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La Présidente de la République, Michelle Bachelet lors de la cérémonie de signature du projet de Loi qui établit un nouveau système de financement de la Défense Nationale au palais de la Moneda à Santiago du Chili.
Photo José Manuel de la Maza
Grâce à (ou à cause de) cette mesure héritée de la dictature, le Chili est le pays latino-américain qui dépense le plus pour ses militaires – après le Brésil (immense) et la Colombie (enlisée dans un conflit). Son budget de la défense n’a cessé de croître de manière impressionnante ces dernières années, plaçant le pays au 12e rang des destinataires mondiaux d’armements pour la période 2003-2007 (4,9 milliards de dollars en 2007) .
Tout en réincorporant le budget militaire dans le budget national, la loi proposée par Mme Bachelet, si elle est votée, pourrait permettre d’affecter une part plus importante des revenus du cuivre, gérés par l’entreprise publique Corporación del Cobre (Codelco), aux insuffisants et indispensables programmes sociaux.
En son temps — celui de la guerre froide — c’est ce que voulait faire, toutes choses égales par ailleurs, Salvador Allende. Elu le 4 septembre 1970, partisan d’un socialisme démocratique, il nationalise les banques, la grande industrie et… les mines de cuivre (propriété des multinationales américaines). On sait ce qu’il en advint. Le président Richard Nixon et son secrétaire d’Etat Henry Kissinger donnent des instructions directes à la Central Intelligence Agency (CIA) pour « faire craquer l’économie chilienne » (« Make the economy scream »). Grèves (en particulier des camionneurs) et manifestations se succèdent sur la droite du gouvernement de l’Union patriotique (UP), occupations de terres et d’usines se multiplient sur sa gauche, ne facilitant pas son action. Tandis qu’une campagne médiatique haineuse et souvent mensongère, menée par le quotidien El Mercurio, prépare le terrain, l’état-major de l’insurrection regroupe l’organisation fasciste Patrie et Liberté, le Parti national, les officiers putschistes. L’ambassadeur américain Harry Schlaudeman – qui a participé à l’invasion de la République dominicaine en 1965 – assure la coordination entre les militaires chiliens et la CIA.
Le 11 septembre 1973, la flotte entre à Valparaiso et l’armée attaque le palais présidentiel de la Moneda. C’est de là qu’Allende émet son dernier discours, transmis par Radio Magallanes : « Ils vont sûrement faire taire Radio Magallanes et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix tranquille. Peu importe, vous continuerez à m’écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et humilier. (…) Allez de l’avant, sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure. (…) Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vive les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu’au moins ce sera une punition morale pour la lâcheté et la trahison. »
Plutôt que de se rendre, Allende se suicidera.
Le documentaire Héros fragiles d’Emilio Pacull revient sur ces événements. Dans ce voyage intime vers le passé, sous-titré « Chili 1973, affaire non classée », Pacull, après une longue absence, se lance sur les traces de son beau-père, Augusto Olivares, proche collaborateur d’Allende qui, lui aussi, s’est donné la mort dans le palais de la Moneda le 11 septembre 1973. A travers des archives, des extraits de films de fiction, des entretiens avec victimes, militants, anciens de l’Unité populaire et des acteurs (repentis ou non) du coup d’Etat, Pacull livre un travail d’investigation remarquable. Il permet également de (re)découvrir, in vivo pourrait-on dire, le rôle du patronat chilien, des médias et des Etats-Unis, dans cette page marquante de l’histoire qui a mené le Chili de l’utopie socialiste au « paradis » néolibéral.
Maurice Lemoine
Héros fragiles, d’Emilio Pacull, Editions Montparnasse, 2009, 83 minutes.