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ILLUSTRATION IÑAKI LANDA |
Dans la zone la plus riche en eau, sur la façade atlantique, se trouve le village de Pajuiles en Tela, où un collectif de villageois résiste à l’installation d’un projet hydroélectrique, mené par l’homme d’affaires Jason Hawit. En août dernier, la petite communauté a été violemment expulsée par la police pour avoir fait obstacle au passage de machines destinées au chantier de construction, en montagne, du barrage de l’entreprise hydroélectrique Centrales El Progreso (Hidrocep).
Des habitants traités en quantité négligeable
Pajuiles est une sorte de réincarnation du combat de Berta Cáceres [militante indienne de l’environnement, assassinée en 2016]. Berta n’était pas la seule à s’opposer à ce programme de privatisation, mais son assassinat (sans doute commandité par l’État et les prestataires du projet contre lequel elle se battait) l’a rendue célèbre. Selon le Centre hondurien pour la promotion du développement communautaire (Ceprodec), il y a actuellement 177 projets hydroélectriques dans le pays : 46 ont été approuvés, 36 ont été signés avec la Compagnie nationale d’énergie électrique (ENEE) avec des contrats de dix à vingt ans, deux sont en fonctionnement, 17 en construction et 11 encore à l’étude. Le ministère de l’Environnement affirme que l’objectif de l’État est d’atteindre un mix énergétique comportant seulement 40 % d’énergies fossiles d’ici à 2022 et 20 % d’ici à 2038. Seul problème, les populations locales n’ont absolument pas été consultées.
Le soutien du privé au secteur de l’énergie s’est intensifié ces trente dernières années. C’est à partir des années 1990 que la filière a commencé à se développer grâce aux investissements privés.
Depuis le coup d’État de 2009 [au cours duquel les militaires ont déposé le président de l’époque, Manuel Zelaya, avant d’organiser des élections la même année], le cadre juridique a été refondé pour permettre le développement de l’énergie hydroélectrique grâce à l’approbation de nouvelles lois et à l’assouplissement des normes, et notamment celle qui interdisait d’octroyer des concessions dans des zones protégées. L’objectif était clair : augmenter la part de l’énergie hydraulique dans la production énergétique du Honduras.
Pour y parvenir, plusieurs appels d’offres internationaux ont été lancés. En 2010, de nombreuses entreprises ont signé des contrats pour construire et gérer des projets hydroélectriques. Et aucune région n’échappe à ces développements. Fait sans précédent, la législation s’est pliée aux intérêts des investisseurs. La question de l’énergie n’a pas fait exception et a entraîné une crise avec les populations locales, maintenues dans l’ignorance des projets.
Chasse aux militants
Dans les zones en conflit avec le gouvernement, les centrales hydroélectriques sont synonymes de divisions, d’arrestations et de mort. Les divisions sont créées de toutes pièces par le petit jeu des promoteurs qui offrent de l’argent et du travail aux populations, notamment dans les régions les plus pauvres où sévit le chômage et où les opportunités manquent. Les tensions sont donc exacerbées entre les opposants, les industriels et les habitants des régions en conflit. Ceux qui résistent aux projets sont persécutés et constamment menacés, et dans le pire des cas arrêtés ou assassinés. C’est ce qui est arrivé à la célèbre écologiste Berta Cáceres, ancienne coordinatrice du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (Copinh), qui, avant d’être tuée, avait été poursuivie par les tribunaux d’Intibucá [dans le sud-ouest du pays].
La folie extractive a coûté la vie à plus de seize militants l’année dernière au Honduras, un chiffre révélé par un rapport de l’organisation Global Witness, qui signale également que plus d’une centaine de procès ont été intentés à des écologistes. À ce contexte de persécution viennent s’ajouter les divisions internes au sein des populations locales. Pajuiles vit par exemple une réalité complexe : d’un côté ceux qui s’opposent au projet, et de l’autre les gens qui viennent de la montagne et voient dans ce projet leur unique chance d’obtenir des emplois.
Une politique mortifère
De son côté, l’État, loin de chercher des solutions, est devenu une entité aux ordres des grands groupes, instrumentalisant les institutions pour faire arrêter les défenseurs de l’environnement et pour céder des terres sans prendre en compte les dégâts engendrés. Ainsi la plus grande partie du Honduras a-t-elle été vendue à des projets hydroélectriques et miniers, et derrière les réformes législatives se dessine une manœuvre qui permet aux hommes d’affaires, aux politiques et aux investisseurs étrangers de faire de juteux profits.
La menace hydroélectrique est aujourd’hui l’un des principaux dangers pour ces populations oubliées des médias et la cause des flambées de violence dans ces zones qui auparavant se caractérisaient par la tranquillité et la convivialité.
Le conflit ne s’arrêtera pas : le gouvernement et les entreprises ne sont pas disposés à renoncer à leurs profits, et les opposants aux projets ne lâcheront rien non plus. Mais les défenseurs de l’environnement ne sont pas en position de force. Tant qu’ils n’auront pas réussi à s’entendre au sein d’un ordre du jour commun, ils seront divisés physiquement et moralement.
Le Honduras continue d’attendre une nouvelle politique énergétique, une réglementation qui tienne compte des populations locales, qui n’attente pas à la vie des gens ni à l’environnement. La mise en place de méthodes novatrices de production d’énergie doit passer par un processus inclusif et respectueux des droits de l’homme, sinon la “houille blanche” fera encore plus de dégâts.
Outre cette politique énergétique, le pays a besoin d’un État indépendant – qui ne renonce pas à sa souveraineté au profit de grands groupes détenant le pouvoir économique et politique – mais aussi d’institutions qui fonctionnent et qui ne soient pas instrumentalisées au profit de ces mêmes groupes qui profitent de leur pouvoir pour semer la peur et la répression. Le pays a besoin d’un dialogue permanent et d’un consensus national, qui mettent fin aux conflits et permettent la mise en place collective d’autres solutions pour le développement économique, énergétique, institutionnel du Honduras tout en respectant les droits des populations.