lundi 28 novembre 2016

L’AVENIR DE LA RÉGULATION BANCAIRE SE JOUE AU CHILI

LE COMITÉ DE BÂLE VOUDRAIT RENFORCER LES FONDS PROPRES DES BANQUES

C’est une réunion à hauts risques que va tenir le Comité de Bâle à Santiago du Chili, les lundi 28 et mardi 29 novembre. Cette instance – chargée d’élaborer les règles bancaires mondiales depuis 1974 et la sortie du vieux système monétaire de Bretton Woods – a mis à l’agenda un ordre du jour des plus délicats : accoucher des nouvelles normes de capitaux propres qui s’appliqueront, en 2019, à toutes les banques de la planète, de Washington à Moscou, de Paris à Tokyo, afin de renforcer la solidité du système financier.


 LES ACCORDS DE BRETTON WOODS

L’objectif de cette nouvelle réglementation – qui constitue, en fait, le dernier chapitre d’un paquet de règles global, dit de « Bâle III » – est d’éviter un nouveau choc bancaire dévastateur pour l’économie et la croissance, tel que le fut la crise de 2007-2008, toujours prégnante. Or entre la croissance poussive, le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, jamais le contexte n’a pesé aussi lourd qu’en cette fin 2016. Jamais il n’a rendu l’exercice aussi difficile pour les banquiers centraux et les autorités de tutelle membres du Comité de Bâle.

Leur premier défi est de concevoir des règles plus strictes, en s’assurant que les fonds propres des banques soient bien ajustés aux risques (de crédits, taux, marchés…), sans toutefois entraver ces dernières dans leur premier métier, plus que jamais essentiel pour le retour de la croissance : financer l’économie, soit les entreprises et les ménages. Les exigences de fonds propres ont déjà été doublées depuis la crise.

Mauvais film

Le second défi n’est pas moindre : il s’agit de composer avec une nouvelle donne politique, dont personne ne sait encore les effets qu’elle produira. Que feront le Royaume-Uni de Theresa May et les Etats-Unis de Donald Trump une fois ces standards adoptés ?

Du côté des Européens, l’inquiétude prévaut. Car par le passé, en matière de régulation, dans un contexte politique pourtant plus stable et prévisible, les Américains ont poussé pour l’adoption des règles comptables internationales dures (les « IFRS »)… qu’ils n’ont pas appliquées. Le même scénario s’est joué pour le précédent paquet de règles bancaires, dit de « Bâle II ».
LES NOUVELLES RÈGLES BANCAIRES RÉVÉLERAIENT UN DÉFICIT DE CAPITAUX PROPRES PLUS IMPORTANT DANS LES BANQUES EUROPÉENNES
Les Européens eux, en bons élèves, avaient transposé la réglementation. Ils redoutent donc un remake de ce mauvais film… D’autant que M. Trump veut abolir la loi Dodd-Franck de stabilité financière, votée par les démocrates après la crise financière, et prend le chemin d’une dérégulation massive du secteur…

Surtout, les nouvelles règles bancaires, telles qu’elles sont ­conçues, révéleraient un déficit de capitaux propres plus important dans les banques européennes. Ces craintes sont partagées en Asie, notamment au Japon, où ces dispositions produiraient des effets comparables.

« Impensable ! »

« Les nouvelles règles prudentielles (…) ne doivent pas augmenter de plus de 5 % les exigences de fonds propres imposées aux banques européennes », répète-t-on à l’envi dans l’entourage de Michel Sapin, alors que le projet entraînerait un bond en capital de 20 % à 25 %. « Impensable ! », renchérit-on à Bruxelles, où le Commissaire aux services financiers, le Letton Valdis Dombrovskis, menace déjà de ne pas appliquer des règles inéquitables. Une perspective fatale pour le Comité de Bâle, dont l’influence serait remise en cause !

De fait, sur le plan technique, et en résumé, le Comité de Bâle prône la généralisation d’une approche « standardisée » du risque – la même pour toutes les banques –, réduisant le poids des références internes utilisées par celles-ci. Cette méthode étant déjà employée aux Etats-Unis, les banques américaines s’en trouveraient avantagées.

Cette approche consiste, pour calculer les risques d’une banque, donc le capital à immobiliser en conséquence, à appliquer une méthode d’évaluation externe, préétablie. En sus, des seuils planchers de capitaux (« floors ») seraient fixés, en deçà desquels les banques ne pourraient descendre.

« Trouver le bon arbitrage »

Au contraire, les banques européennes ont privilégié une méthode de calcul interne, où chacune évalue ses propres risques, sous le contrôle de sa tutelle. Le passage à Bâle III constituerait donc une rupture. Avec plus d’argent à mobiliser, de manière forfaitaire, quel que soit le profil de risques d’une banque.

Dans le camp américain, l’argument des Européens ne passe pas. Si les banques européennes ne satisfont pas aux nouvelles normes, c’est qu’elles sont sous-capitalisées, martèle-t-on. A elles de s’adapter, pour le bien de tous et pour la stabilité financière.
« L’UE DOIT ACCEPTER CES RÈGLES, MÊME SI CELLES-CI NE LUI SONT PAS FAVORABLES »
Très politique, le débat est suivi de près par les économistes. « Il est légitime pour l’Europe de vouloir peser dans ces discussions. Il en va du financement de l’économie, sur un territoire où les banques comptent pour plus de 70 % de ce financement », déclare Laurence Boone, chef économiste du groupe AXA et responsable de la recherche chez AXA Investment Managers.

« L’objectif, appuie-t-elle, c’est de trouver le bon arbitrage entre cet impératif et la sécurité du système financier. » Car, poursuit Mme Boone, « on a tendance, post-crise, à empiler les réglementations, sans prendre le temps d’effectuer le bilan des mesures déjà en place. Or il se faut se méfier des effets secondaires, non anticipés… »

« Financer les plans de relance »

Pour Jean-Patrice Prudhomme, responsable de la stratégie d’investissement de Barclays Bourse, « l’enjeu est d’autant plus fort, qu’il faudra des banques solides pour ­financer les plans de relance qui s’annoncent, en Europe et aux Etats-Unis ». « Il est important qu’elles soient toutes évaluées de la même manière », ajoute-t-il, confiant sur l’issue des débats :

WILLIAM COEN, SECRÉTAIRE
GÉNÉRAL DU COMITÉ DE BÂLE.
« Les pays développés ont intérêt à une solution commune, bonne pour l’économie. Et c’est aussi dans cet objectif d’accompagner les Etats vers la croissance, que s’inscrivent la Banque centrale européenne et le Comité de Bâle… »
Très agité ces derniers mois, le débat paraissait d’ailleurs s’apaiser un peu, à la veille de la réunion au Chili, avec la recherche d’un compromis. Dans un discours remarqué, en octobre, le ­secrétaire général du Comité de Bâle, William Cohen, donnait ainsi quelques gages, écartant la piste d’un durcissement uniforme des règles :

« L’objectif est de réduire la variabilité observée dans la mesure du risque entre banques, en se concentrant sur les situations aberrantes… Tout en n’augmentant pas significativement les exigences globales en fonds propres. »

NICOLAS VÉRON
« Je crois à un accord, au Chili ou dans les prochaines semaines, pour avancer sur une base commune », conclut Nicolas Véron, économiste au think tank européen Bruegel et au Peterson ­Institute de Washington, pour qui le renforcement de la régulation prime.

« L’Union européenne doit accepter ces règles, même si celles-ci ne lui sont pas favorables, dit-il. C’est une position doctrinaire que de dire qu’on ne veut pas d’augmentation significative de capital, sans regarder au fond une réforme qui vise à ­venir à bout des angles morts de la régulation. Il y a aujourd’hui des trous dans la raquette, avec des banques qui pondèrent mal leurs risques. L’Europe défendra mieux ses intérêts en se mettant en conformité. »