[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
FIDEL CASTRO EN 1994, À LA HAVANE. PHOTO GERARD RANCINAN |
Lors du deuxième sommet de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (Celac), le 29 janvier 2014, les dirigeants des trente-trois pays de la régions ont proclamé Fidel Castro « guide politique et moral d’Amérique », un titre qui illustre la stature singulière du « líder máximo ».
David moderne, l’homme incarne la résistance contre le Goliath nord-américain. Invasion, tentatives d’assassinat, embargo économique, financement de l’opposition : Washington aura tout tenté pour renverser les « barbus » parvenus au pouvoir en 1959 et démontrer le danger de leurs ambitions. De la même façon que la menace soviétique a conduit les élites européennes à quelques concessions au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, Cuba a — un temps — obligé les États-Unis à modifier leur approche de leur « arrière-cour ». Dès le 13 mars 1961, le président John Fitzgerald Kennedy proclame : « Transformons à nouveau le continent américain en un vaste creuset d’idées révolutionnaires (…). Réveillons à nouveau notre révolution américaine jusqu’à ce qu’elle guide les combats des peuples en tout lieu. ». Aurait-il employé un tel vocabulaire si les combattants de la Sierra Maestra n’avaient pas, défiant tous les pronostics, toutes les prudences, défait une dictature corrompue inféodée aux États-Unis ? Il fallut néanmoins attendre plus d’un demi siècle avant que Washington ne lève (en partie) l’embargo qu’il infligea à l’État et au peuple qui avaient introduit le désordre — c’est-à-dire un peu de justice — dans une région longtemps peuplée de dictateurs et de tyrans.
Cuba a presque la population de sa voisine Haïti. Cela donne une idée de ce qu’aurait pu devenir le pays en matière d’éducation, de santé, de fierté nationale, de prestige international sans la révolution. Quel pays aujourd’hui n’est pas représenté à La Havane par des diplomates de talent? Une telle reconnaissance, nourrie par l’épopée d’une des plus grandes révolutions de l’histoire de l’humanité, a reposé sur des hommes hors du commun. Au départ, ils n’étaient qu’une poignée. Fidel Castro fut du nombre. A l’âge de 13 ans, il organisait sa première insurrection : celle des travailleurs des champs de canne à sucre de son père (1).
En 1960, en visite à Cuba, Jean-Paul Sartre choisit
justement de titrer « Ouragan sur le sucre » la série d’articles qu’il consacra à l’île qui venait de rendre sa fierté à l’Amérique latine et qui s’apprêtait à devenir un quartier général des révolutionnaires de la Tricontinentale. Sartre écrivait : « Le plus grand scandale de la révolution cubaine n’est pas d’avoir exproprié les planteurs, mais d’avoir mis les enfants au pouvoir. (…) S’il faut un fil conducteur — et il en faut un — la jeunesse est l’évidence la plus immédiate, la plus indéniable ; (…) ici, sans cesser d’être un âge de la vie, elle est devenue une qualité intérieure de ses chefs. (…) Il faut n’avoir pas trop vécu pour commander ; pour obéir, il suffit d’avoir plus de trente ans. (2) »
Mais le philosophe avertissait : « Quand l’homme-orchestre est trop vieux, la révolution grince, elle est raide. » Au fil des décennies, les pénuries, les procès, la répression ont assombri le bilan éclatant de la révolution. Et, depuis des années déjà, Cuba n’appartient plus vraiment à l’homme orchestre qui l’a fait exister dans la conscience des peuples du monde entier.
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
SIMONE DE BEAUVOIR ET JEAN-PAUL SARTRE AVEC FIDEL CASTRO PENDANT LEUR VISITE À CUBA EN 1960 |
justement de titrer « Ouragan sur le sucre » la série d’articles qu’il consacra à l’île qui venait de rendre sa fierté à l’Amérique latine et qui s’apprêtait à devenir un quartier général des révolutionnaires de la Tricontinentale. Sartre écrivait : « Le plus grand scandale de la révolution cubaine n’est pas d’avoir exproprié les planteurs, mais d’avoir mis les enfants au pouvoir. (…) S’il faut un fil conducteur — et il en faut un — la jeunesse est l’évidence la plus immédiate, la plus indéniable ; (…) ici, sans cesser d’être un âge de la vie, elle est devenue une qualité intérieure de ses chefs. (…) Il faut n’avoir pas trop vécu pour commander ; pour obéir, il suffit d’avoir plus de trente ans. (2) »
Mais le philosophe avertissait : « Quand l’homme-orchestre est trop vieux, la révolution grince, elle est raide. » Au fil des décennies, les pénuries, les procès, la répression ont assombri le bilan éclatant de la révolution. Et, depuis des années déjà, Cuba n’appartient plus vraiment à l’homme orchestre qui l’a fait exister dans la conscience des peuples du monde entier.
(1) Cf. Volker Skierka, Fidel Castro : A Biography, Polity Press, Cambridge, 2004. (2) Jean-Paul Sartre, « Ouragan sur le sucre », reportages publiés dans France-Soir, Paris, du 28 juin au 15 juillet 1960.