Mais comment en est-on arrivé là ?
Jorge Arrate. Dans les premières années, il y avait une précaution extrême. Pinochet désignait neuf sénateurs qui rendaient impossible d’adopter un quelconque projet de loi au Congrès, et il restait commandant en chef de l’armée. Puis le système a gardé ces verrous : les sénateurs désignés, les lois organiques impossibles à modifier, un système électoral injuste dont le principe de base est que 33 % des votes sont égaux à 66 %. Donc, le fait est que les changements qui furent tentés ont échoué. La Concertacion n’a pas eu la force ni le courage de poursuivre et, au contraire, elle s’est progressivement moulée au système.
Quelles sont vos propositions pour lutter contre les inégalités ?
Jorge Arrate. Il faut développer une action de grande ampleur, simultanée dans tout le pays. Il faut consacrer une part substantielle du PIB à un programme de lutte sur tous les fronts : éducation, santé, habitat, retraites, il faut tout faire en même temps. Nous proposons que le salaire minimum de 180 000 pesos chiliens (250 euros) soit porté à 250 000 pesos chiliens, ce qui correspond au salaire minimum éthique. Sur quatre ans, on augmenterait les salaires de 10 % à 12 % par année. Les grandes entreprises peuvent l’assumer. Les PME qui génèrent 70 % de l’emploi au Chili doivent être soutenues. Le système bancaire les exploite brutalement. Il faut baisser donc substantiellement les intérêts qu’elles payent. Surtout, je préconise d’instaurer des réserves de marché pour les PME chiliennes, dans la restauration ou l’hôtellerie par exemple. Nous avons le savoir-faire et n’avons pas besoin des chaînes internationales de fast-food ou d’hôtels.
Les retraites continuent d’être misérables. La mise en place d’une retraite minimum à 75 000 pesos chiliens (environ 100 euros) est insuffisante. Il faut les porter au niveau du salaire minimum éthique, par un système public qui se substituerait au système privé.
Fondamentalement, il faut une réforme fiscale. 70 % des ressources fiscales de l’État proviennent aujourd’hui de la TVA payée de façon uniforme par riches et pauvres. Il faut faire payer plus à ceux qui ont plus. Les déductions fiscales sont légion ici, de sorte que les entreprises payent très peu d’impôts.
Si on fait tout cela, les simulations montrent que l’impact sera significatif. Si on y ajoute les mesures d’investissement dans l’éducation, la santé et l’habitat, alors on modifie profondément la répartition des richesses.
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Vous soutenez l’idée d’une Assemblée constituante, pourquoi ?
Jorge Arrate. La Constitution en vigueur est celle de Pinochet à laquelle ont été apportées des modifications à la marge. Un exemple : l’article 21 limite l’État dans tout projet économique. Par exemple, le port de Coquimbo, qui est le dernier port aux mains de l’État, aurait besoin d’un nouveau quai pour accueillir les navires de tourisme transatlantique. Ce port est largement bénéficiaire mais il ne peut pas construire ce quai parce qu’il est propriété de l’État ! Cet investissement lui est donc interdit. L’État a les mains totalement liées. Nous croyons qu’une nouvelle Constitution doit être élaborée à travers un processus d’Assemblée constituante. Pour consulter les Chiliens sur cette idée, nous avons demandé à Michelle Bachelet de rajouter une 4e urne lors de l’élection du 13 décembre.
Votre candidature change-t-elle la gauche chilienne ?
Jorge Arrate. Cette candidature a pour ambition de reconstruire la gauche au Chili. Les exemples qui émergent en Europe avec Die Linke ou le PG et le Front de gauche sont d’ailleurs particulièrement intéressants à suivre. Ici, le PC avait déjà réalisé à la dernière présidentielle un rassemblement mais il manquait encore le secteur socialiste. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est de nous additionner à ce premier effort unitaire. C’est une accumulation d’histoires. Cette gauche classique, socialiste et communiste se joint aussi à des forces plus récentes comme Izquierda 21, La Surda, des secteurs libertaires. Nous devons nous construire sur la base de fusions successives. C’est l’objectif de cette candidature. Après cette campagne, nous resterons ensemble.
Propos traduits et recueillis par Alexis Corbière et Raquel Garrido.