtes. Sinon, les tensions dans le pays et les appels à une intervention militaire vont s’aggraver », a insisté Ivan Briscoe, directeur pour l’Amérique latine de l’International Crisis Group.

Le chef de la diplomatie vénézuélienne n’a d’ailleurs pas manqué de souligner l’ironie de la présence autour de la table en forme de fer à cheval du Conseil de sécurité d’Elliott Abrams, nommé par le département d’Etat vendredi envoyé spécial au Venezuela. Alors jeune diplomate sous l’administration de Ronald Reagan, M. Abrams avait organisé le financement des rebelles Contra au Nicaragua sans l’approbation du Congrès américain. Il avait menti deux fois sur son rôle avant d’être gracié en 1991 par George H. W. Bush.

Les alliés de Caracas n’ont pas hésité à y lire une réhabilitation de la doctrine Monroe par l’administration Trump, faisant de l’Amérique latine une arrière-cour des États-Unis qui échapperait à leur politique de non-intervention. Le Venezuela pourrait en être le premier exemple.
Marie Bourreau