vendredi 6 avril 2018

BRÉSIL. COUP DE FORCE JUDICIAIRE ET MILITAIRE CONTRE LULA


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LULA, LE 7 AVRIL 2018 AU SIÈGE DU SYNDICAT DES
MÉTALLURGISTES, PRÈS DE SAO PAULO.
PHOTO NELSON ANTOINE
D’une voix, la Cour suprême du Brésil a rejeté mercredi le maintien en liberté de l’ex-président Lula, favori à la présidentielle d’octobre. Sur fond de menaces de l’armée.
L'ANCIEN PRÉSIDENT BRÉSILIEN LUIZ INACIO LULA DA SILVA
ASSISTAIT SAMEDI MATIN À UNE MESSE EN PLEIN AIR À
L'OCCASION DU PREMIER ANNIVERSAIRE DU DÉCÈS DE SA FEMME.
PHOTO  REUTERS/STRINGER  
Les instigateurs du coup d’État de 2016 jubilent. Pourtant, le nouvel épisode dans la cabale judiciaire contre Lula révèle le degré de délabrement de la démocratie au Brésil. Mercredi, la Cour suprême a en effet rejeté le recours d’« habeas corpus préventif » présenté par la défense de l’ex-président de gauche afin de lui éviter la prison tant que tous les recours n’ont pas été épuisés. Au terme de onze heures de débats retransmis à la télévision, c’est finalement Carmen Lucia, la présidente de la Cour, qui a fait basculer la décision de cette haute juridiction. Les juges n’avaient pas à se prononcer sur le fond de la condamnation en première instance pour « corruption passive » concernant un appartement au bord de la plage offert à Lula en échange de contrats avec l’entreprise pétrolière Petrobas. Une condamnation, rappelons-le, qui n’a jamais reposé sur des preuves mais sur la confession d’un entrepreneur qui a bénéficié d’une remise de peine. Or, le seul fait avéré est que ni Lula ni l’un de ses porches n’ont profité dudit appartement. Mais qu’importe pourvu que le leader du Parti des travailleurs vacille alors qu’il fait figure de grand favori à l’élection présidentielle prévue en octobre 2018, selon tous les sondages. La vacuité avait elle aussi primé pour dégager Dilma Rousseff du pouvoir en 2016.

Pressions sur la Cour suprême

À une très courte majorité donc, les magistrats ont évacué le concept même de présomption d’innocence, en se rangeant derrière la demande de mise aux arrêts de Lula formulée par les juges en seconde instance. Façon de museler sa précampagne avant la date butoir du dépôt des candidatures officielles le 15 août. « Ce vote est sans grande surprise. Cela fait très longtemps que la perspective de laisser Lula jouer un rôle sur la scène politique est inacceptable pour une partie des acteurs politiques brésiliens, y compris par le pouvoir judiciaire. Si l’on se place dans le schéma global d’un coup d’État institutionnel, la poursuite de la persécution judiciaire contre Lula est totalement logique », estime Maud Chirio, historienne et spécialiste du Brésil. Les débats qui ont agité la Cour suprême reflètent l’extrême polarisation du pays. Certes, les grandes conquêtes sociales des deux mandats de l’ancien ouvrier syndicaliste ont figuré en bonne place des prises de parole. « Mais ici nous venons appliquer la jurisprudence », a tranché Luis Roberto Barroso, l’un des opposants à l’habeas corpus. En face, le juge Ricardo Lewandowski a, lui, rappelé que l’emprisonnement d’une personne qui n’a pas écopé de sentence définitive constituait une atteinte au « droit sacré à la liberté ». Quant au magistrat Celso de Mello, il a critiqué les hauts gradés des forces armées qui, ces derniers jours, ont multiplié les pressions sur la Cour suprême. « Les déclarations imprégnées d’un insolite contenu d’avertissements enfreignent clairement le principe de séparation des pouvoirs », leur a-t-il rappelé. Les militaires « partagent le sentiment des Brésiliens qui répudient toute impunité », a écrit la veille le chef de l’armée, le général Eduardo Villas Boas, sur son compte Twitter, provoquant une vague d’inquiétude. Auparavant, le général Hamilton Mourão avait déclaré que si la Cour n’assurait pas « sa respectabilité, nous entrerons dans la route du chaos, et seules les forces armées peuvent empêcher cela ». Des propos d’une extrême gravité dans un pays qui a subi une dictature militaire de 1964 à 1985. « Un grand nombre d’institutions participent au coup d’État, dont des institutions judiciaires et militaires. Ses acteurs, aux intérêts relativement différents, sortent des rails de la démocratie représentative. L’opinion publique internationale et les médias internationaux doivent enfin considérer le caractère inconstitutionnel, illégal et extradémocratique de ce qui se passe au Brésil. (...) Les portes du glissement autoritaire sont ouvertes », avertit l’universitaire Maud Chirio. Concernant la persécution judiciaire contre Lula pour l’écarter de la course au pouvoir, elle pourrait bien le conduire incessamment sous peu en prison. La décision de la Cour suprême n’est certes pas exécutoire mais, dans le Brésil d’aujourd’hui, tous les scénarios sont possibles, y compris les pires.


Le pt sur le pied de guerre

Le Parti des travailleurs (PT) a aussitôt émis un communiqué pour dénoncer la décision de la Cour suprême de rejeter l’habeas corpus présenté par la défense de Lula. Il estime que la « Constitution a été déchirée par ceux-là mêmes qui doivent la défendre ». « Il n’y a pas de justice dans cette décision. Il y a une combinaison d’intérêts politiques et économiques contre le processus démocratique », fustige la formation de gauche. Le PT rappelle que le peuple brésilien a le droit de voter pour Lula. « Le PT défendra cette candidature dans les rues et dans toutes les instances, jusqu’aux ultimes conséquences », prévient-il.

Cathy Dos Santos