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Après sa visite au Chili du 6 au 11 novembre 2019 pour corroborer les allégations de graves violations des droits humains qui ont eu lieu dans le cadre des protestations et de la mobilisation sociale, la Mission Internationale d’Observation de la société civile [1] a publié son rapport final (disponible en espagnol). Ce rapport met en avant le caractère généralisé des violences et le fait qu’elles sont le produit d’une politique répressive de l’État chilien qui a découlé sur de graves violations du droit international des droits humains. Une enquête indépendante et exhaustive doit être conduite pour déterminer la commission éventuelle de crimes internationaux.
DES POLICIERS ATTAQUENT UN HOMME LORS D’UNE MANIFESTATION
CONTRE LE GOUVERNEMENT CHILIEN À SANTIAGO DU CHILI.
PHOTO GORAN TOMASEVIC / REUTERS/
Le rapport signale que « les graves violations des droits humains qui ont eu lieu au Chili depuis octobre 2019, dans le contexte des protestations sociales, n’étaient pas des faits isolés, mais l’expression d’une violence d’État, enracinée dans les pratiques des forces de l’ordre et de sécurité. Ces pratiques ont pu être identifiées depuis de nombreuses années et à grande échelle sur l’ensemble du territoire dans le contexte des dernières mobilisations ». La répression de la protestation du peuple Mapuche en est l’un des exemples.
Le rapport met également en avant le fait que « les forces de sécurités, en particulier les Carabineros du Chili, ont fait un usage excessif et disproportionné de la force avec l’intention de punir et « d’éduquer » les manifestant.e.s ». Un « usage indiscriminé et criminel des armes moins létales » a également été documenté. Le document fait aussi référence « au nombre démesuré de personnes victimes de traumas oculaires sévères et de blessures au niveau de la partie supérieure du corps, notamment de la tête ».
Les violations corroborées « incluent au moins quatre cas d’exécutions extrajudiciaires commises par des agents de l’État, des centaines de cas de tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants durant l’arrestation ou dans les commissariats. Des cas de viols et d’autres formes de violences sexuelles à l’encontre de personnes privées de liberté ont été également corroborés. Des centaines de personnes ont aussi été blessées du fait de l’usage abusif d’armes moins létales lors des rassemblements publics et des centaines d’individus arrêtées arbitrairement par les forces de sécurité ». Ces violations sont généralisées. Conformément à l’Article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, certaines de ces violations constituent des crimes contre l’humanité.
Pour répondre à ces violations généralisées, le rapport de la Mission formule un total de 23 recommandations, de court et moyen termes, dans l’objectif de restaurer l’ordre social et garantir les droits de réunion et de manifestation pacifiques dans le pays.
1. Créer une Commission d’établissement des faits dont l’objectif sera de déterminer la responsabilité des auteurs ou commanditaires de ces violations, que ce soit au niveau politique ou administratif, et de suivre l’évolution des procédures judiciaires, en évaluant le respect de l’obligation de l’État de mener une enquête rapide, exhaustive et efficace.
2. Enquêter dans les meilleurs délais sur les violations de droits humains commises et adopter immédiatement des mesures disciplinaires et/ou pénales à l’encontre des fonctionnaires responsables de violations des droits humains, en particulier de cas de violations du droit à la vie et à l’intégrité personnelle, y compris contre les supérieures hiérarchiques qui ont autorisé ou approuvé les opérations policières.
3. Initier un processus de réforme en profondeur des Carabineros du Chili afin de démocratiser leur structure, reconsidérer leur rôle dans la société chilienne, et mettre en adéquation leurs normes, protocoles et règlements en accord avec les standards internationaux en matière de droits humains.
4. Abroger l’actuelle réglementation sur le droit de réunion, afin de le mettre en conformité avec le droit international des droits humains.
5. Suspendre l’utilisation d’armes à feu par les Carabineros, ainsi que l’usage de balles de plomb et d’équipements moins létaux, en particulier dans les contextes de protestation sociale, jusqu’à que soit ces services soient adéquatement régulés, que les cas de violations commises lors des manifestations fassent l’objet d’enquêtes, et que les responsabilités de leurs auteurs soient établies.
6. Garantir que le Service de défense publique en matière pénale bénéficie d’un soutien effectif et adéquat pour garantir les droits des personnes privées de liberté à partir des premiers moments de la détention, s’assurer que les entrevues avec ces dernières soient réalisées avant les audiences et aient une durée limitée, et qu’elles permettent de détecter systématiquement d’éventuels cas de tortures, mauvais traitements et de violences sexuelles.
7. Établir des protocoles pour le Ministère public et le Service de défense publique en matière pénale garantissant adéquatement la détection, la documentation, la dénonciation et la sanction de tout acte de torture et de mauvais traitements selon leurs compétences respectives et qui garantisse l’établissement de bases de données répertoriant les cas identifiés.
8. Garantir que des visites non annoncées soient réalisées par le Service de défense publique en matière pénale, le Ministère public et les pouvoirs judiciaires dans des lieux de détention tenus par les Carabineros, la police d’enquête et les Tribunaux.
9. Former tous les officiers de justice pertinents pour garantir l’application adéquate du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) à chaque intervention et à toutes les étapes du processus pénal.
10. Produire des protocoles visant à encadrer l’action médicale, notamment afin de détecter de manière proactive des lésions et possibles cas de tortures, conformément au Protocole d’Istanbul, et avec le consentement constant de la personne détenue. Les rapports médicaux devraient être transmis aux juges compétent.es en toute confidentialité et sous scellé.
11. Assurer que toutes les personnes détenues aient accès à un examen médical dans une institution de santé publique sans la présence des services de sécurité.
12. Créer un registre unique qui regroupe l’information de tous les centres de santé publics et privés, sur les cas de personnes blessées dans le contexte des manifestations.
13. Prévoir les conditions nécessaires pour que la Commission interaméricaine des Droits Humains (CIDH) réalise de manière effective sa visite dans le pays.
14. Veiller à ce que les victimes de violences sexuelles aient facilement accès à des services de protection et de soutien. Elles doivent pouvoir accéder à des services de soin, fournis par des professionnel.les formé.es, permettant de soigner d’éventuelles lésions liées aux violences subies, notamment les fistules gynécologiques et obstétriques, de bénéficier de traitements contre les infections et autres maladies sexuellement transmissibles telles que le VIH. Les victimes doivent également avoir accès à des tests de grossesse, et à des services de contraception d’urgence et un soutien psychologique.
15. Garantir que les journalistes, photographes, observateurs et observatrices des droits humains, ainsi que le personnel de santé (bénévole ou rémunéré) puissent réaliser leur travail de manière adéquate et que soit mis un terme aux agressions et détentions à leur encontre.
16. Établir un mécanisme, avec la participation de l’Institut national de défense des droits humains (INDH) chilien et d’ONG de protection des droits humains, en charge de veiller à l’application des recommandations formulées par les organes internationaux et les organisations de la société civile.
17. Renforcer le travail de l’INDH au niveau national pour garantir qu’il puisse réaliser son mandat sans entrave, en particulier accomplir son rôle de contrôle de la situation dans les lieux de privation de liberté, notamment au cours des premières heures de détention et de protection contre la torture et les mauvais traitements.
18. Garantir le fonctionnement effectif du Mécanisme National de Prévention de la Torture (MNPT). Afin de garantir l’autonomie fonctionnelle du MNPT, ce dernier ne doit faire l’objet d’aucune forme de subordination à l’INDH. L’organigramme de l’INDH devra refléter les exigences du protocole Facultatif de la Convention Contre la Torture de l’ONU, qui spécifie que le mécanisme national de prévention doit avoir une autonomie opérationnelle notamment en ce qui concerne ses ressources, son plan de travail, la formulation de ses conclusions et recommandations. L’INDH devrait entretenir des contacts directs et confidentiels avec le Sous-comité pour la Prévention de la Torture de l’ONU.
19. Assurer que les organisations de la société civile puissent remplir de manière efficace et librement leur rôle de protection des droits humains, notamment en leur fournissant de la documentation, les dossiers et les contacts des personnes privées de liberté.
20. Rejeter les propositions législatives destinées à pénaliser ou imposer des restrictions au droit de réunion dans le but de limiter la protestation sociale, notamment les projets qui visent à pénaliser le blocage, total ou partiel, des voies publiques.
21. Garantir la publication, par des organismes compétents, aux niveaux national, régional et local, de données détaillées sur les manifestations (nombre de manifestants et manifestantes, nombre de personnes blessées et détenues le cas échéant) et les opérations policières. Ces données doivent inclure des informations sur le personnel de police, l’acquisition d’armes et munitions létales et moins létales ainsi que leurs coûts, l’utilisation d’armes et munitions létales et moins létales, les protocoles et manuels régulant l’usage de la force, pour chaque type d’armement.
22. Publier officiellement les décisions administratives sur l’autorisation d’utiliser la force et la dispersion des manifestations.
23. Garantir que le Ministère Public contrôle de manière efficace l’activité policière dans le contexte de l’exercice du droit à la protestation.
Notes
[1] Cette mission était composée d’une dizaine d’organisations de la société civile avec une expérience reconnue en matière d’enquête sur des violations des droits humains.
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