CARMEN GLORIA QUINTANA EN JUILLET 1987, UN AN APRÈS SON AGRESSION. PHOTO GREGG NEWTON À dix-huit ans, Carmen Gloria Quintana a été brûlée vive par des soldats du régime de Pinochet. Elle a survécu et a, pendant des années, dénoncé les abus du dictateur à travers le monde.
En juillet 1986, Carmen Gloria Quintana avait 18 ans. Cette étudiante aux épais cheveux bruns, issue d’une famille de gauche, s’était jointe à la mobilisation anti-Pinochet qui sévissait en ce début d’été, 13 ans après son arrivée au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat, le 11 septembre 1973. Avec ses amis, elle fournissait une aide logistique, notamment pour les pneus brûlés qui jonchaient les trottoirs de Santiago à la veille de ces deux jours de grève générale. Mais le 2 juillet, sa vie change à tout jamais. Elle est arrêtée par des militaires, avec le jeune photographe Rodrigo Rojas de Negri, âgé de 19 ans et revenu de son exil à Washington pour soutenir la protestation.
«Ils ont d’abord attrapé Rodrigo, l’ont poussé au sol en le frappant. Ils m’ont ensuite plaquée contre un mur pour me fouiller. Rodrigo était par terre, en sang», raconte Gloria, aujourd'hui âgée de 45 ans, à la BBC. Les soldats, aux visages peints, versent alors du kérosène sur les deux jeunes manifestants, seuls face aux militaires: «Ils l’arrosaient comme on arrose une plante», décrit Gloria 27 ans plus tard. L’étudiante pense alors à une blague de très mauvais goût, et se dit même: «Je vais devoir rentrer chez moi me laver, je vais rater les manifestations».
"TUEZ-MOI POUR QUE LA DOULEUR S’ARRÊTE"
Le pire survient alors: «D’un coup, un des soldats a jeté quelque chose près de nous, comme un cocktail Molotov. Dès que l’objet a éclaté au sol, Rodrigo et moi nous sommes transformés en torches humaines.» Gloria perd connaissance et se réveille sur le bas-côté d’une autoroute, «pétrifiée» aux côtés de Rodrigo: «Il manquait la moitié de ses cheveux, tout son visage était noir et brûlé», s’est-elle remémoré auprès de la radio anglaise. Elle ne répète qu'une chose aux policiers prévenus par des ouvriers qui ont découvert les deux jeunes «marchant comme des zombies»: «S’il vous plaît, tuez-moi maintenant, pour que la douleur s’arrête». Après des semaines dans le coma, elle se réveille avec des brûlures aux deuxième et troisième degrés sur les deux tiers de son corps. Rodrigo, lui, n’a pas eu cette chance: il est décédé de ses blessures quelques jours après.
Carmen est restée deux mois et demi à l’hôpital avant d’émigrer au Canada avec sa famille et y subir une série d’opérations –une quarantaine en tout. Un an après son agression, elle est revenue au Chili afin d’assister au procès de ses bourreaux. Un article du «New York Times» racontait alors le calvaire quotidien de la victime: «Les brûlures et les opérations lui ont fait perdre près de 7 kilos de chair et de muscle, la laissant émaciée. Parfois, raconte-t-elle, elle en perd son équilibre si elle marche sans assistance.» La défense, de son côté, assurait que les deux jeunes s’étaient brûlés seuls après avoir fait tomber des cocktails Molotov qu’ils transportaient –en dépit d’une note interne de la police chilienne assurant que cela ne pouvait être un accident. Seul le chef de la brigade présente le jour de l’agression, qu’elle avait identifié, a été poursuivi pour «utilisation non indispensable de la violence» et «homicide involontaire».
SON AGRESSEUR PROMU
Carmen Quintana est retournée vivre au Chili en 1988, deux ans avant la chute d’Augusto Pinochet. En 1991, un tribunal militaire a relaxé le chef de la brigade responsable de l’attaque de Carmen et Rodrigo, l'accusant simplement de «négligeance» à l’encontre des deux brûlés pour ne pas leur avoir fourni d’aide médicale. Entre temps, le soldat avait été promu au rang de lieutenant. Deux ans après, la Cour suprême l’a condamné à 600 jours de prison. La jeune femme, elle, a touché près de 380.000 euros de dédommagement.
Mais l’argent n’était pas la motivation de celle qui était devenue un des visages de la violence du régime de Pinochet aux yeux des Chiliens et du monde. Dans les années 1990, elle a traversé toute l’Europe et l’Amérique du Nord –notamment au Canada, son pays d’adoption– pour dénoncer le régime de Pinochet. «J’ai l’impression d’être la voix de tous les Chiliens qui sont morts», conclut la mère de famille.
CARMEN QUINTANA AVANT ET APRÈS L'AGRESSION CRIMINELLE |
"TUEZ-MOI POUR QUE LA DOULEUR S’ARRÊTE"
Le pire survient alors: «D’un coup, un des soldats a jeté quelque chose près de nous, comme un cocktail Molotov. Dès que l’objet a éclaté au sol, Rodrigo et moi nous sommes transformés en torches humaines.» Gloria perd connaissance et se réveille sur le bas-côté d’une autoroute, «pétrifiée» aux côtés de Rodrigo: «Il manquait la moitié de ses cheveux, tout son visage était noir et brûlé», s’est-elle remémoré auprès de la radio anglaise. Elle ne répète qu'une chose aux policiers prévenus par des ouvriers qui ont découvert les deux jeunes «marchant comme des zombies»: «S’il vous plaît, tuez-moi maintenant, pour que la douleur s’arrête». Après des semaines dans le coma, elle se réveille avec des brûlures aux deuxième et troisième degrés sur les deux tiers de son corps. Rodrigo, lui, n’a pas eu cette chance: il est décédé de ses blessures quelques jours après.
Carmen est restée deux mois et demi à l’hôpital avant d’émigrer au Canada avec sa famille et y subir une série d’opérations –une quarantaine en tout. Un an après son agression, elle est revenue au Chili afin d’assister au procès de ses bourreaux. Un article du «New York Times» racontait alors le calvaire quotidien de la victime: «Les brûlures et les opérations lui ont fait perdre près de 7 kilos de chair et de muscle, la laissant émaciée. Parfois, raconte-t-elle, elle en perd son équilibre si elle marche sans assistance.» La défense, de son côté, assurait que les deux jeunes s’étaient brûlés seuls après avoir fait tomber des cocktails Molotov qu’ils transportaient –en dépit d’une note interne de la police chilienne assurant que cela ne pouvait être un accident. Seul le chef de la brigade présente le jour de l’agression, qu’elle avait identifié, a été poursuivi pour «utilisation non indispensable de la violence» et «homicide involontaire».
SON AGRESSEUR PROMU
CARMEN GLORIA QUINTANA À SANTIAGO, EN 1987. ELLE A ALORS 19 ANS. PHOTO GREGG NEWTON |
Mais l’argent n’était pas la motivation de celle qui était devenue un des visages de la violence du régime de Pinochet aux yeux des Chiliens et du monde. Dans les années 1990, elle a traversé toute l’Europe et l’Amérique du Nord –notamment au Canada, son pays d’adoption– pour dénoncer le régime de Pinochet. «J’ai l’impression d’être la voix de tous les Chiliens qui sont morts», conclut la mère de famille.