vendredi 25 septembre 2009

Sous le coup de Pinochet

«Il faudra attendre jusqu’au dernier disparu dépisté pour retrouver une paix sociale au Chili, déplore le Chilien Andrés Muñoz. Mais il restera toujours des crimes non éclaircis, puisque plusieurs cadavres ont été lancés dans la mer.» Emprisonné en 1973 lorsqu’il était vice-président de l’association de l’Université de Santiago, Andrés Muñoz est l’un des 10 000 immigrants chiliens du Québec et membre de l’une des 1 000 familles à s’être exilées ici, en 1974, pour fuir la dictature.

Âgé de 59 ans, il arbore maintenant un uniforme de chauffeur d’autobus de la STM et se rappelle très bien de la période où il est retourné au Chili, de 1991 à 1993. À cette époque, le général Pinochet était toujours le commandant en chef de l’armée. Son régime avait laissé au pays plus de cinq millions de pauvres sur les 13 millions de Chiliens, des entreprises vendues au privé et des infrastructures peu avancées. «Il y avait tous ces politiciens à fleur de peau, mais aussi ces gens amorphes, qui considéraient comme fou celui qui oeuvrait dans des activités communautaires, relate Andrés Muñoz. Dorénavant, c’était chacun pour soi.»

L’héritage de Pinochet

L’exilé chilien Ricardo Contreras, sociologue et responsable des communications de l’Association des Chiliens du Québec, soutient qu’en 2009, les Chiliens ressassent toujours des frustrations face au gouvernement. «Les appareils de répression ont été démantelés, mais il reste toujours l’essence même du régime de Pinochet, explique M. Contreras, notamment la Constitution de 1980, de laquelle est issu le système judiciaire qui a longtemps mis des bâtons dans les roues des commissions d’enquête sur le régime dictatorial.»

Les investigations des cas de violations des droits de la personne tirent à leur fin. C’est ce qu’a déclaré le 2 septembre dernier le magistrat de la justice chilienne, Víctor Montiglio. Ce dernier a émis 129 mandats d’arrêt contre d’anciens militaires et policiers accusés d’exactions sous la dictature d’Augusto Pinochet. Environ 60 d’entre eux n’ont jamais été poursuivis en justice depuis la fin du régime militaire. Le bilan des victimes de torture se chiffre à 400 000 personnes, auxquelles l’État chilien verse une compensation financière à vie et accorde quelques avantages en termes d’accès aux services de santé publique.

Le rapport de la Commission nationale sur l’emprisonnement et la torture, publié en 2005, fait aussi état de 3200 opposants tués, dont 1200 disparus. Les familles de ces victimes n’ont cependant pas droit à une compensation - ni morale ni financière - de la part du gouvernement. Les arrestations des anciens militaires, dont les procès ont déjà commencé, témoignent le progrès du système judiciaire chilien. Pour les familles des victimes, elles ne mettent cependant pas fin à la dette de Pinochet envers la société.

Des groupes informels, composés pour la plupart d’enfants de victimes de la répression, ont vu le jour un peu partout au pays. Le but de ces regroupements est de faire leur propre justice expéditive. À Santiago du Chili, il existe par exemple la Commission des droits humains, FUNA, du verbe familier «funar», qui signifie dénoncer. Les participants «rendent visite » aux criminels, chez eux ou à leur travail, en faisant du bruit et en brandissant des affiches sur lesquelles figurent leurs coordonnées ainsi que les crimes qu’ils ont commis. Des clips de ce genre de dénonciations peuvent être visionnés sur YouTube, notamment celui de l’assassin du populaire chanteur chilien Víctor Jara, torturé puis tué par 44 coups de feu.

Tourner le dos à la politique

«Ce que Pinochet a laissé comme héritage chez les jeunes, c’est le manque d’envie de participer à la vie politique», explique le sociologue Ricardo Contreras. À ce jour, plus de trois millions de Chiliens, en majorité des jeunes, ne sont pas inscrits sur la liste électorale des élections présidentielles et législatives de décembre prochain. En vue des prochaines élections, le gouvernement a lancé une campagne en faveur du vote dont le slogan est « Yo tengo el poder, yo voto » (J’ai le pouvoir, je vote). Au Chili, le vote n’est obligatoire que pour ceux qui sont inscrits sur les listes électorales. Une fois enregistré, le citoyen a l’obligation, à vie, de voter, au risque d’encourir une amende s’il ne le fait pas.

«Ça me plairait qu’il existe une inscription automatique, mais le vote devrait se faire sur une base volontaire», commente Ivan Renato Canales, un étudiant de l’Université de Santiago. Le jeune homme de 23 ans n’est pas inscrit et ne votera donc pas aux prochaines élections, même s’il dit croire en son gouvernement.

« La politique chilienne s’enlise avec les années, puisqu’il y a toujours des abus de pouvoir ; et ainsi, je suis plutôt revêche à parler de politique », explique Maximiliano Andrés Salazar, un étudiant de 24 ans de l’Université de Santiago. Malgré cette réserve, il vote pour participer aux choix de son gouvernement.

Depuis la chute du régime du général Pinochet en 1990, c’est la coalition de centre-gauche, la Concertation de partis pour la démocratie, qui est au pouvoir. Mais aujourd’hui, pour la première fois depuis le retour à la démocratie, la coalition de droite, l’Alliance pour le Chili, est en avance dans les sondages. Si la droite revient au pouvoir en décembre, elle sera certes à contrecourant des nouveaux gouvernements de gauche latino-américains, mais pourra peut-être affranchir la politique chilienne de l’héritage d’Augusto Pinochet.

Julie TURGEON