samedi 27 janvier 2018

AUSCHWITZ : UN LABORATOIRE GRANDEUR NATURE DE L’IDÉOLOGIE NAZIE


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PLAN DES DIFFÉRENTS CAMPS NAZIS
D'AUSCHWITZ (CAPTURE D'ÉCRAN)
Pour célébrer la date anniversaire de la libération du camp, Arte propose le documentaire « Auschwitz Projekt », qui révèle qu’Auschwitz ne fut pas seulement un camp de concentration mais un gigantesque complexe avec ses usines, mines et exploitations agricoles, ce qui en fit un laboratoire grandeur nature de l'hubris nazie.
Arbeit macht frei (le travail rend libre). Le monde entier connaît cette devise d'un cynisme démoniaque surplombant le portail d’Auschwitz qui trône au seuil de l’Anus mundi. Pour célébrer comme chaque année la libération du camp, le 27 janvier 1945, Arte propose un documentaire qui prend en quelque sorte de la hauteur face à ces images ultra célèbres, et nous révèle, cartes et plans aériens à l'appui, qu’Auschwitz ne fut pas seulement un lieu destiné à détruire les « races inférieures » et les ennemis du Reich mais, comme l'évoque le titre du film, un « projet » conçu pour donner corps à la dystopie hitlérienne.

Ce qu'on nomme « Auschwitz » n'était pas uniquement un camp d'extermination mais un gigantesque complexe concentrationnaire s'étendant sur des milliers de kilomètres carrés pour mettre en œuvre le programme de la weltanschauung (vision du monde) nazie, reposant sur quatre pôles : concentration et extermination mais aussi, moins connu : industrie et science.




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À travers d'époustouflantes images aériennes et des témoignages poignants, Emil Weiss ("Destruction") montre comment Auschwitz fut la quintessence d'un projet d'aménagement territorial global de l'Europe de l'Est orchestré par Hitler.Auschwitz. Le nom évoque d'abord le plus grand camp de concentration et d'extermination nazi où périrent plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants, juifs dans leur immense majorité. Mais il est aussi associé à un énorme projet d'aménagement territorial de l'Europe de l'Est annexée au Grand Reich, avec, dès 1940, la mise en chantier d'une "zone d'intérêt" d'une superficie de 40 km2. Outre les trois principaux camps, (Auschwitz I, Auschwitz II Birkenau et Auschwitz III Monowitz), on y trouve des fermes, des camps annexes, des centres de recherche ou encore un projet urbain. À l'extérieur de cette zone, le complexe se prolonge sur des dizaines de kilomètres avec une trentaine d'autres camps, des usines et des mines. Un projet global qui répond aux deux obsessions du Führer : le Lebensraum, la conquête de "l’espace vital" que constitue l’Est européen, et l’extermination des Juifs.
Symbole ultimeDéjà auteur pour ARTE d'une trilogie sur Auschwitz, Hourban (Destruction), Emil Weiss met en évidence les vestiges topographiques du site concentrationnaire grâce à d'impressionnantes vues aériennes. Sur ce vaste espace sont appliquées toutes les politiques mises en œuvre par l’État nazi puisqu'à l'entreprise concentrationnaire et génocidaire s'ajoutent des programmes d'ordre territorial, racial, industriel, agricole et scientifique. Des témoignages extraits des écrits de Primo Levi, Charlotte Delbo et Simone Veil, qui travailla dans le camp de Bobrek créé par Siemens, viennent aussi rappeler à quel point le complexe fut une manne lucrative pour le IIIe Reich, qui louait à bas coût ses prisonniers aux firmes allemandes, comme Krupp et IG Farben. Emil Weiss souligne ainsi comment la participation massive de l'industrie a rendu possibles la germanisation d'Auschwitz et l'extermination de millions de personnes.


Un cauchemar industriel

Après le canonique Shoah de Claude Lanzmann, après la fiction symbolique du Hongrois László Nemes, Le Fils de Saul, comment filmer à nouveau Auschwitz ? Le réalisateur Emil Weiss qui a déjà conçu Hourban (Destruction), une trilogie documentaire autour du camp, a choisi de décrire cette délirante expérimentation d'une façon sobre, avec pour seule BO un arrière-fond de bruits de machines, de trains et de sirènes. Peu d'images d'archives, seulement quelques photos, et des témoignages de survivants, lus par des comédiens, dont ceux de Simone Veil, de Primo Levi, mais aussi celui d'un personnage moins connu, Witold Pilecki. Cet officier polonais se fit volontairement interner pour monter un réseau de résistance et tenter – vainement – d'alerter le monde sur ce qui se passait en ce lieu. De simples mots, qui résonnent tel un fragile vernis d'humanité face à la brutalité et au gigantisme glacé de ce cauchemar industriel.

Cette sobriété sans pathos est rehaussée par de spectaculaires vues aériennes et des cartes précises. En survolant la ville et la campagne polonaises actuelles, en soulignant, sur les images, les ruines et les bâtiments quelquefois encore en place et parfois encore en activité, le film nous fait toucher du doigt l'ampleur titanesque du projet et permet d'en découvrir les traces toujours visibles dans la topographie actuelle.

Un puzzle concentrationnaire

La tragédie commence en 1940, quand l’invasion allemande transforme la petite ville polonaise d'Oświęcim, rebaptisée à cette occasion de son nom allemand d’Auschwitz. Cette bourgade de 12 600 âmes dont environ 7 000 sont juives, est située, non loin de Cracovie, dans une riche région agricole du sud de la Pologne, qui possède aussi des mines de charbon. Les habitants juifs sont internés et les Polonais expulsés et expropriés.

La première pièce du puzzle concentrationnaire d'Auschwitz est le « Stammlager », le camp originel, celui avec le fameux portail et ses baraquements de briques qui servaient avant la guerre de caserne à l'armée polonaise. Les premiers détenus sont des opposants polonais encadrés par des droits communs tirés des bagnes allemands, les “kapos”.

En 1941 arrivent des prisonniers de guerre soviétiques qui seront affectés à la construction de l'immense camp de concentration d’Auschwitz II-Birkenau, à deux kilomètres du Stammlager. Birkenau deviendra le plus grand camp d'extermination du IIIe Reich, où seront assassinées plus de 1 million de personnes, en particulier des centaines de milliers de Juifs hongrois. C'est ici que se trouve la « rampe », terminus de la voie ferrée où étaient triées les victimes après un terrible voyage en wagons plombés. A 7 km de là, fut construit Auschwitz III-Monowitz, immense camp de travail qui fournissait la main-d’œuvre louée par les SS à l'usine Buna appartenant à l'entreprise allemande IG Farben.

L'IMMENSE USINE DE CAOUTCHOUC DE LA BUNA, GÉRÉE PAR
IG FARBEN, DONT LES OUVRIERS-ESCLAVES ÉTAIENT DES DÉTENUS

La technique a triomphé de l'humanité

Mais dans un périmètre beaucoup plus large, on trouve de nombreuses installations, scientifiques, industrielles et agricoles, où l'industrie allemande collaborait avec le régime en lui fournissant ses productions obtenues par le travail des déportés venus de toute l'Europe.

Auschwitz fut bien un laboratoire de l'idéologie nazie. Un espace où la « race des maîtres », après avoir chassé les habitants slaves et juifs, rêvait d'établir son Lebensraum (« espace vital ») et prospérer en usant jusqu'à la mort la force de travail de ses esclaves ou alors en les utilisant comme cobayes pour ses sinistres expérimentations scientifiques et eugénistes.

Avec ses immenses chantiers, ses mines, ses usines géantes, ses laboratoires, Auschwitz est bien l'image inquiétante d’un monde où comme le dénonçait le philosophe Heidegger, pourtant compromis avec le nazisme, la technique a triomphé de l'humanité. L’humain disparaît dans un processus industriel, et les individus ne sont plus que des Stücks, des « pièces” numérotés par leur tatouage. Et un des aspects le plus troublants de ce film est qu'il nous fait réaliser que les vestiges de cet enfer industriel sont encore bien visibles. Comme l'observe le commentaire : « Interroger les vestiges topographiques de ce complexe, c'est affronter un système qui par bien des aspects se prolonge jusqu'à nous. »

Auschwitz Projekt, un film d’Emil Weiss mardi 30 janvier 2018, 23h sur Arte 


À voir en ligne gratuitement jusqu'au samedi 31 mars 2018