dimanche 20 avril 2008

La mission internationale de la FIDH à Santiago


La mission rencontrera les familles des victimes, des juges et avocats travaillant sur les droits de l'homme, mais aussi les autorités chiliennes. La mission réalisera par ailleurs un travail d'information sur la procédure de compétence extraterritoriale en cours en France auprès de responsables politiques et de la société civile.

Un procès historique

Le 16 octobre 1998, le Général Augusto Pinochet est arrêté à Londres, à la demande des autorités judiciaires espagnoles. Dans les jours qui suivent, les familles de ces quatre ressortissants français disparus au Chili entre le 11 septembre 1973 - date du coup d'état -, et le 9 février 1977 déposent plainte en France pour obtenir enfin la vérité et la justice, qu'elles n'ont pas obtenu au Chili.

La FIDH, et ses organisations membres au Chili, la Corporation pour la défense et la promotion des droits du peuple (CODEPU) et la Ligue française des droits de l'homme et du citoyen (LDH), ainsi que les organisations France Amérique Latine et l'association des Ex prisonniers politiques chiliens en France, se constituent alors parties civiles aux côtés des familles des victimes.

L'instruction, ouverte par le Juge Le Loire à partir du le 30 octobre 1998, a été close par la Juge Sophie Clément le 21 février 2007, par une ordonnance de renvoi devant la cour d'assise.

Ainsi, un procès historique se tiendra devant la Cour d'assises de Paris - la plus haute juridiction criminelle française - à partir du 19 mai prochain: celui de 15 auteurs présumés des crimes de torture et disparition forcées de ressortissants français ou franco-chiliens, perpétrés durant les premières années de la dictature militaire au Chili.

Ce procès devrait permettre la première condamnation du système répressif de la la dictature de Pinochet telle qu’elle a régné de 1973 à 1990 au Chili. Les crimes poursuivis de disparition - qualifiées d’arrestation et séquestration aggravées en droit français, de torture et d’acte de barbarie rendent compte de l’échelle de commandement du régime, et portent sur des évènements très marquants de la dictature: le bombardement du Palais présidentiel de la Moneda, le plan condor visant l’élimination des opposants des régimes dictatoriaux de la région, les crimes commis dans le centre clandestin de torture « la colonie ’Dignidad’ » mis en place par l’ancien criminel nazi Paul Schaeffer.

"Les audiences permettront entre autres de faire entendre plusieurs témoins historiques. En dépit de la mort d’Augusto Pinochet, ce procès n’en sera pas moins celui, posthume, du dictateur, mais également le seul de l’ensemble du système de répression mis en place", ont déclaré les avocats des familles, Maîtres William Bourdon et Sophie Thonon et des associations Maîtres Claude Katz, Benjamin Sarfati.

Les juridictions françaises sont compétentes ici car les victimes sont de nationalité française, et les crimes commis, imprescriptibles et continus.

Il est d'ailleurs aujourd'hui admis que perpétrés de manière systématique et massive, ces crimes sont des crimes contre l'humanité : leur répression dépasse nécessairement les frontières et contribue à la lutte contre l’impunité à un niveau mondial.

Contexte historique au Chili:

Le 11 septembre 1973, Augusto Pinochet, avec le soutien des Etats-Unis, a dirigé un coup d'état contre le gouvernement de l'unité Populaire de Salvador Allende. Il bombarde le palais présidentiel de la Moneda, où le Président Allende résiste, avant de se suicider.

La dictature militaire d'Augusto Pinochet durera 17 ans, jusqu'au 10 mars 1990. Elle vise l'élimination des opposants politiques « ennemis de la Nation ». Le crime de torture caractérise ce régime répressif. Disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires et exils forcés sont aussi systématiques.

Sur la base des travaux de la Commission nationale de vérité et réconciliation, de la Corporation nationale de réparation et réconciliation (établies en 1990 et 1992 sur les seules violations du droit à la vie), et de la Commission prison politique et torture (établie en 2003) l'Etat chilien reconnaît officiellement, 3197 victimes de disparitions ou exécutions, 28461 victimes de torture.

Il est généralement admis que le mandat limité de ces instances, notamment, a laissé de côté des milliers d'autres victimes non identifiées comme telles.

La détention d’Augusto Pinochet à Londres en 1998 a permis de relancer les procédures en cours, initiées par les victimes de la dictature chilienne, au Chili comme à l’étranger. Près de 300 enquêtes sont en cours au Chili. Peu ont pour l'instant abouti à des sanctions définitives.

La prescription comme la loi d'amnistie de Pinochet continuent de faire partiellement obstacle.

Les quatre victimes franco-chiliennes:

Georges Klein – Conseiller du Président Allende

Né en France le 29 décembre 1945, Georges Klein s'est expatrié au Chili en 1953. En 1971, il épouse Alice Vera Fausto, avec laquelle il aura une fille, Vanessa.

Psychiatre de profession, il milite au parti socialiste, puis au parti communiste (1967). Il devient conseiller du Président Allende, élu en octobre 1970.

Georges Klein se trouvait aux côtés du président Salvador Allende lors du bombardement du palais de la Moneda. Comme les autres défenseurs du Palais, il est fait prisonnier ce même jour et transféré en car, avec une quarantaine de personnes, au régiment TACNA (régiment d'artillerie de l'armée de terre). Le régiment était commandé par le lieutenant colonel Luis RAMIREZ PINEDA qui, avec le General Javier PALACIOS, dépendait du général Herman Brady ROCHE, commandant en chef de la garnison de Santiago.

Sur place, les 40 prisonniers sont conduits dans les écuries et sommés de s'allonger sur le ventre, les jambes écartées et les main derrière la nuque jusqu'au lendemain. Selon de nombreux témoignages, les prisonniers ont subis de mauvais traitements lors du transfert et au régiment de TACNA : coups violents, obligation de rester immobile dans le froid, privation d'eau et de nourriture, menaces de morts, etc.

Le 13 septembre, Georges Klein, conduit avec 20 autres personnes dans un camion benne hors du Régiment TACNA, disparaît sans laisser de traces. Certains témoignages recueillis pendant l'enquête relatent qu'il aurait pu être conduit sur les terrains de PELDEHUE, où il aurait été abattu par des tirs de mitrailleuses sur ordre du major Rafael AHUMADA VALDERRAMA.

Etienne Pesle – en charge de la réforme agraire à l'Institut du développement de l'agriculture et de la pêche (INDAP) à Temuco

Né en France le 9 janvier 1927, Etienne Pesle, alors prêtre, part au Chili en 1953 pour se consacrer aux plus démunis. En 1966, il quitte la prêtrise et épouse Aydée Mendez Caceres dont il aura deux enfants, Robert et Anne-Marie.

Etienne Pesle était en charge de la réforme agraire à l'INDAP dont le but était, suivant la politique définie par le Président Allende, de redistribuer des terres au profit des paysans pauvres et dans la région de TEMUCO, plus particulièrement aux paysans Mapuche. Etienne Pesle était également adhérent au parti d'Allende, mais ne menait aucune activité politique au sens strict.

Le 12 septembre 1973, Etienne Pesle est arrêté une première fois pendant 24 heures, mais sans être interrogé ni torturé. Le 19 septembre il est arrêté une seconde fois sur son lieu de travail par des militaires portant l'uniforme de la FACH (Force aérienne chilienne), parmi lesquels Emilio SANDOVAL POO, officier de réserve de la FACH. Le groupe est commandé par Miguel MANRIQUEZ, pilote civil et propriétaire terrien à l'encontre duquel Etienne Pesle avait conduit des opérations d'expropriation au profit des indiens Mapuche. A partir de ce jour, sa famille ne le reverra plus.

Des indices concordant permettent de soutenir qu'il a été ensuite conduit à MAQUEHUE, base de l'armée de l'air au sud de Temuco. Des nombreux témoignages permettent d'observer que la torture a été appliquée dans beaucoup d'enceintes de détention de la région. Dans quelques-unes, des civils auraient été autorisée à agir.

Le sort ultérieur d'Etienne Pesle reste indéterminé. Certaines personnes rapportent qu'il aurait été tué et son corps jeté à la mer depuis l'avion privé de Miguel MANRIQUEZ.

Alphonse Chanfreau, membre du MIR, responsable de la ville de Santiago

Alphonse Chanfreau est né le 22 décembre 1950 à Santiago. Sa famille est d'origine française et avait conservé la double nationalité française et chilienne.

Il épouse Erika Hennings en 1972, dont il aura une fille, Natalia.

Membre du Movimiento Izquierda Revolucionaria (MIR), parti révolutionnaire de gauche, il devient à la suite du coup d'Etat du 11 septembre 1973, responsable de la ville de Santiago.

Le 30 juillet 1974, Alphonse Chanfreau est arrêté à son domicile, par la police politique (Dirección de Inteligencia Nacional – DINA). Gerardo GODOY GARCIA et Osvaldo ROMO MENA ont participé à cette opération. Son épouse, Erika, a été arrêtée le lendemain matin «pour que son mari parle».

Pendant 15 jours de détention au 38 rue Londres, les époux sont sauvagement torturés par, notamment, Osvaldo ROMO et Miguel KRASNOFF MARTCHENKO et Marcelo MOREN BRITO.

Erika Chanfreau est ensuite transférée dans d'autres centres de détention puis expulsée vers la France. Alphonse Chanfreau est pour sa part, transféré le 13 août 1974 à la Villa Grimaldi où on lui écrase les jambes avec véhicule avant d'être reconduit au 38 rue de Londres. Disparu depuis, certains témoins indiquent qu'il aurait été conduit à la « Colonia Dignidad », lieu de séquestration et de torture pour les prisonniers et lieu de formation pour les agents de la DINA, quiavait été créée par Paul SCHAEFFER, ancien criminel nazi.

Jean-Yves Claudet – Membre du MIR, en charge des relations internationales

Jean-Yves Claudet est né le 30 janvier 1939 à Maipu, Chili. Il possédait la double nationalité française et chilienne.

Il épouse Arhel Danus en février 1962, avec laquelle il aura deux fils, Etienne et Roger.

Ingénieur de profession, Jean-Yves Claudet était adhérent du MIR. Arrêté à deux reprises en 1973, il restera un an en détention. Libéré, il est immédiatement transféré à l'Ambassade française et embarqué sur un vol à destination de France.

De France, Jean-Yves Claudet aide à l'installation d'une cellule du MIR en Argentine. Il se rend à Buenos Aires le 30 octobre 1975, en possession de microfilms. Il est interpellé à l'Hotel Liberty le 1er novembre 1975 par les agents de la police secrète argentine (SIE), dans le cadre du Plan Condor. Un représentant de la DINA à Buenos Aires préviendra par la suite, dans un mémorandum adressé à sa hiérarchie, que Jean-Yves Claudet « Ya no existe » - n'existe plus.

Les accusés : voir +

- M. BRADY ROCHE Hernán Julio

- M. SANDOVAL POO Emilio

- M. RAMÍREZ PINEDA Luís Joachim

- M. AHUMADA VALDERRAMA Rafael Francisco

- M. GODOY GARCÍA Gerardo Ernesto

- M. ZAPATA REYES Basclay Humberto

- M. KRASNOFF MARTCHENKO Miguel

- M. MOREN BRITO Marcelo Luís

- M. ESPINOZA BRAVO Pedro Octavio

- M. SCHAEFFER SCHNEIDER Paul

- M. CONTRERAS SEPÚLVEDA Juan Manuel Guillermo

- M. ARRANCIABIA CLAVEL Enrique Lautaro

- M. ITURRIAGA NEUMANN Raúl Eduardo

- M. ZARA HOLGER José Octavio

- M. RIVEIRO José Osvaldo

Augusto Pinochet était également poursuivi pour sa responsabilité pénale personnelle et directe dans la disparition et la torture des quatre victime, en tant que Chef de la junte : un mandat d’arrêt international avait également été délivré contre lui. Les poursuites ont pris fin avec son décès survenu le 10 décembre 2006, quelques semaines seulement avant l'adoption de l’ordonnance de mise en accusation de la Juge Sophie Clément. Trois autres suspects poursuivis dans cette affaire sont aussi décédés avant l’ouverture de ce procès : Javier Secundo Emilio PALACIOS RUHMANN, Osvaldo ROMO MENA, Andres Rigoberto PACHECO CARDENAS.