mardi 12 octobre 2010

La pilule des pauvres provoque la colère de l’Eglise au Chili

Décidée par la Présidente, la gratuité de la contraception d’urgence fait scandale.
Par Claire MARTIN LIBERATION : Vendredi 13 octobre 2006 Santiago, de notre correspondante
Désormais distribuée gratuitement aux jeunes filles de plus de 14 ans dans tous les centres de santé publics, sans que soit requise l’autorisation des parents, la pilule du lendemain a déchaîné les passions au Chili. Lancée le 2 septembre, cette mesure a opposé pour la première fois la présidente socialiste Michelle Bachelet à l’Eglise, très influente dans ce pays parmi les plus conservateurs d’Amérique latine. Pays qui a légalisé le divorce il y a seulement deux ans, et où l’avortement reste illégal.
« Régime totalitaire »
« L’Eglise catholique chilienne estime que tout ce qui touche à la sexualité et à la reproduction fait partie de sa juridiction », explique le sociologue Manuel Antonio Garreton. Au lendemain de l’annonce de la mesure, l’archevêque de Santiago, Francisco Javier Errázuriz, s’insurgeait : « C’est un coup contre le mariage, un coup contre la natalité, un coup contre la famille. » La conférence épiscopale chilienne s’est fendue d’une lettre où elle compare le gouvernement à un « régime totalitaire ». Depuis le retour de la démocratie, il y a seize ans, l’Eglise n’est jamais allée aussi loin dans la critique. « Le pape Jean-Paul II avait nommé des ultraconservateurs aux plus hautes responsabilités, une hiérarchie de plus en plus en décalage avec la société, explique le journaliste Nibaldo Mosciatti, spécialiste de l’Eglise chilienne. Et le sujet est particulièrement sensible. Le Pacte d’union civile [sorte de Pacs, ndlr] que le gouvernement s’est récemment dit prêt à soutenir, est abordé avec beaucoup plus de sérénité. »
Car qui dit pilule du lendemain, dit pilule « abortive » pour l’Eglise.. L’adjectif effraie, l’avortement restant un tabou politique, même s’il s’en pratique environ 200 000 chaque année clandestinement. Il y a un an, l’ex-président Ricardo Lagos s’était déjà cassé les dents sur le contraceptif d’urgence. Il avait réussi à permettre son accès gratuit aux seules femmes victimes de viol. La droite, très conservatrice l’Union démocratique indépendante (UDI) est liée à l’Opus Dei , crie à la destruction de la cellule familiale, à l’incitation des adolescents à la débauche, et défend le « droit à la vie ». Et les oreilles de la présidente Bachelet sifflent jusqu’au sein de sa propre coalition, la Concertation, où la Démocratie chrétienne est l’alliée des socialistes.
Parmi les maires, chargés au Chili de la gestion des centres de santé publics, certains s’opposent à la distribution de la pilule du lendemain. Ainsi, Carolina Plaza, maire UDI d’une des communes pauvres de la conurbation de Santiago, a déclaré qu’elle « provoque le cancer », tandis que la vice-présidente du parti, maire de Concepción, la seconde ville du pays, a lancé : « On va assister à une explosion du sida. » Et l’unique laboratoire qui produit le contraceptif d’urgence, Recalcine, a suspendu sa production, sous la pression de groupes conservateurs (1). La distribution actuelle fonctionne sur les stocks existants.
En fait, la pilule du lendemain est en vente dans toutes les pharmacies sur ordonnance depuis 2001. « C’est là la grande hypocrisie, souligne l’avocate Lidia Casas, car le contraceptif est accessible à toute femme capable de débourser 12 euros, soit 5 % du salaire minimum. » Les 40 000 grossesses adolescentes (2) par an soit 10 fois plus que dans les pays industrialisés sont souvent le fait de jeunes filles pauvres, qui arrêtent leurs études et ne peuvent sortir du cercle vicieux de la pauvreté. Ce chiffre, s’il est en légère baisse, reste parmi les plus élevés d’Amérique latine.
Distribution
Michelle Bachelet a donc permis que le contraceptif « ne soit pas seulement accessible aux gens qui en ont les moyens, mais aussi à ceux qui en ont peu », comme elle l’a déclaré le 5 septembre. Elle s’est opposée à l’élite sous les applaudissements des milieux populaires. Restent des difficultés, estime Carolina Carrera, psychologue de l’association féministe Corporación Humanas : « Pour que la pilule du lendemain soit utilisée, encore faut-il que les médecins conservateurs ne s’opposent pas à sa distribution, et qu’elle soit accompagnée d’une éducation sexuelle dans les écoles. »
(1) Il s’agirait de l’Opus Dei, selon le sénateur de gauche Guido Girardi, dans une interview à la Nación Domingo.
(2) Grossesses de jeunes filles de moins de 19 ans.