LORS D'UNE MANIFESTATION DE SOUTIEN À ANTONIO LEDEZMA, LE MAIRE DE CARACAS ARRÊTÉ. PHOTO ALEJANDRO CEGARRA. |
Après l’hiver des dictatures, Washington continue à ne concevoir la démocratie que comme un outil au service du bon fonctionnement du marché. Pour eux, il ne saurait être question que quiconque, en Europe ou surtout en Amérique latine-Caraïbe, longtemps chasse gardée des États-Unis, puisse gentiment remettre en cause les fondements de leurs principes, la mondialisation économique si difficilement imposée au monde, en accepter les nationalisations des ressources naturelles, affirmer leur indépendance, la mise en place d’une nouvelle gauche latino-américaine échappant à sa traditionnelle hégémonie.
Ainsi au Venezuela, les États-Unis n’ont eu de cesse de vouloir stopper le processus démocratique. Du « golpe » du 13 avril 2002 et la séquestration de Chavez mise en échec par la descente de dizaines de milliers de citoyens dans les rues, précédé en décembre 2001 de la grève générale organisée par le patronat, jusqu’en 2013-2014 où, pour cette seule période, 14 millions de dollars ont arrosé par divers canaux l’opposition vénézuélienne, la rébellion antidémocratique a été chaque fois utilisée comme forme de déstabilisation.
JOSH EARNEST |
Ce que parler veut dire.« Les États-Unis n’encouragent ni les troubles au Venezuela, ni ne cherchent à saper son économie ou son gouvernement… Le département du Trésor et le département d’État surveillent évidemment la situation de près et étudient les moyens disponibles qui pourraient être mis en œuvre pour une meilleure orientation du gouvernement vénézuélien dans la direction que nous pensons qu’il doit prendre. » Josh Earnest, porte-parole de la Maison-Blanche, le 20 février 2015.
C’est cette même démarche que l’on retrouvera dans le coup d’État équatorien en 2010 ou celui du Paraguay, en juin 2012, pour mettre fin au régime démocratique du président Lugo. On utilisa certes quelques francs-tireurs de l’armée, pour provoquer son renversement en suscitant une intervention policière sanglante face à un conflit paysan, mais c’est le Congrès qui, à l’issue de cet épisode, a destitué M. Lugo, accusé d’avoir « par sa politique attisé la violence contre les propriétaires terriens ».
Le Honduras, le 28 juin 2009, membre de l’Alba, a servi de laboratoire à ce type de « coup d’État constitutionnel ou institutionnel ». On emploiera dans la presse et dans la diplomatie l’expression de « démission forcée », voire « de président déchu », plus facile à passer que de coup d’État. Et pourtant, c’est bien un commando militaire qui, dans la nuit du 28 juin, après l’avoir arrêté, a fait monter en pyjama le président hondurien, Zulaya, dans un avion à destination du Costa Rica, réprimant violemment ses partisans descendus dans la rue, assassinant encore l’opposition jusqu’à aujourd’hui. Les coups d’État d’antan où les militaires, après leur mauvais coup, restaient au pouvoir avec la caution états-unienne sont donc révolus, ceux-ci rentrant dans leur caserne, rendant la dictature plus civile.
Dans ce contexte, ce n’est pas seulement la méthode qui nous intéresse, mais aussi la place et l’enjeu des médias qui, au Venezuela comme ailleurs, reprennent à chaque fois l’argumentation qu’il s’agissait en fait de l’expression d’une opposition dont le premier responsable serait les présidents élus. Ce rôle de la presse réactionnaire, partie prenante d’un processus de déstabilisation psychologique, n’est pas nouveau. Dans les années 1970 déjà, le quotidien chilien El Mercurio préparait activement le coup d’État du 11 septembre 1973 contre Salvador Allende. Mais ce qui est sensible aujourd’hui, c’est que, face à cette stratégie de dénigrement et de fausses rumeurs, il n’existe plus de presse, à de rares expressions et à trop faible distribution, hors des Amériques capable de démonter cette propagande et de la dénoncer en Europe.
De la Grèce au Venezuela, les peuples ont besoin de notre solidarité, en luttant contre la désinformation et en se donnant des associations de solidarité internationale et des droits humains, comme FAL, pour la faire vivre.
L’extrême droite vénézuélienne reçoit un soutien permanent des États-Unis par Héctor Michel Mujica, ambassadeur du Vénézuela en France
HÉCTOR MICHEL MUJICA, AMBASSADEUR DU VÉNÉZUELA EN FRANCE |
Après la mort de Chávez, nous avons dû faire face à des problèmes difficiles. Au sein de notre mouvement la tâche politique a été de garantir l’union des forces bolivariennes face au processus de déstabilisation permanente organisé par l’opposition. Nous n’étions pas préparés à la maladie et à la disparition physique de Chávez. Le coup d’État récent a été manqué, mais Joe Biden, le vice-président américain, a encore reçu récemment à la Maison-Blanche Lilian Tintori, l’épouse de Leopoldo López. Leopoldo Lopez, Antonio Ledezma et Maria Corina Machado font partie de l’extrême droite vénézuélienne. Ils reçoivent un soutien permanent des États-Unis. Leopoldo López, par exemple, a souvent été visité par les missionnaires diplomatiques des ambassades des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, etc. Ils reçoivent aussi un appui énorme de la part de ce que l’on appelle au Venezuela l’uribismo, du nom d’Alvaro Uribe, l’ancien président de la Colombie. Je crois que c’est un mouvement de fond qui va continuer. Un autre effort pour nous, c’est de continuer à garantir notre modèle dans les conditions difficiles de la chute des prix pétroliers. Les morts et les dégâts causés par les manifestations « étudiantes » ont aussi été importants.
Nous sommes très favorables au processus actuel entre Cuba et les États-Unis. C’est très bon pour l’Amérique latine et c’est très bon pour le peuple cubain. De même la libération des cinq héros de la révolution cubaine. Mais nous partageons absolument la déclaration faite récemment par le ministre des Affaires étrangères équatorien, M. Ricardo Patino : il ne faudrait pas utiliser ce qui se passe entre La Havane et Washington pour « cibler » un autre pays d’Amérique latine. En fait, il a souligné la nécessité de protéger le Venezuela et les nations de la région de l’ingérence étrangère. « Il est essentiel de protéger le Venezuela non seulement à cause de la gestion souveraine qu’ils doivent avoir du pétrole et de leurs ressources naturelles mais aussi pour éviter une situation qui pourrait affecter la paix de notre région », a dit le ministre des Affaires étrangères équatorien.
Le Venezuela est le cinquième exportateur mondial de pétrole et possède les plus grandes réserves prouvées de pétrole du monde. Le Venezuela est plus riche en pétrole que l’Arabie saoudite. C’est le rapport annuel de l’Organisation des pays exportateurs du pétrole (Opep) qui l’affirme. Le Venezuela disposait en 2011 de 296,5 milliards de barils d’or noir pouvant être exploité. Il dépasse ainsi le royaume saoudien, dont les réserves prouvées sont restées stables à 264,5 milliards.
Or, si je prends un exemple illustratif de ce qui se passe, le Venezuela n’est pas une île, cela le rend vulnérable. Par ailleurs, nous avons beaucoup de pétrole. Cela suscite de violentes convoitises. Transporter le pétrole depuis le Venezuela jusqu’aux côtes des États-Unis met quatre ou cinq jours. Transporter le pétrole depuis les pays du Golfe jusqu’aux États-Unis met trente, voire quarante jours. Pour les États-Unis, le contrôle de l’énergie vénézuélienne a toujours été un problème de premier ordre. C’est le fond de la question. L’autre, c’est qu’au sein des pays sud-américains se développent une politique internationale indépendante et une tentative de trouver des voies de développement inclusives et participatives respectant la souveraineté de chaque État latino-américain, ce qui s’oppose au modèle de la libre entreprise et de la concurrence promu par les États-Unis, particulièrement dans le contexte actuel où ils cherchent à mettre en place des accords de libre-échange trans-pacifique et transatlantique.
GUILLAUME BEAULANDE, JOURNALISTE, COLLABORATEUR DU MONDE DIPLOMATIQUE |
L’amertume certaine des mots qui suivent n’a d’égal que le respect dans lequel je tiens – le plus souvent – la programmation d’Arte. Alors que je m’apprêtais à visionner l’émission de vulgarisation géopolitique le Dessous des cartes, présentée par Jean-Christophe Victor et consacrée au Venezuela, les affres de la consternation ont entrepris de me coloniser les synapses et d’insulter mon intelligence de spectateur. Comment peut-il en être autrement lorsque, dès les premières minutes, le présentateur juge bon de dire au sujet de l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez qu’il est « connu par les Vénézuéliens pour avoir commis un coup d’État en 1992 ». Un public, même peu attentif, remarquerait sans doute la pertinence du propos et l’intérêt du calendrier posé.
Outre que l’évocation du passif militaire d’Hugo Chavez incline de facto la réflexion sur la légitimité démocratique de son gouvernement, pourquoi poser de surcroît comme postulat de départ qu’Hugo Chavez a tenté un coup d’État à la tête du MBR-200, sans prendre la peine, au minimum, de recontextualiser l’événement ? Pourquoi taire les soulèvements, populaires ceux-là, qui ont enflammé la capitale le 27 février 1989 et qui se sont achevés dans un bain de sang, sous la présidence de Carlos Andres Perez ? Pourquoi ne pas préciser que s’il est « connu », c’est surtout parce qu’il a refusé de participer à la répression de l’armée sur la population ? Gageons que la construction médiatique biaisée d’Hugo Chavez diffusée dans les « grands » médias n’ait pas également gagné les couloirs d’Arte. Le choix opéré par la rédaction de cette émission du 14 février 2015 est pour le moins troublant. L’évocation, sans trembler, du « culte de la personnalité » dans la politique vénézuélienne achève le portrait brossé à la truelle de feu Hugo Chavez, nous le présentant comme un avatar des caudillistes latino-américains. Lourdement connotée d’un point de vue historico-politique, cette mise à l’index ne semble nécessiter aucune espèce de définition. La programmation exigeante et sérieuse de la chaîne à laquelle je rends bien souvent hommage, soudain, me laisse sans voix, ou presque.
Il ne s’agit pas de présenter le Venezuela comme un mythique eldorado, tant les difficultés et les défis encore à relever sont importants, celui de l’endiguement de l’insécurité n’étant pas l’un des moindres. Un fléau qui, comme l’a rappelé l’émission, se poursuit. Néanmoins, restons sérieux. Parler de l’augmentation de l’insécurité, de la proximité avec la Colombie « et des Farcs », sans évoquer ne serait-ce qu’en une phrase le rôle joué par les paramilitaires colombiens dans l’infiltration des banlieues et le narcotrafic, revient à se faire l’écho de la litanie habituelle de force médias. Dans le même souffle, il est dit sans sourciller aux téléspectateurs que « l’opposition politique est régulièrement attaquée par le gouvernement » et qu’il est « périlleux d’attaquer le gouvernement ». Tout observateur doué d’une mémoire, fût-elle bornée à l’immédiat, aura noté l’ironie du propos, cependant qu’une autre tentative de déstabilisation du gouvernement vient d’être déjouée, selon toute vraisemblance, ourdie précisément… par l’opposition. Si l’information nécessite sérieux, rigueur et fiabilité, on peut s’étonner en effet que l’unanimisme nigaud de nombreux médias européens à l’égard du Venezuela soit également véhiculé par une émission appréciée, sur une chaîne qui nous avait habitués à un autre niveau d’exigence.