mardi 20 novembre 2018

AU BRÉSIL, LA DIPLOMATIE SOUS LE SIGNE DE L’EXTRÊME DROITE ET DES THÉORIES DU COMPLOT

LE PRÉSIDENT ÉLU DU BRÉSIL, JAIR BOLSONARO (À GAUCHE),
ET SON NOUVEAU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
ERNESTO ARAUJO, SONT VUS AU SIÈGE DU GOUVERNEMENT
DE TRANSITION À BRASILIA, LE 14 NOVEMBRE.
PHOTO AFP-JIJI
Le nouveau ministre des affaires étrangères brésilien de Jair Bolsonaro, admirateur de Donald Trump, incarne une pensée extravagante que l’on pensait réservée à quelques farfelus paranoïaques. 
Les polis parlent d’une « pensée hétérodoxe », les sarcastiques évoquent une « philosophie Seigneur des anneaux », les autres sont perplexes, incapables de trouver un qualificatif approprié pour qualifier les écrits du futur ministre des relations extérieures du Brésil, Ernesto Araujo, figurant dans son blog « Metapoliticabrasil ».

À 51 ans, dont 28 passés dans la fonction publique, l’ex-directeur du département des États-Unis, du Canada et des affaires internationales au ministère des affaires étrangères brésilien est la dernière prise de Jair Bolsonaro, leader de l’extrême droite élu le 28 octobre à la présidence de la République.

Après Paulo Guedes, le « Chicago boy » ultralibéral pour l’économie, après le juge Sergio Moro, héros de l’anticorruption à la justice, après l’astronaute Marcos Pontes aux sciences, voici Ernesto Araujo, un « écrivain », à l’Itamaraty, le ministère des affaires étrangères. Un « brillant intellectuel », selon M. Bolsonaro.

Admirateur de Donald Trump, qu’il considère comme le « sauveur de l’âme de l’Occident », ce disciple d’Olavo de Carvalho, référence intellectuelle de l’extrême droite brésilienne, partage avec le président élu cette rage délirante contre la gauche et toutes ses déclinaisons. Le quinquagénaire abhorre le communisme, a le marxisme en horreur, fustige la Chine, hait Cuba, méprise l’Europe et vomit la « théorie du genre ».

Cabales et complots

Pour connaître celui qui sera la voix du Brésil à l’étranger, la lecture de son blog s’impose. Mêlant théories du complot et éloges à la grandeur perdue du Brésil, les réflexions libres de M. Araujo éclairent mieux que n’importe quel CV.

Extrait : « La tactique de la gauche consiste pour l’essentiel à séquestrer les causes légitimes et des concepts nobles pour les pervertir afin de servir un projet politique de domination totale », écrit-il dans un article daté du 12 octobre. La cause environnementale est à ses yeux le parfait exemple de cette manipulation des esprits. Le réchauffement climatique, qualifié d’« idéologie », n’a qu’un but : faire « suffoquer la croissance économique des pays capitalistes démocratique pour favoriser celle de la Chine », dit-il.

Dans la lignée de Steve Bannon, ex-stratège de Donald Trump, Ernesto Araujo dénonce aussi au fil de ces écrits le « mondialisme » qui, comme le marxisme, voudrait « instiller la peur pour obtenir plus de pouvoir ». Le monde selon M. Araujo est un univers de cabales peuplé de personnages orwelliens.

Les mauvais esprits diront que le diplomate est un flatteur. Un courtisan de Jair Bolsonaro qui le 27 octobre, à la veille du second tour de l’élection présidentielle, semblait comparer son idole à Alfonso Henriques, roi du Portugal, vainqueur de la bataille d’Ourique contre les maures en 1139. « Grâce à sa foi et à son épée nous sommes là et connaissons le nom du sauveur », écrit-il.

Mais le diplomate est bien plus qu’un flagorneur bavard. Il signe le triomphe d’une pensée bolsonariste extravagante que l’on pensait réservée à quelques farfelus paranoïaques. Une partie du Brésil ricane. « Si l’astronaute affirme que la Terre est ronde, il va y avoir des bagarres entre ministres », raille sur Twitter le « Cidadao de bem » (citoyen de bien, référence ironique à l’électeur de Jair Bolsonaro).

Revanche face aux élites

Mais être la risée du monde n’effraye guère Jair Bolsonaro. Pourfendeur de l’intelligentsia, l’ex-parachutiste voit dans le choix de ce chancelier baroque une revanche face aux élites. Reste que M. Araujo promet de secouer la scène diplomatique brésilienne. Ses opinions singulières sont bien éloignées des intérêts économiques du pays, dont la Chine est un partenaire commercial stratégique.

« Le ministre des affaires étrangères pourrait n’avoir qu’un rôle secondaire », relativise Oliver Stuenkel, professeur de relations internationales à la Fondation Getulio Vargas, à Sao Paulo. Qui sait, dans une diplomatie 2.0, la fonction de M. Araujo pourrait se borner à écrire quelques tweets politiquement incorrects à même de satisfaire un électorat radical sans, pour autant, déstabiliser les équilibres économiques du pays.

Dimanche 18 novembre, le futur chancelier a adressé un tweet rageur à Celso Amorim, l’ancien ministre des affaires étrangères de Lula : « Celso Amorim dit que je représente le retour au Moyen Age. Je n’ai pas compris s’il s’agissait d’une critique ou d’un éloge », écrit-il, assurant toutefois avoir mieux à faire que de revenir au temps des croisades. Voilà les Brésiliens rassurés.

Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)