Sur l’autoroute, crevassée, des embouteillages interminables se forment : pour un trajet effectué en temps normal en six heures, on met à présent neuf ou dix heures. Les voitures, les autocars qui recommencent à circuler sont pleins à craquer. Tous se rendent dans la région de Concepcion, à 500 km de Santiago, deuxième ville du pays, et épicentre du séisme qui a fait 802 morts le 27 février.
Teresa Aguilar, 50 ans, est originaire de Talcahuano, une petite ville côtière, au nord de Concepcion. La nuit du drame, dix minutes après le tremblement de terre, un tsunami a tout emporté sur son passage. Sa mère et deux sœurs se sont enfuies avec leurs enfants pour gagner les hauteurs. « Elles étaient en pyjama et pieds nus, elles ont marché sur des bouts de verre qui jonchaient le sol et elles sont restées trois jours sur la colline », raconte Teresa. La maison a été dévastée en quelques minutes par les flots.
Le spectre des profiteurs et des pillages
Dans le coffre du bus qu’elles ont pris à Santiago, Luisa et Victoria Rodriguez, deux sœurs originaires de Lota, un autre petit village côtier, emportent onze cartons et deux sacs en toile de jute remplis de lait, de fruits et légumes, de farine, de sucre, de pain, de vêtements pour leur famille qui a tout perdu. L’entreprise de transport leur fait payer 5 000 pesos en plus (7 €), la moitié d’un billet. « Qui me dit que vous n’allez pas revendre tout ça, une fois arrivées là-bas?», leur demande le chauffeur d’un air suspicieux.
Car à Concepcion et dans ses environs, le spectre des profiteurs et des pillages est partout. « Les deux premiers jours, c’était délirant, se souvient Pablo Couffignal, instituteur au lycée français de Concepcion. Les gens se ruaient dans les magasins aux vitrines éventrées et en retiraient tout ce qu’ils pouvaient, papier hygiénique, couches, farine, et bientôt ils ont aussi pris les lave-linge, les téléviseurs à écran plat, les frigos. »
Un véritable vent de panique s’est emparé des habitants, la maire de Concepcion allant jusqu’à parler de guerre civile. Les riverains ont commencé à s’organiser pour défendre leurs biens, construisant des barricades, organisant des tours de garde, imposant des mots de passe, brandissant fusils et bâtons.
"Une solidarité vraiment encourageante"
Depuis, la présidente Michelle Bachelet a imposé l’état d’urgence et un couvre-feu strict (interdiction absolue de circuler entre 18h00 et midi), des mesures accueillies avec soulagement par la population, qui a applaudi les militaires entrant dans la ville.
Mais les habitants de Concepcion reprochent aux autorités d’avoir manqué de réactivité, de n’avoir pas donné d’alerte au tsunami à temps et d’avoir tardé à envoyer les secours. « Face à cette désorganisation, on a pu assister à une organisation des gens, et à une solidarité vraiment encourageante, souligne Pablo. Pour la première fois, on a commencé à se parler vraiment avec mes voisins, ils me demandaient si j’avais besoin de quelque chose, on s’entraidait. »
Un téléthon, dont le but était de récolter 15 milliards de pesos, a finalement recueilli le double de la somme espérée, somme qui sera destinée à la reconstruction. Mais pour l’heure, on songe surtout aux bilans et au nettoyage. Les premiers bulldozers sont apparus pour faire disparaître les tonnes de décombres qui jonchent les rues.
Près de 80% des foyers ont l'électricité, 30% l'eau courante
On prévoit de démolir six immeubles qui risquent à tout moment de s’écrouler avec les répliques : la plupart étaient neufs et on soupçonne les constructeurs de n’avoir pas respecté les normes antisismiques. L’immeuble Alto Rio, 15 étages, 113 appartements et moins de deux ans d’âge, n’a pas résisté plus de cinq minutes : il est littéralement tombé à la renverse, tuant sept personnes.
Au pied du géant écroulé devenu le symbole du séisme, les journalistes venus de tous horizons ont installé un centre de presse improvisé, dormant sur place dans des tentes ou des camping-cars.
Dix jours après la catastrophe, la vie tarde à reprendre son cours normal : près de 80 % des foyers ont l’électricité et 30 % l’eau courante. Le couvre-feu, adouci, n’est plus imposé qu’entre 21h00 et 10h00 depuis samedi 6 mars au soir. Mais la ville vit encore dans l’angoisse des répliques, constantes et parfois très fortes, et des pillages.
Devant les premières épiceries rouvertes, des queues interminables se forment, pour acquérir des produits vendus à deux ou trois fois leur prix normal. Dans les rues, les militaires continuent de patrouiller, l’arme au poing. Et les élèves ne sont pas près de retrouver le chemin de l’école.
Angeline MONTOYA