Bien qu'elle ait été quelque peu modifiée dans son contenu, cette loi s'applique aujourd'hui aux Mapuches en conflit, sur leurs terres, avec des entreprises multinationales forestières, papetières et hydroélectriques qui détruisent sans vergogne l'écosystème dans lequel ils vivent depuis des siècles.
Une centaine de Mapuches se trouvent derrière les barreaux pour s'être opposés, certains violemment, à ces entreprises. La loi les désigne comme « terroristes ».
Nous avons rencontré une réalisatrice, Elena Varela, qui, pour avoir filmé les communautés mapuches pendant plusieurs années, s'est retrouvée elle-même dans les mailles d'un système policier bien ficelé : celui-ci a cherché à la faire taire en l'inculpant « d'association de malfaiteurs » et de « liens avec un groupe terroriste ».
Détenue en préventive pendant quatre mois dans une prison de haute sécurité, soupçonnée -sur témoignage sans preuves d'une femme qui n'est jamais venue au procès et a fini par disparaître- d'avoir commandité deux attaques à main armée en 2004 et 2005, le ministère public voulait la voir à l'ombre pendant quinze ans. Mais en prouvant que toutes ces accusations étaient fausses, Elena Varela a pu être libérée le 22 avril 2010. Entretien.
Comment vous intéressez-vous aux revendications des Mapuches?
Pour moi, le travail d'investigation journalistique a commencé le 7 novembre 2002, avec la mort d'un gamin de 17 ans, assassiné par un carabinier alors qu'il tentait, avec d'autres Mapuches, de récupérer des terres. Son assassin n'a été ni jugé ni sanctionné.
J'ai appris alors que l'entreprise espagnole Endesa construisait sept barrages en terre pehuelche (tribu mapuche), dans le Sud du Chili, et j'ai décide d'aller voir ce qui s'y passait, de filmer. Je me suis retrouvée devant la fameuse « operación paciencia » (opération patience) menée par le gouvernement du Président Ricardo Lagos afin de détruire l'organisation mapuche.
Depuis quand les Mapuches sont-ils en résistance et pourquoi?
Ils sont traités comme des « barbares » depuis le XVIIe siècle. Des «sauvages » qui ne connaissent ni loi ni dieu, disait-on à l'époque. Avec des boleadoras, des haches… ils ne pouvaient pas grand-chose contre les armes à feu, mais ils résistaient quand même.
L'Etat chilien ne les a jamais reconnus. L'invasion de l'Araucanie n'est pas si lointaine, elle a lieu à la fin du XIXe siècle. Il existe, depuis le début, une lutte qui oppose les Mapuches à l'Etat. Les Mapuches tentent de survivre, de préserver leur culture, d'exister ; l'Etat, lui, cherche à unifier, et d'une certaine manière à éliminer l'indigène de la carte.
Les Mapuches et la terre des ancêtres : une question d'actualité…
Le problème des terres est crucial pour les Mapuches. D'autant que l'Etat a littéralement donné des terres, dans le Sud du Chili, à des immigrants européens (Croates, Allemands, Basques…) dès le XIXe siècle pour peupler la région, pour la coloniser. Dans les années 70, le gouvernement d'Allende a rendu des terres aux Mapuches… mais elles leur ont été retirées lors de la dictature militaire.
La Concertation était supposée restituer des terres aux communautés mapuches avec la promesse de signature d'un pacte dit « de Nueva Imperial »… Le Président Aylwin s'est même assis à une table avec les dirigeants mapuches qui l'ont cru. Puis le Président Lagos a promis, lui aussi… pour finalement vendre la plupart de ces terres à des entreprises forestières, hydroélectriques et papetières étrangères.
Qu'ont dit les Mapuches?
C'était une trahison. Tout s'est fait dans leur dos. Ils n'ont appris les accords passés entre le gouvernement et les multinationales étrangères qu'au moment où elles inauguraient les travaux. Jamais les gouvernants n'ont raconté aux Chiliens ce qu'ils trafiquaient, et encore moins aux Mapuches.
Aujourd'hui, je crois qu'ils ne croient plus en personne, ni en un gouvernement de gauche ni en un gouvernement de droite. Mais ils espèrent pouvoir, un jour, être reconnus en tant que peuple. Afin d'être légitimes. Des Mapuches, il y en a aussi beaucoup en Argentine…
Nombreux sont les Chiliens qui se sentent proches de leur cause et qui les appuient. Car le problème mapuche est devenu un problème politique, social et racial. Il suffirait de reconnaître qu'ils forment un peuple, leur donner la possibilité de participer à la construction du pays en tant que tel, avec leur identité.
Et vous, quand vous rendez-vous compte que votre présence gêne?
Sur le coup je ne me suis aperçue de rien. Ma maison a été cambriolée à plusieurs reprises mais je ne pensais pas qu'en faisant mon travail, j'étais en danger. Nous étions en démocratie…
J'ai reçu plusieurs prix, dont celui du Fonds de financement national du cinéma audiovisuel de Corfo (Corporación de fomento de la producción). J'étais donc confiante. Mais un jour, en montant par la route vers la cordillère, une voiture a essayé de me pousser dans le précipice. A partir de là, j'ai commencé à être plus vigilante…
Quand est-ce qu'on vous a arrêtée et pourquoi?
Un jour, le 7 mai 2008, environ 50 hommes ont entouré ma maison, vers 8h30. On m'a mis dans une voiture aux vitres fumées, j'attendais. Les policiers vêtus d'habits des professionnels du MOP, le ministère des Œuvres publiques (ponts et chaussées) étaient partout, moi j'attendais.
C'est alors que j'ai vu arriver un gars qui suivait notre travail depuis peu. Un gars sorti de nulle part dont personne ne s'était méfié tant nous étions pris par le film… Il est passé devant la voiture où je me trouvais sans me voir, et est allé saluer tous les policiers. Puis il est entré dans ma maison, a pris mon téléphone et a commencé à appeler tout le monde pour annoncer mon arrestation, comme s'il était mon porte-parole. C'était dingue. Puis, il a pris ma caméra, mes clés, et il est reparti.
Et vous vous êtes retrouvée derrière les verrous…
J'ai passé quatre longs mois en prison. Mon matériel m'a été complètement confisqué, et les cassettes qui m'ont été rendues n'étaient souvent plus lisibles. Mais au lieu de m'accuser de filmer les Mapuches -ce qu'ils ne pouvaient pas faire sans s'attirer les foudres des organismes de défense de droits de l'homme- ils ont inventé une histoire de braquage de banque et ont dit que j'étais la leader du MIR [Mouvement de la gauche révolutionnaire, qui a cessé d'exister en 1988, ndlr].
Ils voulaient me coller quinze ans de prison pour cela. Mais ils n'avaient aucune preuve qui allait dans le sens de l'accusation. Ils parlaient de preuves « flagrantes », mais ce n'était que du mensonge. J'ai vécu là ce que les Mapuches vivent tous les jours depuis longtemps. On paye de faux témoins qui racontent n'importe quoi. Et je me suis retrouvée accusée de terrorisme. Aberrant.
Après les quatre mois, je me suis retrouvée en détention domiciliaire : tous les soirs à 22 heures, je devais me trouver chez mon frère. Pas chez moi, parce que c'est trop près de la cordillère… D'abord, on m'a fait comprendre que si je ne faisais pas de déclaration, si je me taisais, le procureur n'allait pas m'accuser, qu'il l'avait dit clairement devant témoin. Alors, au début, je me suis tue.
J'ai eu tort, car le procureur m'a effectivement accusée. Heureusement, j'ai réagi très vite. J'ai demandé mes films, j'ai alerté l'opinion publique internationale. Je dois ma liberté à Jaime Madariaga, avocat de défense des droits humains.