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VITRY-SUR-SEINE (VAL-DE-MARNE), MERCREDI. ARSÈNE TCHAKARIAN, ÂGÉ DE 100 ANS,N’A RIEN OUBLIÉ DE SES ANNÉES DE RÉSISTANCE DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE. PHOTO LUCILE MÉTOUT |
L'ancien membre du groupe Manouchian, composé de résistants communistes, vit toujours chez lui dans le Val-de-Marne.
Le téléphone sonne. C'est le 7ème appel de la matinée. Cramponné à sa canne, Arsène Tchakarian décroche le combiné et croule sous les félicitations. « Merci commandant », répond timidement l'ancien artilleur, tout en réceptionnant auprès d'un livreur son troisième bouquet de fleurs. Arsène Tchakarian vient de fêter son centenaire dans son modeste pavillon de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). A deux pas de l'avenue du Groupe-Manouchian, le célèbre commando des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée de Paris), dont il est le dernier survivant. « Cent ans ? Moi je ne sens rien. Et puis, ce n'est pas moi le héros, précise-t-il. Ce sont mes camarades qui ont été tués. »
Sa mine fatiguée reste impassible mais les attentions lui vont au cœur. « Il y a des chocolats plein les placards... J'aimerais verser une larme. Je ne peux pas. Je n'ai jamais pleuré. » Pas même le 21 février 1944, alors que ses 22 frères d'armes tombaient sous les balles allemandes dans la clairière du mont Valérien. Pourtant, pas un jour ne passe sans qu'il ne ressasse les visages de l'Affiche rouge, propagande nazie stigmatisant les activistes de « l'Armée du crime ». « Je ne vis que pour eux depuis leur arrestation. »
La mémoire des mots grésille mais les images sont intactes. Né en Turquie en décembre 1916, exilé à Paris en 1930, le maître tailleur n'a rien oublié de son « premier coup », le 17 mars 1943. Son ami Missak Manouchian, arménien lui aussi, avait prévenu : « Fini les tracts, on nous demande de combattre avec des armes. Je vais te présenter quelqu'un. » C'est Marcel Rayman, le cerveau de l'opération.
Déraillements de trains, exécutions en plein jour
« C'était sur le pont Henri-IV à Paris. Il m'a demandé mon nom. Missak m'avait interdit de donner le vrai. Alors j'ai dit Charles, pensant à un autre roi de France ! » Rayman lui tend une grenade à jeter « au milieu des soldats ». « Manouchian, ou plutôt Georges, me l'a prise des mains pour la lancer lui-même », poursuit l'ex-militant clandestin. Le lendemain, ils attaquent des Feldgendarmes à Levallois-Perret.
Déraillements de trains, exécutions en plein jour, récupération de documents chez les communistes arrêtés : la cavale des FTP-MOI de Manouchian s'arrête en novembre 1943. « J'avais rendez-vous avec Olga Bancic, la seule femme du réseau, à la gare d'Orsay. Elle n'était pas au rendez-vous. C'était la première fois. Et j'avais vu des flics marcher derrière Rayman la veille. Je suis pas con, j'ai compris. » Une vieille connaissance l'aidera à se cacher à Bordeaux, où reprendront les opérations d'espionnage, avant le maquis du Loiret.
Après la guerre, il devient historien et publiera trois livres. Mais si le vétéran croyait en avoir fini avec les combats, il se trompait. L'hiver dernier, il a été agressé à son domicile. « Elles étaient deux », assure Jacqueline, Mme Tchakarian depuis soixante et un ans. Elle essuie des coups. Son mari, frappé à la tête, garde aujourd'hui d'handicapantes séquelles. Mais ne lui parlez pas de maison de repos. Arsène Tchakarian est bien trop attaché à sa liberté.
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