vendredi 18 octobre 2019

PIERRE KALFON, ANCIEN CORRESPONDANT DU « MONDE » AU CHILI, EST MORT


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PIERRE KALFON, ÉCRIVAIN, JOURNALISTE ET DIPLOMATE, AU 
18E FESTIVAL INTERNATIONAL DE GÉOGRAPHIE DE
SAINT-DIÉ DES VOSGES, EN 2017.
PHOTO JI-ELLE / WIKICOMMONS
Journaliste, universitaire, diplomate, il a couvert pour le quotidien du soir le coup d’État du général Pinochet contre Salvador Allende en septembre 1973. Passionné par l’Amérique latine, il est l’auteur de plusieurs livres sur le Chili, l’Argentine ou Che Guevara. Il est mort le 14 octobre, à l’âge de 89 ans.
Correspondant du Monde au Chili sous la présidence de Salvador Allende, témoin privilégié du coup d’État du général Augusto Pinochet, écrivain et diplomate, grand passeur entre l’Amérique latine et la France, après avoir contribué au rayonnement de la culture française dans le sous-continent, Pierre Kalfon est mort le lundi 14 octobre, à Paris, à l’âge de 89 ans.

ARTICLE DE PIERRE KALFON 
Dans son appartement près de la Grande Mosquée de Paris, il a encadré la « une » du Monde où il annonçait l’imminence d’un putsch militaire contre la gauche chilienne au pouvoir depuis 1970. Les Français suivent alors avec grand intérêt cette expérience d’union de la gauche. Directeur de l’Alliance française à Santiago depuis 1967, professeur à l’université du Chili et à l’Université catholique, Kalfon est sollicité à la fois par Le Monde et Le Nouvel Observateur (dans l’hebdomadaire, il signe ses correspondances avec un pseudonyme).

L’empathie avec laquelle il couvre les événements ne l’empêche pas de rester lucide. Après le coup d’État du 11 septembre 1973, il prend des risques et aide des amis poursuivis à trouver refuge dans une ambassade. Il finit par être arrêté et expulsé du pays. Kalfon reste à tout jamais marqué par le Chili, et songe même à bâtir une maison dans le désert d’Atacama. Il en tire deux ouvrages : Allende, Chili 1970-1973 (Atlantica, 1998), traduit en espagnol et porté à l’écran par Patricio Henriquez (Le Dernier Combat de Salvador Allende, 1998) ; L’Encre verte de Pablo Neruda : Chroniques chiliennes (Terre de brume, 2003 ; Démopolis, 2008).

Souffle romanesque


Né à Oran le 1er avril 1930, dans une famille juive, Pierre Kalfon « monte » à Paris pour faire hypokhâgne au lycée Lakanal, où il s’approche du Parti communiste français. Outre des études supérieures de lettres, il s’inscrit à Sciences Po. Sa découverte de l’Amérique du Sud commence à Buenos Aires, où il dirige l’Alliance française. Ce coup de foudre se traduit par un premier livre, Argentine (Seuil, 1967), pétillant d’intelligence, dans la collection « Petite Planète » dirigée par Chris Marker.

À l’instar du Chili, l’Argentine reste une terre d’élection, comme le prouve son unique roman, Pampa (Seuil, 2007, prix Joseph-Kessel), un western sud-américain au souffle romanesque soutenu par une plume élégante, aussi documenté que ses autres ouvrages. Il est inspiré par l’histoire véridique d’un Français tenu en captivité par les Indiens, au XIXe siècle.

L’Unesco et des postes d’attaché culturel lui permettent d’effectuer de nouveaux séjours et missions en Uruguay, en Colombie, au Nicaragua et au Guatemala. Il a le plaisir de retrouver un poste à l’ambassade à Santiago du Chili, après le retrait de Pinochet. Ainsi, il vit vingt-cinq ans en Amérique latine. Il cosigne Les Amériques latines en France (Gallimard, 1992).

« L’alchimie particulière » du Che


Enfin, Che : Ernesto Guevara, une légende du siècle (1997 et 2017), traduit en espagnol et italien, s’attaque à l’icône latino-américaine par excellence. Sa recherche est à la base du documentaire El Che, réalisé par Maurice Dugowson (1997). Cette copieuse biographie, puisée à des sources écrites et à des témoignages, veut éviter l’hagiographie, sans pour autant renoncer à la bienveillance. Certes, l’auteur prend ses distances à l’égard des théories du guérillero et dirigeant de la révolution cubaine, qu’il assimile à la logomachie marxiste. Son radicalisme lui semble à la fois une force et une faiblesse. Et son esprit de sacrifice est trop janséniste à son goût. Mais il admire « l’alchimie particulière » qui aurait permis au Che de réconcilier Marx et Rimbaud.

Sa gouaille méditerranéenne se mêle à des mots d’espagnol dès qu’on convoque ses souvenirs

Pierre Kalfon est un conteur inné, qui transforme la matière pour mieux la transmettre à ses lecteurs ou à ses interlocuteurs. Chez lui, la gouaille méditerranéenne se mêle à des mots d’espagnol dès qu’on convoque ses souvenirs. Il suffit d’un rien pour le rendre intarissable : « J’ai assisté à l’arrivée des troupes américaines à Oran pendant la seconde guerre mondiale. J’emmenais les GI au bordel sans savoir ce qu’ils y faisaient, j’étais trop petit. En échange, je recevais du chewing-gum et des bonbons… »

« Amarcord », « Je me souviens », aurait-il pu dire, comme un personnage fellinien à l’appétit de vivre intact.

[« Le Monde » présente à la famille de Pierre Kalfon ses plus vives et sincères condoléances.]

Pierre Kalfon en quelques dates

  • 1er avril 1930 Naissance à Oran
  • 1967 « Argentine »
  • 1973 Couvre pour « Le Monde » le coup d’Etat militaire au Chili
  • 1997 « Che : Ernesto Guevara, une légende du siècle»
  • 14 octobre 2019 Mort à Paris


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