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GÉNÉRAL AUGUSTO PINOCHET PHOTO AP |
PINOCHET placé samedi sous contrôle judiciaire dans une clinique londonienne après vingt-cinq ans d'impunité. L'information a fait sensation dans le monde entier. Pourtant les menaces planaient depuis quelques mois à la suite de multiples plaintes déposées chez deux juges espagnols. L'ancien dictateur, auto-amnistié au pays, ne pouvait pas l'ignorer. Mais selon de nombreux Chiliens, que nous avons appelés hier, l'"esprit d'impunité" est tel dans leur pays que le général Pinochet, quatre-vingt-trois ans, a sans doute cru que plus rien ne lui arriverait. Et sans doute a-t-il été piégé.
L'ARRESTATION DU GÉNÉRAL PINOCHET
Passeport diplomatique en poche il n'aurait pas eu besoin de visa, Augusto Pinochet a été arrêté par la police britannique, en exécution d'un mandat de la justice espagnole qui l'accuse d'avoir perpétré un "génocide" durant les dix-sept ans de la junte militaire au Chili. Version anglaise: il dispose d'un passeport diplomatique qui "n'assure pas d'immunité diplomatique", a dit hier à la BBC le secrétaire d'État au ministère britannique de l'Intérieur, Alun Michael.
Le gouvernement chilien conteste cette interprétation, assurant que l'immunité devrait être accordée à l'ancien dictateur en sa qualité de "sénateur à vie", un titre dont il a hérité en mars dernier (grâce à une constitution qu'il s'est taillée sur mesure) lorsqu'il a abandonné sa charge de commandant en chef des forces armées.
Sur fond de querelle diplomatique entre Londres et Santiago, la presse britannique a estimé que l'ordre d'appréhender Pinochet viendrait du plus haut niveau. Le gouvernement Blair (dans les années soixante-dix, les jeunes pousses du New Labour avaient été des opposants résolus à la dictature chilienne) s'est contenté d'affirmer que l'arrestation, intervenue pendant la convalescence de l'octogénaire récemment opéré d'une hernie lombaire, était une procédure normale résultant d'une demande d'extradition normale émanant des Espagnols.
Samedi soir, le président chilien Eduardo Frei par qui aussi Allende est tombé a déclaré à Porto, où se tient le sommet Ibéro-Américain: "Nous pensons que les lois chiliennes doivent être respectées. L'immunité diplomatique protège tous les parlementaires chiliens. Les ressortissants chiliens doivent être jugés par des tribunaux chiliens."
Pour l'heure, nous ne savons pas si une date de comparution a été fixée ou si les autorités espagnoles demanderaient à procéder à un interrogatoire avant toute extradition. Selon la police londonienne, Pinochet ne devrait pas être en état de comparaître devant des juges britanniques, première étape de la procédure d'audition et d'extradition, avant au moins "une ou deux semaines". Les juges espagnols disposent de quarante jours pour déposer une demande formelle d'extradition auprès du ministère britannique de l'Intérieur.
Augusto Pinochet devrait répondre des accusations de "génocide, torture, terrorisme et crimes contre l'humanité" portées par les familles de ceux qui ont disparu ou ont été assassinés durant sa dictature. Le mandat mentionne le meurtre, en 1976, de 80 Chiliens d'origine espagnole figurant au nombre des 3.000 morts ou disparus attribués à la junte de 1973 à 1990 au Chili. Le rôle du général sanguinaire dans "l'opération Condor" serait en bonne place dans les dossiers des juges madrilènes. Ce nom de code désigne un réseau d'agents spéciaux du Chili, d'Argentine, de Bolivie, d'Uruguay et du Paraguay accusés d'avoir éliminé des milliers d'opposants aux dictatures militaires d'Amérique latine dans les années soixante-dix.
Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Abel Matutes, présent au sommet de Porto, a tenu à déclarer que la mesure frappant le général Pinochet était "une décision judiciaire que le gouvernement espagnol respecte". Samedi soir, à Santiago, on laissait entendre que le général Pinochet pourrait être expulsé de Grande-Bretagne, une mesure qui permettrait d'éviter son extradition.
Au Chili, les partisans du dictateur se sont immédiatement mobilisés à l'instigation de son fils, Augusto Pinochet Hiriart, avec la conviction de l'illégalité de l'arrestation et le sentiment d'avoir été trahis par le gouvernement travailliste britannique. D'autant que l'homme dont Fidel Castro a relevé samedi qu'il avait "collaboré avec la Grande-Bretagne" engagée dans la guerre des Malouines contre les Argentins en 1982, a effectué ces dernières années plusieurs visites incognito en Grande-Bretagne. Dans une récente interview au "New Yorker", Pinochet célébrait le Royaume-Uni comme une terre d'accueil où régnait "le respect des règles", accompagnant cependant son propos d'une remarque paraissant prémonitoire: "L'histoire enseigne que les dictateurs ne finissent jamais bien."
Tel était en tout cas l'espoir formulé par les manifestants, réfugiés pour la plupart, massés devant une clinique londonienne gardée par des hommes de Scotland Yard en gilet pare-balles, aux cris de "Pinochet dictateur! L'heure est venue de rendre des comptes". Ou celui exprimé hier par des manifestants devant l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris, demandant à Londres de ne rien lâcher.
BERNARD DURAUD.