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LE «MINISTRE DE LA CULTURE», DARÍO LOPÉRFIDO PHOTO D'ARCHIVE |
Nous avons également soutenu les initiatives des gouvernements démocratiques qui, engagés aux côtés de ces organisations, ont cherché à consolider les politiques de vérité, de mémoire et de justice, devenus désormais des piliers de notre démocratie et un motif de reconnaissance au niveau international.
C’est pourquoi nous voulons manifester notre rejet le plus total des récentes déclarations du ministre de la Culture de la Ville de Buenos Aires, M. Darío Lopérfido, qui lundi 25 janvier lors d’une conférence publique a fait référence aux disparitions forcées de personnes du fait du terrorisme d’État, en affirmant que le nombre de disparus « fut un mensonge construit autour d’une table pour obtenir les subventions qu’on te donnait » (sic). Nous voyons ces déclarations comme une claire tentative de banaliser et d’amoindrir la portée des atrocités commises pendant ces années, ainsi que pour décrédibiliser les organisations et les politiques des droits de l’homme.
La « théorie des deux démons »
S’il s’agit de chiffres, il faudrait plutôt s’engager à approfondir et élargir les investigations sur chacun des délits commis par le terrorisme d’État en déterminant les responsabilités et les complicités, ce qui ne peut être fait qu’au moyen de ressources et de politiques. En outre, lors de cette interview le ministre a fait référence à «une confrontation entre deux groupes armés», en exhumant ainsi de manière stupéfiante la « théorie des deux démons », dangereuse et périmée, qui veut que la violence des guérillas de ces années soit comparable à l’extermination systématique de toute dissidence par le fait de l’État.
Nous croyons que ces déclarations signifient un grave recul et un affront à tous ceux qui sont engagés ave les politiques de droits de l’homme – un engagement que nous voudrions être en tout point partagé par votre gouvernement actuel-, et qu’elles son particulièrement inappropriées s’agissant d’un responsable public. En tant que citoyens argentins et étrangers fortement liés à la culture et l’histoire argentines ainsi qu’à la production culturelle de la ville de Buenos Aires, les nombreuses instances de participation à des politiques culturelles publiques sont gravement affectées par une prise de position telle que celle de M. Lopérfido en sa qualité de ministre de la culture de cette ville.
Notre confiance et notre respect pour les initiatives du gouvernement de la ville, et par extension de celles du gouvernement fédéral, sont lésés par les expressions publiques du ministre de la Culture, auxquelles vous prêtez un soutien par le fait de lui permettre de rester à son poste. C’est pourquoi, en accord avec d’autres secteurs sociaux, nous exigeons la démission du Ministre de la culture de la Ville de Buenos Aires, M. Darío Lopérfido. Le secrétaire aux droits de l’homme, M. Claudio Avruj, a fait savoir que le gouvernement « ne partage pas les affirmations de Lopérfido », et qu’il considère que « débattre du nombre de disparus ne contribue pas à l’union des Argentins » (La Nación, 29 janvier 2016). Nous considérons que ces déclarations sont insuffisantes, dès lors qu’il s’agit de valeurs fondamentales pour notre démocratie et pour notre vie démocratique et républicaine.
L’objectif d’unir les Argentins est absolument incompatible avec le maintien à son poste de celui qui a failli à un élément significatif du patrimoine de notre pays, et qui a semé des discordes douloureuses et non nécessaires. Malheureusement, nous observons que les déclarations de M. Lopérfido, extrêmes et particulièrement offensantes, surgissent dans un contexte général où le gouvernement national donne, par action ou par omission, des signes toujours plus alarmants d’un manque d’engagement avec les politiques de vérité, de mémoire et de justice.
Nous comptons parmi ces gestes le fait qu’à ce jour le président n’ait pas personnellement reçu les organisations des droits de l’homme, devenant ainsi le premier chef de l’État démocratique à ne pas l’avoir fait dans les premières semaines de son mandat. Nous sommes par ailleurs inquiets face aux renvois répétés de personnel dans des secteurs sensibles pour les jugements de crimes contre l’humanité, dont le Programme Vérité et Justice et le Centre Ulloa. Nous trouvons alarmant que, là aussi pour la première fois, et avant même de recevoir les organisations des droits de l’homme, le secrétaire aux droits de l’homme, M. Claudio Avruj, ait choisi de rencontrer les représentants du Centro de Estudios Legales sobre el Terrorismo y sus Víctimas (CELTYV), qui réclame la libération de militaires condamnés pour crimes contre l’humanité.
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NOMINATION AU POSTE DE CHEF DE CABINET DU MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ DE M. PABLO NOCETI, UN AVOCAT DES RÉPRESSEURS |
Enfin, nous trouvons préoccupante la nomination au poste de Chef de Cabinet du ministère de la Sécurité de M. Pablo Noceti, qui outre entretenir des relations avec des avocats de répresseurs de la dernière dictature militaire a manifesté en 2003, au moment de la réouverture des procès dans tout le pays, que ceux-ci étaient «la légalisation d’une vengeance, structurée et conçue par le pouvoir politique» (Página 12, 25 janvier 2016).
La démocratie argentine repose sur l’engagement pour un Nunca más, un « plus jamais ça », le terrorisme d’Etat : c’est là que sont réaffirmées et élargies de nombreuses luttes de notre société contre diverses formes de violence, d’abus et d’exploitation. Ce Nunca más de la démocratie argentine a été et reste une référence pour de nombreuses luttes pour les droits de l’homme aux niveaux régional et global. Nous réclamons une réponse sans équivoque des autorités nationales et municipales, face à la tentative d’affaiblir et de banaliser cet engagement démocratique.
Laura Alcoba, écrivaine franco-argentine ; Germán Garrido, New York University ; Gabriel Giorgi, New York University ; Mariano López-Seoane, New York University - Buenos Aires/Universidad Tres de Febrero ; Cecilia Palmeiro, New York University - Buenos Aires/Universidad Tres de Febrero ; Andrea Giunta, Universidad de Buenos Aires ; Esteban Buch, École des Hautes Études en Sciences Sociales. Voir la liste des signataires sur