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PHOTO MARTIN BERNETTI |
Le magistrat instruit les 158 plaintes déposées contre l'ancien dictateur au Chili.
Le juge Juan Guzmán Tapia n'aura disposé que d'une journée pour se remettre dans le rythme. Arrêté plusieurs semaines pour raison médicale, il n'a repris ses fonctions que lundi. Le lendemain, la Cour suprême ratifiait officiellement la levée de l'immunité parlementaire d'Augusto Pinochet. Cette décision va bien sûr influer sur le travail de ce magistrat de 61 ans. Il est en effet chargé d'enquêter sur l'ensemble des plaintes déposées au Chili contre l'ex-dictateur, au nombre de 158 à ce jour. Cette tâche l'avait notamment conduit en mars à transmettre à la cour d'appel de Santiago la demande de levée d'immunité sollicitée par un groupe de sept avocats dans le cadre de l'affaire de la « Caravane de la mort ». Un dossier que connaît bien Juan Guzmán: c'est lui qui avait décidé de poursuivre l'an dernier plusieurs anciens hauts responsables militaires, en retenant contre eux le délit de «séquestre permanent» pour 19 cas de détenus toujours portés disparus. Et c'est pour ce même chef d'accusation qu'est poursuivi l'ancien dictateur.paru le 10 août 2000 dans le journal Libération
Santiago de notre correspondant Olivier BRAS
Applaudissement. Il avait déjà tenté d'interroger Pinochet voilà quelques mois par le biais d'une commission rogatoire. Mais ce dernier, alors détenu à Londres, s'était refusé à répondre aux 75 questions qui lui étaient adressées, en expliquant qu'il ne reconnaissait pas la compétence de la justice britannique. Interviewé avant-hier après l'annonce de la décision de la Cour suprême, Guzmán a déclaré qu'il espérait maintenant pouvoir interroger directement le général. Rappelant que « personne n'est au-dessus de la loi », il a expliqué que tout inculpé âgé de plus de 70 ans est dans l'obligation de se soumettre à un examen médical destiné à déterminer ses facultés mentales. Ces déclarations ont été recueillies au moment où le magistrat entrait dans la faculté de droit de l'Université du Chili, située dans le quartier populaire de Bellavista. De nombreux passants se sont spontanément mis à applaudir sur son passage. Une réaction bien sûr due à son action contre l'ancien dictateur.
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Peu populaire. Ce n'est pourtant qu'à la suite d'un tirage au sort qu'il a été chargé d'enquêter sur la première plainte déposée au Chili contre Pinochet, en janvier 1998. Jusque-là, Juan Guzmán ne jouissait pas d'une grande popularité au sein des opposants à la dictature. Il ne faisait pas partie de ces juges qui s'étaient impliqués, après le retour de la démocratie, dans la lutte contre l'impunité. Son vote en faveur de l'interdiction de la diffusion au Chili du film de Scorsese, la Dernière Tentation du Christ, l'avait catalogué comme un juge assez conservateur.
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Profitant d'une bourse universitaire, Guzmán a réalisé une partie de ses études de droit à La Sorbonne. Il se trouvait en France en Mai 68 et a suivi de près les profonds changements qu'a connus la société française. Une expérience qui a ensuite inspiré une de ses premières nouvelles. Le magistrat semble en effet avoir hérité de son père le goût de l'écriture. Poète renommé, Juan Guzmán Cruchaga a notamment obtenu le Prix national de littérature. Francophone et francophile, Juan Guzmán est marié à une Française et père de deux filles. Très affable, il s'exprime sur un ton doux et posé. Un comportement qui traduit sa sérénité. Et ce malgré l'importance des décisions qu'il va devoir prendre. Lui-même déclarait hier au quotidien El Mercurio que seule la découverte de la vérité pouvait permettre de faire disparaître la haine qui existe au sein de la société chilienne.
Olivier BRAS