Bogota et Washington, ou vice versa, ont négocié un accord pour que l’armée américaine puisse utiliser sept bases colombiennes au prétexte de lutter contre le trafic de drogue. La ficelle est si grosse, loin du discours « soft » de la Maison-Blanche sur son dialogue avec les pays de la région, que ce projet fait l’unanimité contre lui. Non seulement le Venezuela,
l’Équateur et le Nicaragua l’ont ouvertement critiqué, mais aussi le Chili et le Brésil - qui a parlé de « résurgence de la guerre froide » - ont fait part de leur préoccupation.
Hier l’Équateur prenait la présidence tournante de l’Union des nations sud-américaines (Unasur). À cette occasion, les présidents de douze pays de la région se réunissaient à Quito, la capitale, où le président Correa entamait, le même jour, son deuxième mandat dans un contexte de crise économique et de tensions sociales.
Le sommet de l’Unasur, qui aurait dû avoir un caractère formel, s’est au contraire ouvert dans l’agitation diplomatique : casse-tête hondurien et réaffirmation du soutien au président déchu Manuel Zelaya, et menace de militarisation américaine dans le sous-continent.
Alavaro Uribe était absent à Quito. Pourtant le Brésil et le Chili avaient insisté auprès du président colombien pour qu’il vienne s’expliquer sur l’accord de principe signé entre Bogota et Washington. Celui-ci prévoit la mise à disposition des bases militaires de Larandia et Apiay (orient colombien), Tolemaida et Palenquero (centre), Malambo (nord), Carthagène (en bordure de la mer des Caraïbes), le lieu de la septième, sur la côte Pacifique, n’étant pas déterminé. Le Congrès des États-Unis a déjà approuvé la somme de 46 millions de dollars pour mettre en oeuvre ce programme destiné à remplacer les installations stratégiques de Manta (Équateur), fermées définitivement en juillet sur décision du président Correa.
Il y a actuellement en Colombie 800 hommes des forces armées des États-Unis et 600 mercenaires, mais ces chiffres, selon les experts, sont plus élevés et devraient être encore augmentés. Pendant ce temps, selon l’ONU, la production et le trafic de drogue, comme en Afghanistan, ne se sont jamais aussi bien portés.
Si Uribe a brillé par son absence à l’Unasur, il avait effectué, la semaine dernière, une tournée dans sept pays de la région. Une tentative pour désamorcer la crise et les craintes qu’il a lui-même provoquées. Le Venezuela et l’Équateur considèrent que l’initiative américano-colombienne menace la sécurité continentale.
De fait, la révolution bolivarienne promue par Hugo Chavez se trouverait complètement cernée, soumise au harcèlement des troupes stationnées en Colombie, renforcé par le soutien des bases américaines un peu partout : Aruba et Curaçao (petites Antilles), Guantanamo (en territoire cubain), Palmerola au Honduras, sans oublier la IVe flotte US, réactivée en juillet 2008.
Evo Morales, le président de la Bolivie, devait soumettre aux participants de la réunion une proposition qui viserait à « rejeter » cette présence renforcée de l’armée américaine en territoire colombien. Le texte de la résolution estime notamment que l’Unasur dispose des « instruments nécessaires pour faire face à des menaces internes comme le trafic de drogue, le terrorisme et l’action illégale de groupes armés sans devoir recourir à des forces armées étrangères ». Le président brésilien Lula, dont le pays tente de redéfinir une position géostratégique plus autonome par rapport aux États-Unis, entendait pour sa part remettre le dossier entre les mains du conseil de défense sud-américain. Cette nouvelle instance de sécurité régionale devrait être convoquée d’ici à la fin du mois d’août.
Bernard Duraud