vendredi 9 octobre 2009

LE LITHIUM DANS LES MAINS DE LA FAMILLE PINOCHET


Le prix de la tonne a augmenté de 238 % depuis 1998, pour atteindre 6 000 dollars [4 100 euros] aujourd’hui. Et la demande en lithium continue à croître au rythme de presque 7 % par an. Le Chili et l’Argentine fournissent un peu plus de 55 % du lithium utilisé dans les pays industrialisés et satisfont quasiment aux besoins des Etats-Unis.

Cette région des Andes est destinée à être le fournisseur mondial de cet “or gris” du xxie siècle. Les débouchés liés à son exploitation sont immenses. Composant stratégique des nouvelles technologies numériques, le lithium n’est pas seulement réparti en petites quantités à l’intérieur des appareils électroniques ; il est également ­utilisé dans les réacteurs nucléaires pour produire du tritium, un élément qui n’existe pas à l’état naturel et qui sert de combustible de fusion. Mais il entre surtout dans la composition des batteries, notamment des véhicules électriques. L’industrie automobile, confrontée à la crise économique et à l’épuisement des combustibles fossiles, a considérablement amélioré ses prototypes et compte les introduire massivement dans les pays les plus développés à partir de 2010.

Julio Ponce Lerou, l’ancien gendre d’Augusto Pinochet

Ce secteur a donc les yeux rivés sur le triangle formé par les déserts de sel d’Atacama, au Chili, d’Uyuni et de Coiposa, en Bolivie, et d’Hombre Muerto, en Argentine. Mais, dans certains endroits, le lithium reste une propriété privée. Au Chili, Julio Ponce Lerou, l’ancien gendre d’Augusto Pinochet, n’a rien à envier à John Thomas North, le roi du salpêtre du xixe siècle. Au moyen de montages juridiques et financiers douteux, l’homme, initialement directeur de l’entreprise publique Soquimich, est devenu celui de la SQM lors de sa privatisation, entre 1983 et 1988.

Associée au groupe japonais Kowa, la société SQM domine aujourd’hui le marché mondial du lithium. Grâce à de nouvelles concessions obtenues en 1992, l’entreprise exploite le lithium de l’Atacama dans des conditions naturelles optimales, avantage considérable sur ses concurrentes en matière de coûts d’extraction. Selon les estimations de Ponce Lerou, 10 % des nouvelles automobiles seront équipées de batteries au lithium en 2015 et 20 % en 2020, ce qui devrait faire passer la demande en carbonate de lithium de 93 000 tonnes à l’heure actuelle à 160 000 dans cinq ans.

SQM détient la concession d’exploitation du désert d’Atacama jusqu’en 2030. Conformément à la loi n° 16319, la commission chilienne de l’énergie nucléaire fixe le tonnage de lithium que l’entreprise vend chaque année. Selon des sources du secteur, la direction de SQM ne se fait aucun souci pour sa concession, persuadée qu’elle sera renouvelée. Certains parlementaires dénoncent ce monopole.

La députée socialiste Isabel Allende, membre de la commission des mines de la Chambre des députés, espère que l’Etat reprendra le contrôle du lithium. “Les richesses comme le lithium étaient ­autrefois sous la souveraineté de l’Etat. Mais, lors du coup d’Etat militaire, il y a eu une série de manœuvres obscures. Le régime dictatorial a clairement favorisé l’émergence de certaines fortunes. De plus, accorder des concessions à vie avec une capacité d’extraction supérieure à la capacité de renouvellement de la ressource exploitée est complètement irrationnel, et il faut mettre fin à cela”, affirme-t-elle.