mercredi 21 mars 2018

PÉROU : LE PRÉSIDENT PEDRO PABLO KUCZYNSKI ANNONCE SA DÉMISSION

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PEDRO PABLO KUCZYNSKI, LE PRÉSIDENT PÉRUVIEN.
PHOTO MARIANA BAZO
À la veille d'un probable vote du Parlement pour le destituer en raison de ses liens avec le groupe de BTP Odebrecht, au cœur d'un vaste scandale de corruption, le chef de l'État péruvien a décidé de se retirer dans un message adressé à la Nation. 
Il est le cousin de Jean-Luc Godard, a grandi dans la jungle amazonienne et été banquier à Wall Street: Pedro Pablo Kuczynski, président péruvien au profil atypique, n'aura pas tenu deux ans au pouvoir, emporté par le scandale de corruption Odebrecht. Le chef de l'État a présenté mercredi sa démission, à la veille d'un probable vote du Parlement pour le destituer, dans un message à la Nation retransmis à la télévision.
«Face à cette situation difficile qui me fait paraître injustement coupable d'actes que je n'ai pas commis, je pense que le mieux pour le pays est que je démissionne de la présidence de la République» Pedro Pablo Kuczynski
« Face à cette situation difficile qui me fait paraître injustement coupable d'actes que je n'ai pas commis, je pense que le mieux pour le pays est que je démissionne de la présidence de la République», a-t-il lancé. Devenu le premier chef d'État d'Amérique latine à chuter à cause de ce scandale tentaculaire, «PPK», comme on l'appelle en raison de ses initiales et de son nom imprononçable pour bien des Péruviens, a également pâti d'un Parlement dominé par l'opposition. «Le fait de ne pas avoir un groupe parlementaire solide - à peine 17 députés sur 130 - et ses liens avec des entreprises jouaient en sa défaveur», souligne l'analyste politique Eduardo Dargent. C'est d'ailleurs par miracle, grâce à une alliance avec des parlementaires du parti de droite Force populaire, majoritaire à l'Assemblée, qu'il s'était sauvé en décembre d'une première tentative de destitution. Il n'y aura pas eu de deuxième miracle et mercredi, à la veille d'un vote au Parlement annoncé comme écrasant en faveur de son impeachment, il a préféré démissionner.

Ce qu'on lui reproche? D'avoir menti sur ses liens avec le géant brésilien du BTP Odebrecht, qui dit avoir versé des millions de dollars de pots-de-vin au Pérou. «On l'a mis en garde sur ses connexions avec des entreprises, à un moment où Odebrecht n'était pas encore sur le devant de la scène», rappelle Eduardo Dargent. Phrasé posé, cheveux gris et fines lunettes, cet habitué du costume-cravate avait l'habitude de clamer: «Je ne suis pas un homme politique, je suis un économiste qui veut faire quelque chose pour son pays». Pourtant, M. Kuczynski, 79 ans, est un vieux routier de la politique. Avant d'échouer à la présidentielle de 2011, il a été ministre de l'Energie dans les années 1980 puis de l'Economie sous la présidence d'Alejandro Toledo (2001-2006), dont il fut aussi Premier ministre.

Le «gringo»

Banquier à Wall Street et économiste de la Banque mondiale, ce libéral de centre droit a été membre du conseil d'administration de plusieurs entreprises, notamment minières. Sous ses airs austères, PPK a depuis son plus jeune âge manifesté une sensibilité pour les arts. Il la doit à sa mère franco-suisse, Madeleine Godard, tante du célèbre réalisateur de cinéma Jean-Luc Godard. Au milieu des années 1930, cette professeure de littérature rencontre à Paris le père de PPK, Max Kuczynski, médecin issu d'une famille juive berlinoise qui fuit l'Allemagne après l'accession d'Adolf Hitler au pouvoir. Le couple débarque au Pérou en 1936.

Le docteur Kuczynski soigne des lépreux dans la jungle amazonienne, où le jeune Pedro Pablo, né en 1938, passe une partie de son enfance. Lui et son petit frère se souviennent comment leur père parvient à dresser un singe pour qu'il lui apporte des fruits. Dans les années 1950, ce concertiste de haut niveau, qui n'hésitera pas à jouer de la flûte traversière sur les estrades durant la campagne présidentielle, étudie au prestigieux Royal College of Music de Londres. Il intègre ensuite, grâce à une bourse, souligne-t-il, l'université d'Oxford, où il étudie la politique, la philosophie et l'économie, avant de rallier Princeton, sur la côte est des États-Unis.

Décrit comme froid et doté d'un humour caustique, cet homme policé, qui parle français et anglais, a renoncé à la nationalité américaine mais son espagnol teinté d'accent lui vaut aussi le surnom de «gringo» au Pérou. PPK, dont les initiales sont également celles de son parti (Peruanos por el Kambio), avait promis, d'ici à la fin de son mandat en 2021, d'apporter aux plus pauvres eau potable, éducation, hôpitaux et sécurité. Il avait suscité de vastes manifestations de colère dans le pays après avoir gracié fin décembre Alberto Fujimori, l'ex-chef de l'État (1990-2000) condamné pour crime contre l'humanité et corruption.


Une décision interprétée comme un geste de remerciement aux députés du parti Force populaire, menés par le fils Fujimori, Kenji, qui l'avaient aidé à sauver sa tête quelques jours plus tôt. Le dirigeant péruvien, également fan de motos Harley Davidson, est marié en secondes noces à une Américaine, Nancy, cousine de l'actrice de Hollywood Jessica Lange. Il a quatre enfants.