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Le président de la Bolivie, Evo Morales, durant la I Conférence Mondiale des Peuples sur le «Changement climatique et la Mère la Terre », célébrée dans le pays andin le mois de avril 2010. Photo Reuters Incontestablement, la Bolivie d’Evo Morales est devenue l’élève le plus appliqué du bloc des pays qui composent l’ALBA – Alternative bolivarienne pour l’Amérique latine –, une union politique et économique lancée par le Venezuela d’Hugo Chávez. La Bolivie, non contente de se sortir brillamment de la crise, a su faire taire les préjugés politiques envers un gouvernement qui, par son discours de gauche et son engagement en faveur des droits des Amérindiens, n’était pas en odeur de sainteté au sein de l’establishment économique – pas plus que dans ce magazine. Mais ce pays, qui se bat pour ne plus être le plus pauvre d’Amérique du Sud – selon certaines études, il aurait dépassé le Paraguay en revenu par habitant –, affiche un surprenant dynamisme, où la chance, la clairvoyance et une saine gestion budgétaire ont eu chacune leur part.
Les autorités n’échappent néanmoins pas aux critiques, en particulier concernant l’austérité budgétaire dans un pays où plus de 60 % de la population vit dans la pauvreté. De plus, la Bolivie a toujours du mal à attirer les capitaux étrangers et elle doit améliorer sa gestion administrative ainsi que ses infrastructures, qui sont parmi les pires de toute l’Amérique. Pourtant, si on analyse les fondements de l’économie, la conclusion est claire : l’avenir s’annonce radieux pour ce pays.
Instabilité politique
Quand l’économie mondiale a commencé à vaciller, en 2008, la Bolivie aurait pu s’effondrer. La baisse des cours des matières premières était une très mauvaise nouvelle pour un pays qui tire 80 % de ses revenus de ces produits. De plus, sa deuxième plus grande source de revenus est représentée par les transferts d’argent de l’étranger – un Bolivien sur quatre a quitté le pays –, qui diminuent toujours lorsque les pays développés sont en récession. Pourtant, tous ces expatriés ont envoyé plus de 1 milliard de dollars à leurs familles en 2009. Un chiffre équivalant à 5,8 % du PIB, le taux le plus élevé de toute l’Amérique du Sud. L’instabilité politique de la région orientale, aux mains de l’opposition, a affecté un président populaire dans le reste du pays, semant le doute quant à sa capacité à maintenir les investissements étrangers, ne fût-ce qu’à un faible niveau. Enfin, cette même année, Washington a privé la Bolivie de son statut de partenaire commercial privilégié.
L’économie bolivienne prospère toutefois régulièrement depuis qu’Evo Morales est arrivé à la présidence en 2006. La moyenne de croissance sous son gouvernement s’établit à 5,2 % par an, le taux le plus élevé de ces trente dernières années. Cela s’explique pour une large part par la hausse du cours des produits de base. Mais la Bolivie a su profiter davantage de cette conjoncture favorable que d’autres pays de la région, grâce à la nationalisation du secteur des hydrocarbures, en mai 2006. Cette mesure controversée a contraint les grandes compagnies pétrolières qui travaillaient dans le pays à renégocier les redevances qu’elles versaient à l’Etat, dont la participation dans ce secteur est passée de 20 à 80 %.
“Avant, l’argent s’en allait ; aujourd’hui, il reste ici”, résume Luis Arce Catacora, le ministre de l’Economie et des Finances. Entre 2004 et 2008, les recettes de l’Etat se sont élevées à 3,5 milliards de dollars, passant de 58 à 401 dollars par habitant. Actuellement, les recettes fiscales représentent 20 % du PIB, contre une moyenne de 18,7 % pour les Etats-Unis au cours des quarante dernières années. La Bolivie épargne une bonne partie de ces revenus. En 2008, ses réserves de devises équivalaient à 41 % du PIB ; aujourd’hui, elles atteignent 8,4 milliards de dollars, soit 47 % du PIB. “A l’heure actuelle, la Bolivie dispose [proportionnellement] de réserves comparables à celles de la Chine”, souligne Gabriel Torres, analyste de l’agence de notation Moody’s. Selon Mark Weisbrot, codirecteur du Center for Economy and Policy Research, un groupe de réflexion de Washington [proche des démocrates], la Bolivie a pris la bonne décision : “Le gouvernement avait déjà mis en œuvre un programme de grands travaux quand la crise a éclaté. Il l’a ensuite maintenu et a consacré des moyens supplémentaires au soutien de l’économie.” En 2008, La Paz a investi 6 % du PIB dans les infrastructures, les travaux publics, les bons de consommation, etc. En 2009, cette proportion est passée à 10,1 %.
La plupart des analystes s’accordent à dire que l’économie se porte bien. “Inflation maîtrisée, excédent budgétaire, croissance modérée. A croire qu’ils suivent les recettes du FMI, de la Banque mondiale et autres institutions, malgré le discours que tient le président Morales”, souligne Gonzalo Chávez, un universitaire formé à l’université Harvard [aux Etats-Unis], qui dirige actuellement la maîtrise de développement de l’Université catholique bolivienne. “La vraie raison de notre croissance, ce n’est pas l’envolée des cours des matières premières”, soutient Luis Arce Catacora, le ministre de l’Economie. “Admettons que ce pays soit un avion. Avant, il avait un seul réacteur : les exportations de matières premières. Mais aujourd’hui nous en avons un deuxième : la demande intérieure. Voilà notre secret.”
Redistribuer les richesses
Vu le taux de pauvreté, créer un marché intérieur n’est pas une tâche facile. Il n’en reste pas moins que la demande locale progresse de 6 % par an, contre 2 ou 3 % avant que Morales n’accède à la présidence. En 2006, les dépôts bancaires représentaient 360 millions de dollars, dont 20 % sur des comptes d’épargne. Cette proportion atteint désormais 36 %. “Cela montre que les gens ont de quoi épargner et qu’ils ont confiance en nos banques”, affirme le ministre. C’est le fruit, dit-il, du “nouveau modèle économique social productif” mis en place par le gouvernement. Ce dernier comprend notamment un programme de distribution de bons aux adultes, aux enfants scolarisés, aux femmes enceintes et aux mères célibataires, le but étant de redistribuer la richesse nationale.
En 2007, les autorités ont également créé la Banque de développement productif, qui, l’année dernière, a accordé des prêts, de 10 000 dollars en moyenne, à 15 000 petits agriculteurs. De son côté, l’Entreprise de soutien à la production alimentaire (EMAPA), qui propose des crédits sans intérêts, a aussi pour mission d’acheter des marchandises directement aux petits et moyens producteurs, pour ensuite les revendre au reste de la population. Il en est résulté une augmentation de 17 % des surfaces cultivées par les petits paysans, ainsi qu’une stabilisation des prix du sucre, du riz et autres produits de base.
Certains font toutefois valoir qu’avec des réserves de quelque 8 milliards de dollars, les dépenses pourraient être plus élevées. “C’est beaucoup d’argent inutilisé pour un pays qui manque de routes, d’hôpitaux, d’écoles”, note Gonzalo Chávez. Mark Weisbrot est du même avis. Selon lui, il faut résolument investir pour créer des emplois et améliorer les infrastructures, tout en continuant à stimuler la demande intérieure. Si le gouvernement met actuellement de l’argent de côté, cela ne “concerne [que] le court terme, répond Luis Arce Catacora. A moyen terme, nous allons dépenser ces réserves”. L’avenir de la Bolivie aura sans doute une couleur argentée. L’impressionnant salar de Uyuni, le plus grand désert de sel de la planète, contient la moitié des réserves connues de lithium, principal composant des batteries destinées aux véhicules électriques. “Nous avons de grandes espérances pour le lithium, car il appartient au peuple bolivien”, commente Marcelo Castro, chef d’exploitation de l’usine pilote située en bordure du désert. Selon la nouvelle Constitution bolivienne, l’exploitation de ce métal ne peut pas être concédée à une entreprise étrangère. La construction de l’usine est presque terminée et la production de carbonate de lithium devrait débuter dès l’année prochaine. “Nous ne voulons plus être de simples exportateurs de matières premières, ajoute Marcelo Castro. Nous allons nous industrialiser afin de tirer pleinement profit de nos ressources naturelles.”
Diversification
Le gouvernement espère produire les composés chimiques à plus haute valeur ajoutée, comme le lithium métallique, et un jour peut-être même les batteries et les véhicules. Les autorités affirment qu’elles ne travailleront qu’avec des entreprises étrangères prêtes à collaborer avec l’Etat. Certains économistes craignent que cette attitude ne fasse fuir les investisseurs.
Tout aussi importante que l’exportation de lithium, voire davantage, la diversification de l’économie bolivienne est une priorité : 65 % du PIB proviennent en effet de secteurs qui n’emploient que 9 % de la main-d’œuvre. “Le grand défi est de développer l’agro-industrie, l’exploitation forestière et l’industrie manufacturière, en visant le marché mondial”, explique Gary Rodríguez, de l’Institut bolivien du commerce extérieur.
Malgré les étonnants résultats macroéconomiques de la Bolivie, les investisseurs hésitent beaucoup à placer leur argent dans un pays dont le président tient un discours anticapitaliste, même si ses propos sont souvent plus radicaux que ses actes. Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles des agences comme Moody’s attribuent encore une mauvaise note à la dette bolivienne, la situant entre les rangs B1 et B2.
Il n’empêche, la croissance soutenue de l’économie commence à porter ses fruits. “La Bolivie est de moins en moins un pays à bas revenus”, se réjouit Felipe Jaramillo, directeur de la Banque mondiale pour la Bolivie, le Pérou, le Chili, le Venezuela et l’Equateur. “Elle ne devrait pas tarder à entrer dans la catégorie des pays à revenus moyens.” Encore plus optimiste, Mark Weisbrot rappelle que nombre d’analystes et d’institutions internationales qui applaudissent aujourd’hui avaient pronostiqué une hécatombe économique quand Evo Morales a été élu. “En réalité, remarque-t-il, la Bolivie commence à décoller.”