Les Chiliens ne prêtent plus attention à eux, qu'ils dorment paisiblement sur les places, à deux pas du Palais présidentiel, qu'ils se promènent en bandes, généralement placides, ou traversent la chaussée en même temps que les piétons. Pour les visiteurs, cela reste un spectacle inouï.
"C'est comme si l'instinct de survie leur avait appris que c'est ainsi qu'il faut traverser sans risque d'être écrasé", s'émerveillait cette semaine Pablo Arroyo, Portoricain de passage dans la métropole de 5 millions d'habitants.
Mais les Chiliens aussi peuvent s'en émouvoir.
Fin 2008, le pays -et des dizaines de milliers d'internautes dans le monde- furent bouleversés par les images d'un de ces chiens jouant, au péril de sa vie, les sauveteurs pour un congénère blessé sur la Costanera, voie rapide de Santiago.
Dans une scène de quelques minutes captée par des caméras de surveillance routière, l'animal zigzaguait savamment entre les voitures lancées, longeait les glissières de sécurité. Et tira par les pattes, par le cou, le blessé hors de la chaussée.
Héroïsme vain -le blessé succomba- et resté anonyme, mais qui redora un peu l'image des chiens errants de Santiago, à mi-chemin entre curiosité sympathique et risque sanitaire.
Nul ne connait vraiment la génèse, ni le nombre de ces canins, souvent bâtards -malgré une fréquente influence de berger allemand- de taille moyenne, ni faméliques ni vraiment laids, et le plus souvent inoffensifs.
Les autorités sanitaires les estimèrent l'an dernier à 250.000 environ, mais le vétérinaire Fabian Espinola, spécialiste de démographie canine, juge la réalité plus proche de 50.000.
En fait, explique-t-il à l'AFP, "il y a quatre types: le supervisé, qui se promène avec son maître, le chien errant qui a une +maison+ mais déambule librement dans les rues, le chien de voisinage, entretenu par un concierge ou la bonne volonté de riverains, et le vagabond total".
Le "domicilié-errant" représente la majorité, 70% environ. Car le vrai vagabond à terme ne peut survivre. "Ou bien il trouve une sorte de foyer, ou bien il meurt".
Pour Pamela Alfaro du Réseau d'information animal, la prolifération tient à divers facteurs: l'absence de politique d'élimination des errants, qu'ont d'autre pays, l'absence de fourrière municipale, et des campagnes tardives -et localisées- de stérilisation, depuis 2005 quand l'ampleur du phénomène commença à inquiéter.
Et puis, ici comme ailleurs, "des gens achètent des chiots sans réfléchir en terme d'espace, de ressources", ajoute-t-elle. "Il s'enthousiasment, puis se rendent compte que l'animal mange, salit, demande attention et budget". Et au final l'abandonnent.
Une campagne d'élimination a ses partisans, mais pourrait être une fausse bonne idée.
"Le chien est un animal hiérarchique, avec une organisation politique, des leaders et suiveurs", explique Valeria Munoz, de l'Unité de défense animale. "Ces animaux du centre-ville marquent leur territoire, évitent que d'autres ne pénètrent. Ils s'adaptent à la faune urbaine, et contrôlent l'espace ou il trouvent refuge et nourriture".
"Les tuer ouvrirait un vide où s'engouffreraient 10 ou 15 fois plus" de chiens.
Et paradoxalement, s'il y avait une campagne massive de stérilisation, que les propriétaires refusent généralement d'assumer, on verrait une vague d'adoptions de chiens de rue, prédit Espinola.