vendredi 29 octobre 2010

José Serra : un politicien chevronné mais dénué de charisme

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Le candidat José Serra en campagne. Photo Galarie José Serra chez Flickr

En 2002, Serra, du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) avait échoué face au chef de file du Parti des Travailleurs (PT-gauche), puis il avait passé son tour en 2006 quand Lula a été réélu.

A deux jours du second tour de la présidentielle, cet ancien maire et gouverneur de Sao Paulo, l'Etat le plus riche et le plus peuplé du Brésil, est nettement devancé dans les sondages par Dilma Rousseff, la dauphine de Lula.

Déjà donné largement battu au premier tour par les sondages, il n'a pas baissé les bras et a finalement arraché un duel final avec Dilma, auquel même ses proches collaborateurs ne croyaient pas.

Malgré une attitude réservée, il a durci le ton contre sa rivale et l'a durement attaquée sur la corruption du gouvernement Lula.

Avare en sourires, cet économiste de formation est surtout connu des Brésiliens pour avoir mis en oeuvre des traitements gratuits contre le sida et développé les médicaments génériques quand il était ministre de la Santé de l'ex-président Fernando Henrique Cardoso, de 1998 à 2002.

C'est lui également qui a introduit la pilule du lendemain au Brésil mais, lors de la campagne électorale, il s'est déclaré "contre l'avortement" pour séduire l'électorat chrétien.

Ce fils d'immigrants italiens venus de Calabre dit avoir le coeur à gauche depuis sa jeunesse. Etudiant en ingénierie, il participe à des cours de théâtre pour vaincre sa timidité. A 21 ans, il est élu président de l'Union Nationale des Etudiants (UNE) et, à ce titre, il est parmi les premiers à être poursuivis par le régime militaire lors du coup d'Etat de 1964.

Il part en exil 14 ans.

Il passe par la France puis s'installe au Chili, où il se marie avec une danseuse du ballet national du Chili, Silvia Monica Allende, avec qui il a eu deux enfants, et étudie l'économie à l'université de Santiago.

Chassé du Chili par le coup d'Etat militaire en 1973, il gagne les Etats-Unis où il enseigne dans les prestigieuses universités de Princeton et de Cornell.

De retour au Brésil en 1977, Serra participe à la formation du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre-droit) d'opposition à la dictature militaire.

Deux ans plus tard, il est l'un des fondateurs du Parti de la sociale-démocratie brésilienne (PSDB) avec le sociologue Fernando Henrique Cardoso.

En 1994, il est élu sénateur, poste qu'il abandonnera pour rejoindre l'équipe du président Cardoso comme ministre du Plan. Il prend en 1998 le portefeuille de la Santé qu'il abandonne en 2002 pour se présenter contre Lula à la présidentielle et perd au second tour.

jeudi 28 octobre 2010

Le vide laissé par Kirchner

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Le président cubain Fidel Castro et le président argentin Néstor Kirchner rient durant une cérémonie au Palais Sain-Martin (Palacio San Martín, qui désigne communément, par métonymie, le ministère des Affaires étrangères), le jour de son investiture comme président de l'Argentine. Photo Reuters.

Emergeant par surprise sur la scène nationale en 2003, Néstor Kirchner a d'abord symbolisé le renouveau économique d'un pays plongé dans la pire crise de son histoire. S'il n'est pas à l'origine de la suspension du paiement de la dette et de l'interventionnisme étatique, cet ex-gouverneur d'un petit Etat pétrolier du sud argentin a habilement prolongé ce virage pris après la révolte populaire de décembre 2001. A travers une politique monétaire osée et des investissements publics, le gouvernement Kirchner a redressé la barre de façon spectaculaire, sortant des millions d'Argentins de l'indigence où les avaient plongés les politiques néolibérales de Carlos Menem et du FMI.
Au côté de ses alliés Lula et Chávez, il a incarné la volonté du continent de sortir de la subordination aux institutions financières et aux transnationales. Sa renégociation fructueuse de la dette est souvent citée en exemple, bien que sa fermeté face aux marchés se soit émoussée au fil du temps. Loyalement, il a oeuvré aux accords économiques et politiques entre Etats sud-américains. Un travail souligné par son plébiscite à la tête de l'UNASUR.
En Argentine, pourtant, après ses débuts foudroyants, le «kirchnerisme» a montré ses limites. Rattrapé par l'inflation, harcelé par le pou-voir économique et ses médias, M. Kirchner a vu s'accumuler critiques et ennemis, à me-sure que le «miracle» économique révélait sa face conjoncturelle. Plus étatiste que socialiste, ce «péroniste de gauche» n'a jamais esquissé un modèle de société plus intégrateur. Son bagage politique comme son penchant culturel l'ont incliné au clientélisme plutôt qu'aux réformes sociales d'envergure. Autoritaire, il voulut dicter ses priorités, tant aux patrons qu'aux mouvements sociaux, devenus courroies de transmission avec le «peuple» ou relégués à l'état d'ennemis publics.
Pour toutes ces bonnes comme ces mauvaises raisons, le décès de M. Kirchner laisse les progressistes argentins orphelins. Déjà battue aux législatives de 2009, la présidente aura de la peine à surmonter la perte de son premier allié, non seulement conseiller spécial mais aussi chef de parti. Bouleversé, l'échiquier politique pourrait même voir à terme une coalition de néolibéraux et de populistes de droite retrouver le chemin de la Casa Rosada.
Mais à l'heure de ce premier bilan, on voudra surtout se souvenir d'un autre Kirchner, garder en mémoire cet ancien opposant à la dictature qui, arrivé au sommet, prit le risque d'abroger les lois amnistiant les tortionnaires. Ce président des Argentins inaugurant, au côté des «Folles» de la place de Mai, le Musée de la mémoire dans la fameuse Ecole de mécanique de l'armée. Avec lui, trente mille victimes du génocide contre la gauche reprenaient la place historique qui leur avait été volée.

mercredi 27 octobre 2010

L'ancien président argentin Nestor Kirchner est mort

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Le président Néstor Kirchner, et la chanteuse Mercedes Sosa dite "La Negra" (décédée le 4 octobre 2009), dans un acte dans la Place de Mai à Buenos Aires pour célébrer son troisième anniversaire de la présidence de Néstor Kirchner en mai 2006. Photo AP

Il avait été hospitalisé d'urgence dans la journée dans son bastion d'El Calafate, dan le sud du pays, où il se reposait en famille. Sa femme, l'actuelle chef de l'Etat, Cristina Fernandez Kirchner, était à ses côtés.
Né à Río Gallegos, la capitale de la province de Santa Cruz, en Patagonie, Nestor Kirchner a dirigé l'Argentine de 2003 à 2007. Avocat de formation, il était assez méconnu lorsqu'il a remporté l'élection présidentielle à la faveur du retrait du président Carlos Menem avant le second tour. Pendant la campagne, il avait fait valoir son bilan favorable à la tête de la province de Santa Cruz, une région riche en pétrole, située aux confins de la Patagonie, dont il a été gouverneur pendant douze ans.
A la tête du pays, Nestor Kirchner avait profité du boom des exportations agricoles pour redresser une économie ravagée par la pire crise de son histoire en 2001-2002. En 2005, il avait également renégocié les trois quarts de la dette privée du pays, qui avoisinait les 100 milliards de dollars, et soldé ses comptes avec le Fonds monétaire international (9,5 milliards de dollars), qu'il tenait pour responsable de la crise.
Sa présidence reste aussi marquée par la réouverture de nombreux procès de criminels de la dictature, qui a laissé 30 000 disparus selon les organisations de défense des droits de l'homme entre 1976 et 1983.
UNE SANTÉ CHANCELANTE
En dépit d'une popularité supérieure à 60 %, il avait renoncé à se représenter en 2007 pour soutenir la candidature de son épouse depuis plus de trente ans, Cristina Fernandez de Kirchner, avec qui il a eu deux enfants, Maximo (32 ans) et Florencia (19 ans). Dans l'ombre, l'ancien président a continué à jouer un rôle prépondérant, mais son influence a diminué au fil de conflits avec les agriculteurs, les médias ou encore la Cour suprême.

Même le FMI félicite la Bolivie

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Le président de la Bolivie, Evo Morales, durant la I Conférence Mondiale des Peuples sur le «Changement climatique et la Mère la Terre », célébrée dans le pays andin le mois de avril 2010. Photo Reuters
Incontestablement, la Bolivie d’Evo Morales est devenue l’élève le plus appliqué du bloc des pays qui composent l’ALBA – Alternative bolivarienne pour l’Amérique latine –, une union politique et économique lancée par le Venezuela d’Hugo Chávez. La Bolivie, non contente de se sortir brillamment de la crise, a su faire taire les préjugés politiques envers un gouvernement qui, par son discours de gauche et son engagement en faveur des droits des Amérindiens, n’était pas en odeur de sainteté au sein de l’establishment économique – pas plus que dans ce magazine. Mais ce pays, qui se bat pour ne plus être le plus pauvre d’Amérique du Sud – selon certaines études, il aurait dépassé le Paraguay en revenu par habitant –, affiche un surprenant dynamisme, où la chance, la clairvoyance et une saine gestion budgétaire ont eu chacune leur part.
Les autorités n’échappent néanmoins pas aux critiques, en particulier concernant l’austérité budgétaire dans un pays où plus de 60 % de la population vit dans la pauvreté. De plus, la Bolivie a toujours du mal à attirer les capitaux étrangers et elle doit améliorer sa gestion administrative ainsi que ses infrastructures, qui sont parmi les pires de toute l’Amérique. Pourtant, si on analyse les fondements de l’économie, la conclusion est claire : l’avenir s’annonce radieux pour ce pays.
Instabilité politique
Quand l’économie mondiale a commencé à vaciller, en 2008, la Bolivie aurait pu s’effondrer. La baisse des cours des matières premières était une très mauvaise nouvelle pour un pays qui tire 80 % de ses revenus de ces produits. De plus, sa deuxième plus grande source de revenus est représentée par les transferts d’argent de l’étranger – un Bolivien sur quatre a quitté le pays –, qui diminuent toujours lorsque les pays développés sont en récession. Pourtant, tous ces expatriés ont envoyé plus de 1 milliard de dollars à leurs familles en 2009. Un chiffre équivalant à 5,8 % du PIB, le taux le plus élevé de toute l’Amérique du Sud. L’instabilité politique de la région orientale, aux mains de l’opposition, a affecté un président populaire dans le reste du pays, semant le doute quant à sa capacité à maintenir les investissements étrangers, ne fût-ce qu’à un faible niveau. Enfin, cette même année, Washington a privé la Bolivie de son statut de partenaire commercial privilégié.
L’économie bolivienne prospère toutefois régulièrement depuis qu’Evo Morales est arrivé à la présidence en 2006. La moyenne de croissance sous son gouvernement s’établit à 5,2 % par an, le taux le plus élevé de ces trente dernières années. Cela s’explique pour une large part par la hausse du cours des produits de base. Mais la Bolivie a su profiter davantage de cette conjoncture favorable que d’autres pays de la région, grâce à la nationalisation du secteur des hydrocarbures, en mai 2006. Cette mesure controversée a contraint les grandes compagnies pétrolières qui travaillaient dans le pays à renégocier les redevances qu’elles versaient à l’Etat, dont la participation dans ce secteur est passée de 20 à 80 %.
Avant, l’argent s’en allait ; aujourd’hui, il reste ici”, résume Luis Arce Catacora, le ministre de l’Economie et des Finances. Entre 2004 et 2008, les recettes de l’Etat se sont élevées à 3,5 milliards de dollars, passant de 58 à 401 dollars par habitant. Actuellement, les recettes fiscales représentent 20 % du PIB, contre une moyenne de 18,7 % pour les Etats-Unis au cours des quarante dernières années. La Bolivie épargne une bonne partie de ces revenus. En 2008, ses réserves de devises équivalaient à 41 % du PIB ; aujourd’hui, elles atteignent 8,4 milliards de dollars, soit 47 % du PIB. “A l’heure actuelle, la Bolivie dispose [proportionnellement] de réserves comparables à celles de la Chine”, souligne Gabriel Torres, analyste de l’agence de notation Moody’s. Selon Mark Weisbrot, codirecteur du Center for Economy and Policy Research, un groupe de réflexion de Washington [proche des démocrates], la Bolivie a pris la bonne décision : “Le gouvernement avait déjà mis en œuvre un programme de grands travaux quand la crise a éclaté. Il l’a ensuite maintenu et a consacré des moyens supplémentaires au soutien de l’économie.” En 2008, La Paz a investi 6 % du PIB dans les infrastructures, les travaux publics, les bons de consommation, etc. En 2009, cette proportion est passée à 10,1 %.
La plupart des analystes s’accordent à dire que l’économie se porte bien. “Inflation maîtrisée, excédent budgétaire, croissance modérée. A croire qu’ils suivent les recettes du FMI, de la Banque mondiale et autres institutions, malgré le discours que tient le président Morales”, souligne Gonzalo Chávez, un universitaire formé à l’université Harvard [aux Etats-Unis], qui dirige actuellement la maîtrise de développement de l’Université catholique bolivienne. “La vraie raison de notre croissance, ce n’est pas l’envolée des cours des matières premières”, soutient Luis Arce Catacora, le ministre de l’Economie. “Admettons que ce pays soit un avion. Avant, il avait un seul réacteur : les exportations de matières premières. Mais aujourd’hui nous en avons un deuxième : la demande intérieure. Voilà notre secret.
Redistribuer les richesses
Vu le taux de pauvreté, créer un marché intérieur n’est pas une tâche facile. Il n’en reste pas moins que la demande locale progresse de 6 % par an, contre 2 ou 3 % avant que Morales n’accède à la présidence. En 2006, les dépôts bancaires représentaient 360 millions de dollars, dont 20 % sur des comptes d’épargne. Cette proportion atteint désormais 36 %. “Cela montre que les gens ont de quoi épargner et qu’ils ont confiance en nos banques”, affirme le mi­nistre. C’est le fruit, dit-il, du “nouveau modèle économique social productif” mis en place par le gouvernement. Ce dernier comprend notamment un programme de distribution de bons aux adultes, aux enfants scolarisés, aux femmes enceintes et aux mères célibataires, le but étant de redistribuer la richesse nationale.
En 2007, les autorités ont également créé la Banque de développement productif, qui, l’année dernière, a accordé des prêts, de 10 000 dollars en moyenne, à 15 000 petits agriculteurs. De son côté, l’Entreprise de soutien à la production alimentaire (EMAPA), qui propose des crédits sans intérêts, a aussi pour mission d’acheter des marchandises directement aux petits et moyens producteurs, pour ensuite les revendre au reste de la population. Il en est résulté une augmentation de 17 % des surfaces cultivées par les petits paysans, ainsi qu’une stabilisation des prix du sucre, du riz et autres produits de base.
Certains font toutefois valoir qu’avec des réserves de quelque 8 milliards de dollars, les dépenses pourraient être plus élevées. “C’est beaucoup d’argent inutilisé pour un pays qui manque de routes, d’hôpitaux, d’écoles”, note Gonzalo Chávez. Mark Weisbrot est du même avis. Selon lui, il faut résolument investir pour créer des emplois et améliorer les infrastructures, tout en continuant à stimuler la demande intérieure. Si le gouvernement met actuellement de l’argent de côté, cela ne “concerne [que] le court terme, répond Luis Arce Catacora. A moyen terme, nous allons dépenser ces réserves”. L’avenir de la Bolivie aura sans doute une couleur argentée. L’impressionnant salar de Uyuni, le plus grand désert de sel de la planète, contient la moitié des réserves connues de lithium, principal composant des batteries destinées aux véhicules électriques. “Nous avons de grandes espérances pour le lithium, car il appartient au peuple bolivien”, commente Marcelo Castro, chef d’exploitation de l’usine pilote située en bordure du désert. Selon la nouvelle Constitution bolivienne, l’exploitation de ce métal ne peut pas être concédée à une entreprise étrangère. La construction de l’usine est pres­que terminée et la production de car­bonate de lithium devrait débuter dès l’année prochaine. “Nous ne voulons plus être de simples exportateurs de matières premières, ajoute Marcelo Castro. Nous allons nous industrialiser afin de tirer pleinement profit de nos ressources naturelles.
Diversification
Le gouvernement espère produire les composés chimiques à plus haute valeur ajoutée, comme le lithium métallique, et un jour peut-être même les batteries et les véhicules. Les autorités affirment qu’elles ne travailleront qu’avec des entreprises étrangères prêtes à collaborer avec l’Etat. Certains économistes craignent que cette attitude ne fasse fuir les investisseurs.
Tout aussi importante que l’exportation de lithium, voire davantage, la diversification de l’économie bolivienne est une priorité : 65 % du PIB proviennent en effet de secteurs qui n’emploient que 9 % de la main-d’œuvre. “Le grand défi est de développer l’agro-industrie, l’exploitation forestière et l’industrie manufacturière, en visant le marché mondial”, explique Gary Rodríguez, de l’Institut bolivien du commerce extérieur.
Malgré les étonnants résultats ma­croéconomiques de la Bolivie, les investisseurs hésitent beaucoup à placer leur argent dans un pays dont le président tient un discours anticapitaliste, même si ses propos sont souvent plus radicaux que ses actes. Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles des agences comme Moody’s attribuent encore une mauvaise note à la dette bolivienne, la situant entre les rangs B1 et B2.
Il n’empêche, la croissance soutenue de l’économie commence à porter ses fruits. “La Bolivie est de moins en moins un pays à bas revenus”, se réjouit Felipe Jaramillo, directeur de la Banque mondiale pour la Bolivie, le Pérou, le Chili, le Venezuela et l’Equateur. “Elle ne devrait pas tarder à entrer dans la catégorie des pays à revenus moyens.” Encore plus optimiste, Mark Weisbrot rappelle que nombre d’analystes et d’institutions internationales qui applaudissent aujourd’hui avaient pronostiqué une hécatombe économique quand Evo Morales a été élu. “En réalité, remarque-t-il, la Bolivie commence à décoller.

CHILI : LE RÉVEIL DES MAPUCHES

MARCHE EN FAVEUR DES PRISONNIERS
POLITIQUES MAPUCHE, 1ER SEPTEMBRE 2010CHILI : 

Grâce à leur longue grève de la faim, les prisonniers politiques mapuches ont réussi à faire entrer leurs revendications dans le débat public.
La fin de la grève de la faim des 32 prisonniers politiques mapuches incarcérés dans cinq prisons chiliennes a été célébrée le 9 octobre par nombre d’éditoriaux et d’articles d’opinion reconnaissant le succès du mouvement des Mapuches. C’est là, à n’en pas douter, la principale réussite politique de ce long jeûne volontaire [de 85 jours pour la plupart]. Cet écho compte beaucoup plus que les mesures négociées à Concepción, à Angol et à Temuco, permettant de démêler la situation juridique des Indiens, ou même que les réformes partielles au Congrès de la loi antiterroriste [adoptée sous la dictature (1973-1990) de Pinochet et au nom de laquelle les militants mapuches ont été arrêtés]. Le fait d’avoir replacé les exigences des Mapuches dans le débat public est un succès politique à marquer d’une pierre blanche. Le mérite en revient avant tout aux grévistes de la faim, à leurs familles et à leur communauté. Certes, ce débat braque aussi les projecteurs sur le contexte historique, politique et, disons-le également, “citoyen” et “démocratique” du combat mapuche d’aujourd’hui, avec des implications qui restent encore pour l’heure en souffrance. Des implications qu’il faudra faire figurer sur la prochaine liste de doléances, ajoutons-le. Car faire entrer un débat dans l’arène publique est une chose, mais faire en sorte que celui-ci sorte de la caricature en est une autre.

Pourtant les caricatures et les mauvaises plaisanteries sont légion dans les bilans que dressent de cette grève les médias chiliens. Les “gentils Mapuches”, les “méchants Mapuches”, le “leadership violent”, le “leadership paisible”… Parfois, heureusement, certains mettent dans le mille. C’est le cas d’un reportage remarquable d’Ana María Sanhueza dans Qué Pasa [dans notre prochain numéro, 1044, du 4 novembre 2010], qui décrit l’irruption d’une nouvelle génération mapuche, de jeunes conscients de leurs droits, fiers de leurs origines et, bien que formés dans le moule de la “connaissance occidentale”, résolus à ne pas oublier le chemin parcouru jadis par leurs grands-parents. Des jeunes d’une vingtaine d’années qui ont troqué la charrue contre les livres (ou l’ordinateur) et dont beaucoup, au cours de la grève de la faim, ont fait leur entrée en société. Gonzalo Müller, chroniqueur dans l’émission de télévision Estado Nacional et pour le journal La Segunda, leur a donné dans le quotidien du soir le nom de “Generación Weichafe” [génération de guerriers], décrivant presque avec terreur des “jeunes qui portent sur la question un regard rompant avec les exigences traditionnelles de ce peuple”. Les exigences traditionnelles de ce peuple ? Pour Gonzalo Müller, les concepts de “nation mapuche”, d'“autonomie” et d'“autogouvernement”, qu’on entend aujourd’hui à Concepción ou à Temuco dans la bouche de lycéens et d’étudiants aux cheveux longs, ne feraient donc pas partie des “exigences traditionnelles” des Mapuches. En font partie en revanche, comprend-on dans sa chronique, les programmes d’aide de l’Etat, l’engrais pour les semailles, les gravillons pour les chemins, le fourrage pour les bêtes et les paniers familiaux de produits de base, toujours indispensables dans cette société qui n’en peut plus de s’appauvrir.

Gonzalo Müller, éminent professeur à l’Ecole d’administration de l’Université pour le développement, ignorerait-il que dans les années 1930 un des principaux chefs mapuches, Manuel Aburto Panguilef, appelait à l’instauration dans le sud d’une “république indienne” fédérée à l’Etat chilien ? Ignorerait-il que, entre 1925 et 1973, 8 parlementaires mapuches (souvent alliés aux conservateurs) ont représenté les intérêts de leur “race” dans l’honorable hémicycle du Congrès national? Ne sait-il pas que, dans les années 1970, Alejandro Lipschutz, anthropologue letton et conseiller sur les questions ethniques pour l’Unidad popular [l’Unité populaire, la coalition de gauche qui conduisit Allende à la présidence], plaidait en faveur de la création d’un “territoire indien autonome” comme solution au problème déjà persistant des conflits territoriaux ? Alejandro Lipschutz, qui avait senti dans sa chair le joug assimilateur et uniformisant du communisme soviétique dans sa Lettonie natale, se refusait à “paysannifier” (comme le faisait Allende lui-même) la lutte des Mapuches. Les descendants de Lautaro [illustre guerrier mapuche qui s’opposa aux colonisateurs espagnols au XVIe siècle] ne seraient rien que de “pauvres paysans chiliens” ? Aux yeux de l’anthropologue, quelque chose clochait dans cette affirmation qui, admettons-le, continuait (et continue aujourd’hui encore) de transcender les clivages au sein de la classe politique chilienne, de la gauche à la droite. Et, bien que Müller ne se l’imagine pas un seul instant, nos grands-parents, à l’époque, s’éloignaient déjà de cette conception, prenant prudemment leurs distances avec la gauche et ses rêves de révolution. Ouvrant, non sans difficultés, un chemin revendicatif bien à eux.

Le fait est que les “nouveaux discours”, les “nouveaux récits”, la “nouvelle épopée” que Gonzalo Müller croit voir affleurer, comme par génération spontanée, chez les jeunes Mapuches n’ont en réalité rien de nouveau ou presque rien. Bien au contraire : ils tiennent pour beaucoup d’une mémoire recouvrée, de retrouvailles générationnelles avec un passé pas si lointain, avec des voix familières qui, il y a trente, quarante ou cinquante ans nous parlaient d’un peuple possédant une histoire, un présent et, surtout, un avenir à construire. C’est de cela que parlent aujourd’hui les nouvelles générations. C’est de tout cela, à leur façon, qu’ils parlent au pays entier. Tantôt timidement, tantôt en élevant la voix. Quelquefois de façon contradictoire et confuse. Et peut-être ne le savent-ils pas eux-mêmes, mais par leur voix renaît la voix de leurs ancêtres. S’agit-il d’une voix qui nous renvoie dans le passé, vers cette “communauté perdue” que dépeignent les anthropologues et les sociologues, vers cette “réduction rurale” idéalisée par les dirigeants et les poètes ? Absolument pas. La voix mapuche, dans l’actuel Chili conservateur, est une voix riche de modernité et d’avenir. Une voix qui renvoie, pour qui veut bien l’écouter, à des débats de tout premier ordre dans le concert international : multiculturalisme, approfondissement de la démocratie, citoyenneté et interculturalité, décentralisation du pouvoir et nouvelles formes de représentation sociale et politique, modèles de développement et impact de ces derniers sur l’humanité et sur la planète, etc. Rien de tout cela ne parle du passé. A l’inverse, ce sont des voix qui, à travers cette jeunesse, font faire aux Mapuches et à tous les Chiliens un pas de plus vers l’avenir. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir.

Cette nouvelle génération va dans peu de temps, si je peux me hasarder à un pronostic, rompre avec toutes les images préconçues en vigueur sur ce que nous, Mapuches du Chili, sommes censés être : des paysans, des domestiques asservis, des boulangers, des vendeurs sur le marché de la Vega à Santiago, de simples soldats dans les rangs de l’armée – des chasseurs-cueilleurs peut-être encore ? Il serait bon, messieurs les représentants des classes politique et intellectuelle de ce pays, de leur accorder un peu plus d’attention. Ils sont nombreux, il serait temps de s’en rendre compte. On estime à 2 000 le nombre de jeunes Mapuches dans les seules universités publiques et privées de Temuco. Ils sont plusieurs centaines d’autres sur les campus et dans les facultés de Concepción, de Valdivia, d’Osorno et de Puerto Montt. Sans parler de Santiago et de Valparaíso, deux villes où se concentrent désormais la majorité des nôtres, une diaspora qui peu à peu rompt avec la timidité et exige elle aussi sa place dans cette Histoire. Ces milliers d’étudiants mapuches, ajoutés à plusieurs autres milliers de jeunes qui, dans les communautés rurales, renforcent l’identité et le discours mapuches, unis à une classe moyenne émergente formée d’intellectuels et d’actifs qui au quotidien conquièrent symboliquement des espaces qui jusque-là leur étaient fermés, forment une génération montante extrêmement puissante. C’est le passage du panier d’aide à la lutte pour le pouvoir politique. Le passage de l’assistanat à la reconnaissance et à la pleine jouissance des droits. Ils annoncent, en somme, l’aube du Mapuche et le crépuscule du “Mapuchito”.



Araucaria soutient très haut le film « Nostalgie de la lumière »

Agé de 69 ans, il signe aujourd'hui avec Nostalgie de la lumière un film totalement inattendu, qui contourne le genre pour mieux le mener vers des sommets de poésie. Ce film n'est pas seulement le chef-d'oeuvre de Guzman, il est un des plus beaux essais cinématographiques qu'on a vus depuis longtemps. Son canevas, complexe, est tissé avec la plus grande simplicité. Trois niveaux s'y enchevêtrent : des considérations sur la recherche astronomique, une archéologie des fondations indiennes et une mémoire de la dictature.
Un lieu rassemble ces trois couches sensibles : le désert d'Atacama. Cet endroit, réputé être le plus aride et le moins propice à la vie de notre planète, Nostalgie de la lumière le transforme en terreau incroyablement fertile. Parce qu'on y trouve à la fois le plus grand observatoire astronomique au monde, les vestiges remarquablement conservés des civilisations autochtones et les cadavres de déportés politiques assassinés durant la dictature dans les camps environnants, avant d'être disséminés dans les sables. Chacune de ces réalités induit un travail de prospection particulier. L'astronome scrute le ciel, l'archéologue fouille le sol, les femmes de disparus creusent, depuis vingt-huit ans, sans relâche, les entrailles de la terre.
Le génie du film, inspiré du génie du lieu, consiste à mettre ces recherches, comme les personnages qui les incarnent, en rapport. Gaspar l'astronome, Lautaro l'archéologue, les veuves Victoria et Violeta partagent la même obsession des origines, qui de l'Univers, qui de la civilisation, qui du mal et de la mort. Le regard dans les étoiles ou les mains dans le sable, ils connaissent la même incertitude, le même sentiment de relativité et de précarité, la même opiniâtreté à chercher la lumière dans cette nuit profonde qui environne l'humanité. Cela nous les rend, comme personnages, précieux et bouleversants.
Nostalgie de la lumière doit pourtant sa réussite à un travail formel qui engage davantage que ses personnages : une science insolite du montage, une magie de l'association entre les choses et les êtres, un art de mettre au jour des connexions insoupçonnées. Momies et télescopes, billes d'enfants et galaxies, azur et ténèbres, traces du passé et projections d'avenir, douleurs infinies et paix sidérale entrent ici dans la danse de l'esprit poétique qui les célèbre, quelque part entre 2001 Odyssée de l'espace, de Stanley Kubrick, et Le Songe de la lumière, de Victor Erice.
Le film révèle aussi les liens objectifs qui existent, à travers d'autres personnages, entre ces réalités disparates. C'est le cas de Luis, ancien prisonnier, qui doit d'avoir survécu à la passion de l'astronomie que lui ont inculquée les savants en prison. C'est aussi celui de Valentina, jeune astronome, qui puise dans l'observation du cycle de l'Univers une raison suffisante d'apprécier la vie, après que ses deux parents ont été assassinés, alors qu'elle n'était qu'une enfant. On tient ici, dans l'image tremblante de cette jeune orpheline qui pose avec son enfant, la beauté ultime du film : tirer, d'une terre ingrate et d'une histoire inhumaine, la force de chercher encore, donc d'espérer encore.
Il aura fallu à Patricio Guzman quarante ans de lutte pied à pied, de mémoire à vif et de souffrance intime, pour aboutir à cette oeuvre d'une sérénité cosmique, d'une lumineuse intelligence, d'une sensibilité à faire fendre les pierres. A un tel niveau, le film devient davantage qu'un film. Une folle accolade au genre humain, un chant stellaire pour les morts, une leçon de vie. Silence et respect.
Documentaire chilien de Patricio Guzman. (1 h 30.)
Jacques Mandelbaum

Les mineurs chiliens oubliés de San José

« Et à nous, qui nous sort du trou ? », « 70 jours sans argent ni travail », « Solde de tout compte tout de suite » « Ne nous volez pas ! » Photo Reuters
Au Chili, pendant que les 33 mineurs sauvés de la mine San José savourent leur retour à la surface, les autres travailleurs de la mine manifestent pour obtenir le paiement de leurs indemnités de licenciement. Depuis le 5 août, jour de l’éboulement qui a enfermé 33 hommes sous terre, plus de 300 autres travailleurs ont perdu leur emploi.
Certes payés fin août et fin septembre, ces employés de l’entreprise San Esteban, propriétaire de la mine San José, n’ont officiellement toujours pas reçu leur congé. Et surtout pas encore touché un centime des indemnités de licenciement qui leur sont dues.
« L’entreprise propose de nous payer un quart des indemnités de licenciement en décembre et le reste en onze mensualités à partir de janvier », explique Javier Castillo, trésorier du syndicat de la mine San José et directeur national de la Confédération minière du Chili. « C’est inacceptable ! Avec quel argent les travailleurs vont-ils vivre jusqu’à décembre ? » s’insurge-t-il. Et de marteler : « Depuis des mois, voire des années, nous réclamons la ratification de la convention 176 de l’Organisation internationale du travail sur la sécurité dans les mines. »
En s’imposant sur le droit chilien, cet accord international de 1995 permettrait notamment aux mineurs de dénoncer le danger dans certaines mines, sans avoir peur d’être mis à la porte. Il leur donnerait aussi « le droit de paralyser la production », explique le syndicaliste. Le président chilien conservateur, Sebastian Pinera, a promis de ratifier cette convention. En attendant, répète Javier Castillo, des mines aussi dangereuses que San José « continuent d’être exploitées un peu partout » dans le nord du Chili.
Lucile Gimberg

mardi 26 octobre 2010

Mineurs chiliens : Que cachait le le show télé ?

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Que les « sauveurs » étaient en fait les coupables. Trois heures avant l’éboulement, les mineurs de San José avaient demandé à pouvoir sortir, suite à des bruits suspects. Le refus de leurs supérieurs les a emprisonnés sous des tonnes de terre. Surprenant ? Non, le 30 juillet, un rapport du ministère du Travail signalait d’importants problèmes de sécurité à la mine de San José. Sans suite, le ministre étant resté muet.
Tout le monde s’est évidemment réjoui du happy end. Mais le show du sauvetage a occulté l’ampleur du problème : quatre cents mineurs chiliens sont morts ces dix dernières années. Et surtout les causes : « Faiblesses des investissements et des normes de sécurité », a indiqué Marco Enriquez-Ominami, l’adversaire de Sebastián Piñera aux dernières élections présidentielles. En effet, pour la seule année 2009, le Chili a enregistré 191.000 accidents de travail qui ont tué 443 travailleurs. Et c’est l’Etat chilien qui en est directement responsable, car depuis douze ans, il a refusé de ratifier la Convention 176 de l’Organisation Internationale du Travail sur la sécurité et la santé dans les mines. Les entreprises ont toutes les libertés, les travailleurs aucun droit.
Derrière le sauveur, se cache le milliardaire

Il était sur tous les écrans, en permanence : chef d’Etat souriant, concentré, soucieux de ses citoyens. Un peu trop lisse, cette image d’Epinal ? Qui est réellement Sebastián Piñera, élu président en 2009 avec 51,61% des suffrages ?
A 61 ans, il possède 1,2 milliard de dollars, ce qui en fait la 701ème fortune mondiale selon la revue Forbes. (Infos de 2008 [Le magazine Forbes publie son classement 2010 des milliardaires. Sebastián Piñera, président du Chili, a vu doubler sa fortune personnelle qui est passée de 1.0 milliards de dollars en 2008 à 2.2 milliards de dollars en 2009. Il est passé de la place 701 à la 437 des personnes les plus riches du monde.]NDR) Cette fortune, il l’a bâtie grâce aux mesures prises par la sanglante dictature militaire de Pinochet (1973-1990). Le Chili de cette époque incarnait le laboratoire du néolibéralisme impulsé par ces économistes extrémistes qu’on avait surnommé les Chicago Boys. De ces privatisations, Piñera a su profiter en faisant main basse sur le secteur des cartes de crédit.
Surnommé « le Silvio Berlusconi latino-américain », Piñera possède actuellement Chilevision, une des grandes chaînes télé du pays, et Colo Colo, une des principales équipes de football. Il est également actif dans la distribution, l’industrie minière et pharmaceutique. En accédant au poste de président, il a été obligé de vendre ses parts de la compagnie aérienne Lan Chile (il était l’actionnaire majoritaire). Double casquette donc : chef d’Etat et puissant homme d’affaires. Interpellé sur cette confusion des rôles par le journal argentin Clarín, il a répondu : « Seuls les morts et les saints n’ont pas de conflits d’intérêts ».
Un saint, Piñera ne l’est certes pas. Monica Madariaga, ministre de la Justice pendant la dictature militaire, a reconnu avoir fait pression sur des juges, à l’époque où Piñera était gérant d’une banque. La fraude se serait élevée à près de 240 millions de dollars. En 2007, Piñera a aussi été condamné pour délit d’initié par l’autorité des marchés financiers suite à l’achat des actions de Lan Chile. Comme disait le grand écrivain français Honoré de Balzac, « derrière chaque grande fortune se cache un crime ». Celle de Piñera a la couleur du sang des victimes de la dictature.
En cachant son passé, en le présentant comme un ami du peuple, le show télévisuel sur la mine de San José a fourni à Piñera une véritable opportunité politique. Avec son casque jaune, il a grimpé dans les sondages. La droite chilienne, qui n’osait plus se montrer après la dictature, a pu redorer son blason.
Piñera, la victoire posthume de Pinochet et des USA
Malgré ces scandales, Sebastián Piñera sait se valoriser. Sa campagne électorale a mis en avant son « amour pour la démocratie » et son vote contre le maintien de Pinochet au pouvoir lors du plébiscite de 1988. Il est ainsi parvenu à se faire élire sur base de son image de « l’homme qui a tout réussi ». Comme si faire fortune impliquait une bonne gestion de l’Etat. Au contraire : sa fortune s’est justement construite en affaiblissant la collectivité.
Et il s’apprête à continuer. Cet admirateur de Nicolas Sarkozy entend privatiser les propriétés de l’Etat, sous prétexte de couvrir les pertes provoquées par le grand tremblement de terre de février 2010. Il s’agirait de vendre au privé 40% de Codelco (n° 1 du cuivre) ainsi qu’une autre entreprise minière Cimm T&S. Cela prend tout son sens quand on sait que le Chili est le premier exportateur mondial de cuivre. Il faut savoir que certaines multinationales des Etats-Unis ont commis les pires crimes pour conserver le contrôle de ces richesses.
En 1970, un gouvernement progressiste, dirigé par Salvador Allende, avait entrepris de développer le Chili et de sortir sa population de la pauvreté. Pour ce faire, le pays devait récupérer le contrôle de sa principale richesse : le cuivre. En obtenir un prix plus correct et affecter ces revenus aux besoins pressants de la population. Aussitôt, les Etats-Unis se sont déchaînés : blocus financier, déstabilisation par la CIA, actions terroristes, chantages en tous genres... Jusqu’au coup d’Etat militaire et à l’instauration de la dictature fasciste d’Augusto Pinochet. Des milliers de victimes, toute une génération progressiste massacrée ou exilée.
Dans son discours à l’ONU, en décembre 1972, soit quelques mois avant son assassinat, le président Allende décrit le pillage de son pays par les multinationales US du cuivre, Anaconda Company et Kennecott Copper Corporation : « Les mêmes firmes qui ont exploité le cuivre chilien durant de nombreuses années ont réalisé plus de quatre milliards de dollars de bénéfices au cours des quarante-deux dernières années, alors que leurs investissements initiaux avaient été inférieurs à trente millions de dollars. Un exemple simple et pénible, un contraste flagrant : dans mon pays, il y a six cent mille enfants qui ne pourront jamais profiter de la vie dans des conditions humaines normales parce que durant les huit premiers mois de leur existence, ils ont été privés de la quantité indispensable de protéines. Mon pays, le Chili, aurait été totalement transformé avec ces quatre milliards de dollars. Une infime partie de ce montant suffirait à assurer une fois pour toutes des protéines à tous les enfants de mon pays. » La victoire électorale de Piñera, c’est au fond la victoire posthume de la dictature, le retour au pouvoir des Etats-Unis.
D’ailleurs, Piñera compte aussi emprunter à la Banque Interaméricaine de Développement, dominée par les USA. Cet emprunt imposera de nouvelles mesures d’économies antisociales. Cette offensive générale du privé contre le public n’a rien d’étonnant dès lors qu’un milliardaire a carrément pris la présidence de l’Etat. Toute apparence d’indépendance entre les deux sphères s’évanouit : le ministre des affaires étrangères dirigeait la chaîne de grands magasins Falabella ; celui de la Santé dirigeait la clinique privée Las Condes, la plus chère du pays. Même s’ils ont temporairement abandonné ces postes, ils prennent des décisions qui les concernent de façon très intéressée.
Avec de tels milliardaires au pouvoir, pas étonnant que les entreprises soient taxées de façon ridicule : 3% en 2011 et 1,5% en 2012 ! Sous prétexte, toujours, du tremblement de terre. En fait, le Chili occupe la 21ème place mondiale des Etats taxant le moins le Capital. Et la première place en Amérique latine (source : Pricewaterhouse Coopers). Sur ces liens entre la dictature et Piñera, sur ces projets antisociaux, les télés n’ont rien dit.
Occultée : la colère des mineurs

Dans ce pays où le chef d’entreprise est roi, Piñera a quand même dû constituer une commission sur la sécurité au travail après le drame de San José. Elle rendra ses conclusions le 22 novembre. Il a aussi créé un organe de contrôle des mines, et décidé de revoir le règlement de sécurité minière.
Ce n’est pas le cadeau d’un milliardaire au grand cœur, c’est juste un recul face au mécontentement. Juste après le sauvetage des mineurs, leurs collègues ont manifesté pour réclamer leurs salaires et leurs primes non perçues, la formation continue des jeunes travailleurs, la validation des acquis, la retraite des aînés et les indemnités de licenciement. Le 7 septembre, d’ailleurs, les syndicats chiliens ont exigé la ratification de la convention sur la sécurité et la santé dans les mines, mais aussi dans le bâtiment et dans l’agriculture.
Mais ce que la télé n’a pas dit, c’est que ces violations des droits des travailleurs trouvent leurs origines dans les réformes opérées sous la dictature. Les années Pinochet ont transformé la santé, l’éducation et la Sécurité sociale en simples marchandises. Les emplois ont été précarisés et flexibilisés. Et ces réformes néolibérales sont restées quasiment intactes, car elles n’ont jamais été remises en question par les gouvernements de la Concertation (alliance des démocrates-chrétiens et socialistes), qui se sont succédés pendant vingt ans depuis Pinochet. Bafouer les droits des travailleurs - et même les droits de l’Homme - est toujours légal au Chili.
Sur ce terrain aussi, Piñera est impliqué. C’est son frère José qui était ministre du Travail dans les années 80, sous la dictature. C’est lui qui a appliqué le néolibéralisme pur et dur des Chicago Boys, en imposant que les retraites soient « capitalisées », c’est-à-dire en fait privatisées. Ce désastre nous ramène au Camp Esperanza. Un des 33, Mario Gomez, a commencé à travailler dans les mines à douze ans. Aujourd’hui, à soixante-trois ans, il y est toujours ! Pourquoi ? Parce que sa retraite est dérisoire. Merci, José Pinera ! De tout cela, la télé n’en a rien dit.
Un des pays les plus injustes au monde

« Miracle économique » aux yeux de Washington, le Chili figure en réalité parmi les pays les plus injustes au monde. Les statistiques du CASEN (centre d’enquête sur la situation socio-économique nationale) montrent que la pauvreté grimpe au même rythme que le PIB (production globale du pays). Celui-ci augmente, mais ne profite qu’à une partie de la population, creusant davantage les inégalités. La pauvreté a augmenté de 15 % en 2009. Particulièrement touchés : les enfants de moins de trois ans. Un sur quatre est pauvre selon le CASEN.
Mais ces chiffres officiels sous-estiment encore la réalité, car ils se basent sur un calcul datant de 1988, qui considère qu’un pauvre est une personne gagnant moins de 2.000 pesos par jour. Or, un ticket de bus revient à 500 pesos ! Il n’a donc pas été tenu compte de l’augmentation du coût de la vie. Une estimation plus réaliste aboutit à huit millions de pauvres, soit la moitié de la population. Face à cela, la section des droits de l’Homme de l’ONU reste muette. Et les Etats-Unis, grands défenseurs de la démocratie, considèrent le pays comme un allié et même un exemple. Est-ce un hasard si le Chili se rapproche aujourd’hui de la Colombie, considérée comme l’agent des Etats-Unis en Amérique latine ?
Au final, la société chilienne a été divisée, déchue de ces droits, mal informée et réduite à la soumission par des médias uniformes. L’objectif de la droite se situe dans la continuité du régime militaire, et même de la Concertation. Le pays devient de plus en plus un paradis pour les entreprises, réprimant travailleurs et syndicats. Sebastián Piñera garantit la préservation du modèle de la Constitution que Pinochet avait imposée en 1980. Il risque même de l’approfondir. La télé n’en a rien dit.
A quoi sert un show ?

Résumons (et tirons-en les leçons, car de pareils shows, on nous en resservira encore). Pendant des jours et des jours, les grands média internationaux nous ont ressassé le même conte de fées : un milliardaire au grand cœur, tellement soucieux des pauvres ! Pendant des jours et des jours, cette télé unique a laissé de côté les méfaits et les plans égoïstes de ce milliardaire, ses liens avec la pire dictature, sa servilité envers les Etats-Unis.
Toutes les caméras, chiliennes et internationales, ont été braquées sur ce show. Rien sur, par exemple, l’impressionnante grève de la faim des indigènes Mapuche. Durement réprimés, traités comme des terroristes, leur lutte a été étouffée. Par contre, la télévision nous a tout raconté sur les mineurs, jusqu’à leurs secrets les plus intimes. On a découvert la double vie de certains, des enfants cachés et des maîtresses. On se serait cru en pleine télé-réalité. Zéro info, que de l’émotion à la louche : les maisons de production annoncent un film, un téléfilm et un livre. Quelle opportunité pour s’en mettre plein les poches ! Pour assurer les détails poignants, le journal de bord d’un des rescapés est au cœur de toutes les convoitises. On estime que les acheteurs potentiels seraient prêts à débourser jusqu’à cinquante mille dollars. Ces 33 histoires seront donc exploitées au maximum, mettant à nu la vie privée de 33 personnes.
Le principe du « show » télévisuel, c’est d’empêcher la réflexion. Pour cela, on joue sur l’émotion avec des techniques bien étudiées qui scotchent le spectateur et gonflent les recettes publicitaires. Cette émotion est systématiquement exploitée afin de cacher l’absence de toute véritable enquête sur les causes des problèmes. Par exemple, un accident de travail est presque toujours le résultat d’un conflit entre des intérêts opposés : le profit contre la sécurité.
Aucune enquête donc sur les responsabilités des « sauveurs » et de l’Etat chilien. Pas d’enquête sur nos gouvernements occidentaux qui ont été complices de Pinochet et ont refusé que ce criminel soit jugé. Pas d’enquête sur les questions actuelles fondamentales… Pourquoi un Latino-Américain sur deux est-il pauvre alors que ce continent regorge de richesses et que les multinationales y font d’énormes profits ? Pourquoi nos gouvernements occidentaux s’opposent-ils à tous ceux qui tentent de combattre la pauvreté ? Pourquoi ces gouvernements n’ont-ils rien fait lorsque la CIA a tenté des coups d’Etat pour éliminer Hugo Chavez, Evo Morales et Rafael Correa ? Pourquoi ne font-ils rien contre le coup d’Etat militaire qui a réussi au Honduras ? On y tue systématiquement des journalistes, des syndicalistes des militants des droits de l’Homme et cela ne provoque aucune campagne médiatique internationale ?
A la place de ces véritables enquêtes, la télé nous bourre le crâne avec les messages du genre « milliardaires et travailleurs, tous dans le même bateau »… Pour vraiment s’informer, il faudra chercher ailleurs.

Le président chilien s'excuse pour un slogan nazi

Sebastián Piñera a écrit «Deutschland über alles», ce qui signifie «l’Allemagne au dessus de tout», un slogan devenu tristement célèbre lors du Troisième Reich. Après la Seconde Guerre mondiale, le passage a été retiré de l'hymne national allemand parce jugé trop nationaliste.

M. Piñera a affirmé qu'il avait appris le slogan à l'école dans les années 1950 et 1960 et qu'il l'avait compris comme une célébration de l'unification de l'Allemagne sous Otto von Bismarck.

Le président chilien a ajouté qu'il ne savait pas que ce solgan était «lié à ce passé noir du pays». Il s'est excusé lundi et a demandé à être pardonné.

M. Piñera a conclu samedi sa visite du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne.

dimanche 24 octobre 2010

Chili. L’enfer sous terre, le profit… sur terre

Le président du Chili, Sebastián Piñera, l’ultralibéral « Berlusconi chilien », élu en janvier 2010, est un habitué des médias et un multimillionnaire qui entend gérer le Chili comme ses entreprises. Les « 33 » (32 Chiliens et un Bolivien) ont été proclamés « héros du bicentenaire de l’indépendance » avec une débauche de discours patriotiques et de drapeaux nationaux. Le gouvernement a transformé leur sauvetage, suivi en direct par des millions de personnes, en un show impressionnant : plus de 1 700 journalistes du monde entier présents sur le « campement de l’espoir » et, deux mois durant, le ministre des Mines et ex-dirigeant de la filiale chilienne d’Exxon Mobil, a joué l’animateur vedette. Mais le jour J, c’est Piñera qui était sous le feu des caméras. Une bonne opportunité pour redorer le blason d’une droite marquée par ses liens avec la dictature du général Pinochet (1973-1989), juste avant la tournée européenne du président. Celui-ci ne s’y est pas trompé en déclarant : « Le Chili sera désormais reconnu non pour Pinochet, mais comme un exemple d’unité, de leadership, de courage, de foi et de réussite ».
Mais derrière ce voile médiatique, il y a les terribles conditions de travail des mineurs et l’exploitation forcenée des richesses naturelles. 58 % des exportations sont liées à la mine. Le Chili produit 40 % du cuivre mondial et, si l’entreprise publique Codelco domine encore le secteur, Pinochet a ouvert les portes aux capitaux privés transnationaux ou locaux. Ce modèle a ensuite été poursuivi avec entrain pendant vingt ans, de 1990 à 2010, par les gouvernements sociaux-libéraux de « la Concertation ».
Tout a été fait pour passer sous silence les causes réelles de l’accident. Les plaintes des familles contre les propriétaires de San José, les mobilisations des mineurs restés dehors, les déclarations de la Confédération minière du Chili qui regroupe 18 000 syndiqués, ont été systématiquement marginalisées. Dans la région d’Antofagasta, 277 gisements sur 300, dont celui de San José, sont exploités sans être aux normes. Et il n’y a que seize inspecteurs pour contrôler plus de 4 000 mines dans tout le pays !
Cette exploitation éhontée du travail touche d’ailleurs tous les secteurs de l’économie. 443 personnes sont décédées à la suite d’un accident du travail en 2009, pour une population active de moins de 7 millions. Lorsqu’il est sorti de la mine, Luis Urzúa, fils d’un dirigeant syndical communiste disparu durant la dictature, a déclaré : « J’espère que cela n’arrivera plus jamais ».
Ces dernières années, les luttes étudiantes et les grèves de travailleurs se sont multipliées, notamment chez les mineurs travaillant en sous-traitance pour les grandes entreprises. Dans le Sud, les Indiens mapuches mobilisés et en grève de la faim montrent aussi la voie. L’approfondissement de cette dynamique, dans une perspective indépendante des sociaux-libéraux, est une des conditions indispensables à la construction d’un projet alternatif au capitalisme néolibéral et à l’intégration du Chili dans une dynamique régionale de changements démocratiques.
Franck Gaudichaud

samedi 23 octobre 2010

COMMUNIQUE DU COLLECTIF DE SOUTIEN AU PEUPLE MAPUCHE


U
ne fois son exposé fini, la parole a été donnée aux étudiants, futurs leaders politiques.
La teneur des inquiétudes s’est manifestée tout de suite: « Quelle place pour une Assemblée constituante au Chili? » La liste « Y a-t-il eu manipulation médiatique dans l'organisation de la sortie des mineurs ? » ;« Et les minorités sexuelles ? Où en est le PACS ? » ; « Pourquoi on n’en finit pas avec la criminalisation du Peuple Mapuche ? »
Au fur et à mesure que les questions arrivaient, comme un vieux renard, le Président utilisait la technique du « projet », c’est-à-dire, de « ce qu’on pense faire ». Ainsi, ses réponses variaient entre : « Nous l’avons en route… » (Plan Araucanía, loi antiterroriste et justice militaire) où « Nous prévoyons de le faire… » (Reconnaissance constitutionnelle des peuples indigènes, amélioration des conditions de travail des mineurs…) ou simplement il assénait un « Vous avez tort! », et c’en était fini.
C’est à ce moment-là, à la fin de la série de questions et réponses, dix minutes avant la fin de l’événement, que des camarades du Collectif de Soutien au Peuple Mapuche en France ont déployé une banderole de cinq mètres où l’on pouvait lire « LIBERTÉ AU PEUPLE MAPUCHE ». Piñera l’a lue à haute voix et a lancé: « les Mapuche sont plus libres que vous parce qu'ils ont une histoire! ». Comme si cela suffisait pour être libre!
Un dialogue forcé et tendu s’est imposé, dans lequel les camarades du Collectif lui ont rappelé les revendications du peuple Mapuche. Ils ont insisté sur les violations des Droits de l’Homme au Chili, en particulier concernant les Mapuche, l’utilisation des lois antiterroristes et de la justice militaire pour criminaliser la contestation sociale, les recommandations du groupe de travail du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies et la grève de la faim des 34 prisonniers politiques Mapuche.
À plusieurs reprises, face aux réponses embarrassées du président, les camarades du Collectif, très incisifs dans leurs revendications, mettaient à nu le caractère mensonger des propos du Président. Alors que celui-ci affirmait, avec le soutien de ses sénateurs, que la loi militaire ne s’applique pas aux militaires qui commettent des crimes contre les civils, les camarades n’ont pas oublié de lui rappeler que ceci était un mensonge
Après dix minutes avec la banderole dépliée et la conférence arrivant à son terme, nos camarades ont scandé, accompagnés par de nombreux étudiants, ce slogan qui, malheureusement, continue d’être d’actualité au Chili: « Liberar, liberar, al Mapuche por luchar !» (« Libérer, libérer, le Mapuche pour lutter! »).
Une fois l’action terminée, nos camarades ont pu se retirer tranquillement de l’Institut, recevant des encouragements solidaires et des regards complices des étudiants et professeurs de Sciences Po.

vendredi 22 octobre 2010

ARGENTINE/CHILI : GALVARINO APABLAZA NE SERA PAS EXTRADÉ

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GALVARINO APABLAZA GUERRA, HIER (21 OCTOBRE 2010)
DANS LES TRIBUNAUX, AVEC SON AVOCAT RODOLFO YANZON
la Commission nationale des réfugiés (Conare), organe interministériel argentin, a confirmé l’asile politique à Galvarino Apablaza, ancien dirigeant du Front Patriotique Manuel Rodríguez (FPMR), est accusé dans son pays de l’exécution du sénateur de droite Jaime Guzman, l’un des idéologues de la dictature de Pinochet.

PIÑERA, DERRIÈRE L'IMAGE

Pendant la dictature, il s'est construit, grâce à ses relations, le socle financier qui l'a placé parmi les 100 plus grandes fortunes du monde. Avec le drame des mineurs, il a su tirer à lui, au maximum, la couverture médiatique pour son profit politique et se faire ainsi connaitre dans le monde entier… Soyons beau joueur, et disons "bravo l'artiste!".

Sauf qu'il ne s'agit pas seulement d'un jeu. Derrière les images, subsistent des pans entiers de réalité, qu'elles voilent, qu'elles enfouissent, mais qu'elles ne peuvent détruire. Etudions un brin "l'artiste" de la vidéocratie en question. Comme Berlusconi, il avait acheté le principal club de football du pays, le seul d'ailleurs cent coudées au-dessus des autres. Mais à la différence de Berlusconi, une fois élu, il a vendu le club de football Colo Colo – nous dit-on. Plaisanterie. Il a transféré ses actions au père de sa belle fille.
Comme Berlusconi, il avait acquis une chaîne de télévision. Mais lui, au moins, a revendu Chile Vision à un consortium américain. Certes, il a ainsi respecté l'engagement qu'il avait pris avec le parti des pinochetistes (UDI). Mais tout le monde sait qu'il n'a aucun besoin de cette chaîne poubelle pour faire sa com… 90% des medias chiliens sont à sa botte. Et les actionnaires américains ne risquent pas de transformer Chile Vision en un media d'opposition. Autrement dit, il n'a pris aucun risque, et s'est seulement enrichi.


Mieux que Berlusconi, il avait acheté la compagnie aérienne nationale Lan Chile. Oui, mais là aussi, on nous raconte qu'une fois installé au palais de la Moneda, il a revendu ses actions. Encore un leurre. Il en a transféré un certain nombre et vendu d'autres, empochant au passage des sommes colossales. De plus, il aurait dû le faire avant d'entrer en fonction : le conflit d'intérêt saute aux yeux. Mais il a attendu que le prix des actions monte au maximum après le tremblement de terre. Sebastian Piñera reste un homme d'affaires et les affaires sont les affaires, même lorsque l'on arrive aux affaires.


Et les symboles restent les symboles. Il a invité les anciens présidents à l'église et à la parade militaire pour les fêtes du bicentenaire du Chili. Heureusement que Pinochet était mort, sinon il aurait été de la partie. En revanche, c'est le cas de le dire, dans ses beaux élans républicains, il a oublié d'inviter Michèle Bachelet à l'inauguration du centre cultural Gabriela Mistral, projet qu'elle avait initié et mené à bien du début à la fin…


Qu'importent ces détails, ne faut-il pas au moins le féliciter d'avoir augmenté les royalties sur les bénéfices des transnationales qui exploitent les mines au Chili ? Aujourd'hui on peut dire simplement que la taxation s'opérera dans une fourchette entre 4 % et 14 % du bénéfice et qu'ensuite elle sera définitivement fixée. Le Chili recevra, dans le meilleur des cas, 400 millions de dollars dans les cinq ans qui viennent, soit fort peu vu la masse de milliards produits par l'exploitation minière. En Australie, les royalties s'élèvent à 30 %. En Argentine, à 10 % du chiffre d'affaires, ce qui donne, avec un volume de production inférieur, 475 millions de dollars par an. Précisons aussi que Piñera et ses amis se sont toujours opposés à l'annulation de l'article de la constitution pinochetiste qui donnait à l'armée chilienne 10 % du bénéfice net de l'exploitation des mines de cuivre.


LE 11 SEPTEMBRE 1973


Sebastian Piñera affirme qu'il veut faire oublier l'image pinochetiste du Chili. Il le veut, mais ne le peut. Comment effacer de la mémoire collective les atrocités de la dictature ? L'humanité n'a aucun intérêt à l'amnésie. Pour paraphraser la conclusion du film de Patricio Guzman (Nostalgie de la lumière qui sort en salle le 27 octobre) : "Ceux qui ont une mémoire vivent sur la frange fragile du présent, ceux qui n'en ont pas ne vivent nulle part".


Les complices civils de la dictature, qui ont participé activement ou se sont tus, aimeraient que tout cela soit bien vite oublié, mais il doivent continuer à être dénoncés. Piñera gouverne avec l'extrême droite, qui voit en Pinochet un héros, il a nommé à des postes importants des gens qui devraient être en prison plutôt que représenter le peuple chilien. Un exemple parmi d'autres, celui d'Octavio Errazuriz, qui avait été nommé dans un premier temps par Piñera ambassadeur au Brésil. A cause de son passé au service du tyran, Lula ne l'a pas accepté. Tout au long de la dictature Errazuriz a défendu l'idée qu'il n'y avait ni torturés ni disparus au Chili. Piñera a fini par le nommer représentant du Chili à l'ONU.


Cela ne se dit pas sur les télévisions du monde entier, et pourtant, c'est la vérité. Des millions de Chiliens, de Français, d'Européens n'ont pas oublié et n'oublierons jamais l'autre "11 septembre", le 11 septembre 1973, et les presque deux décennies qui suivirent, les arrestations, les exils forcés, les tortures, les disparitions, les assassinats, et tous ceux qui s'en firent les complices. Piñera a été élu légalement président de la République chilienne. Personne ne conteste ce fait, et la légitimité qu'il lui donne. Il l'a été notamment par les pinochetistes qui l'avaient si bien servi. N'oublions pas ce fait, et l'illégitimité que serait l'enfouissement sept cents mètres sous terre de cette réalité.

Olivier Duhamel est l'auteur de Chili ou la tentative (Gallimard, 1974),

Teo Saavedra est l'auteur, avec Anne Proenza, du livre Les Evadés de Santiago (Seuil, 2010).
Olivier Duhamel, professeur des universités à Sciences Po, et Teo Saavedra, directeur du festival des Nuits du Sud

jeudi 21 octobre 2010

France / Chili: "partenariat stratégique"

A l'issue d'un déjeuner de travail à l'Elysée, les deux présidents ont publié une "déclaration conjointe" dans ce sens, constituant "une feuille de route de la relation franco-chilienne". Sarkozy et Piñera se sont notamment accordés sur "l'importance de disposer d'un système multilatéral efficace", de "réformer le Conseil de sécurité afin de le rendre plus représentatif", ou encore d'une "nouvelle architecture internationale" pour "un meilleur développement de toutes les régions du monde".
Autres points d'accord: un "appui" commun au processus de Copenhague (concernant notamment les forêts ou les questions de technologie), à une future organisation mondiale de l'environnement, à la lutte contre la pauvreté...
"La France entend associer étroitement le Chili, président du groupe de Rio (ndlr les pays d'Amérique latine et des Caraïbes) à la préparation du G20" dont elle prendra la présidence pour une année en novembre. " Les deux présidents se concerteront notamment sur les questions de volatilité des prix des matières premières et des financements innovants du développement", ajoute-t-on.
Sarkozy et Piñera ont décidé qu'un "point d'étape" serait fait "dans un délai d'un an pour juger de l'avancement des engagements retenus" dans la feuille de route. Le président chilien a également profité de sa visite pour offrir au chef de l'Etat un fragment de roche de la mine de San José, dans laquelle trente-trois mineurs ont été bloqués pendant plus de deux mois, à 600 mètres sous terre, avant d'être tous sauvés.
En outre, selon l'Elysée, Sebastian Piñera a offert au président Sarkozy le fac-similé d'un message daté du 22 août, griffonné en rouge par l'un des mineurs: "Estamos bien en el refugio, los 33" (Nous allons bien, les 33, dans le refuge). Ce bout de papier a été le premier contact établi entre les mineurs et l'extérieur.
Le premier ministre, Francois Fillon, a reçu le président chilien en fin de journée, à Matignon. Ils sont "convenus de tout mettre en oeuvre pour renforcer les relations bilatérales", notamment dans les secteurs de "l'énergie, de la défense et des transports", jugés "prioritaires", selon un communiqué de Matignon. Ils se sont également entendus pour "développer la coopération bilatérale" dans l'enseignement supérieur et la recherche.

mercredi 20 octobre 2010

Piñera : «Le sauvetage des mineurs a transformé le Chili»

Qu'avez-vous ressenti au moment du sauvetage ?
Ce fut une émotion indescriptible. Nous avons vécu dans l'angoisse jusqu'au jour où nous avons repéré les mineurs et décidé de tout tenter pour les sortir. Quand les ingénieurs m'ont demandé quel plan de sauvetage choisir entre l'américain, l'australien et le chilien, j'ai répondu : les trois ! Et c'est le chilien qui le premier a permis d'atteindre les 33.
Qu'attendez-vous de votre visite à Paris ?
La France a toujours été un pays très important pour le Chili. Cela remonte à la Révolution française et à l'influence culturelle de votre pays chez nous. J'entends resserrer ces liens historiques. Nous avons un accord de libre-échange avec l'Union européenne qui peut être encore amélioré. Avec la France des accords peuvent être conclus en matière d'énergies propres, de sciences, de technologie et de transports. Le séisme a fait plus de 500 morts. Les destructions sont évaluées à 30 milliards de dollars, ce qui représente 18 % de notre PIB. Les entreprises françaises jouent déjà un rôle très important mais celui-ci doit s'accroître. Cette reconstruction doit être pour le Chili un nouveau départ, une nouvelle opportunité qui nous permettra d'être le premier pays d'Amérique latine à vaincre la pauvreté.
Un coup d'État a frappé le Honduras en juin 2009 et un autre, le 29 septembre dernier, l'Équateur. La démocratie est-elle menacée en Amérique latine ?
Les ennemis de la démocratie sont nombreux : pas seulement les putschistes traditionnels, mais aussi le terrorisme, le narcotrafic, le populisme, la pauvreté, la démagogie. Quand nous avons appris cette tentative de coup d'État en Équateur, tous les présidents d'Amérique du Sud se sont réunis pour donner un appui unanime à la démocratie équatorienne. Le Chili a demandé l'introduction d'une clause dans le traité Unasur pour que tous les pays d'Amérique du Sud défendent la démocratie de façon efficace et pas seulement par de la rhétorique. Le président Correa m'a ensuite invité à venir en Équateur et je suis le premier président à m'être rendu dans ce pays après la tentative de coup d'État. Je voulais transmettre un message de soutien à l'ordre constitutionnel, à la démocratie et au gouvernement légitime de l'Équateur.

Le mineur bolivien Carlos Mamani va quitter le Chili

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Le chef d'Etat Bolivien ait fait le déplacement au Chili le 13 octobre 2010 pour assister à la sortie du mineur Carlos Mamani. Photo Alex Ibañez
Le chef d'Etat avait fait le déplacement au Chili le 13 octobre pour assister à la sortie de Mamani, coincé sous terre avec 32 mineurs chiliens pendant 69 jours. Mamani a été reçu avec sa famille par le chef de l'Etat pour un déjeuner au Palais présidentiel à La Paz. Selon le journal, il sera bientôt employé dans le département transports du groupe public d'hydrocarbures YPFB à Cochabamba, dans le centre du pays. Il devrait percevoir un salaire mensuel de 7.000 bolivianos (environ 720 euros), soit dix fois le salaire minimum dans le pays andin.

mardi 19 octobre 2010

Le président du Chili profite de la bonne image de son pays

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Le milliardaire conservateur Sebastián Piñera, a remis un morceaux de roche provenant de la mine San José au Premier ministre britannique David Cameron.
Sa venue avait été programmée avant l'éboulement qui a bloqué 33 hommes sous terre pendant soixante-neuf jours. Selon le quotidien, il a obtenu de nombreuses louanges de la reine Elisabeth et du Premier ministre David Cameron, auxquels il a remis des morceaux de roche provenant de de la mine.

Les mineurs chiliens auraient demandé à sortir avant d'être pris au piège

Carlos Vilches, un parlementaire de l'Union démocratique indépendante au pouvoir, membre d'une commission d'enquête sur les causes de l'accident, se base sur le témoignage de l'un des "33", Juan Illanes, recueilli à l'hôpital de Copiapo après son retour à l'air libre. "Il m'a signalé qu'ils ont commencé à entendre des bruits très forts à 11 h 00. Ils ont demandé à sortir mais on ne leur a pas donné l'autorisation. Ils pensent que les propriétaires et les gérants ont commis une négligence", a déclaré le député cité mardi 19 octobre par le quotidien La Tercera. "Les conditions et les risques étaient connus, mais ces messieurs ont fait comme si de rien n'était (...) La raison commandait de faire sortir" les mineurs, a-t-il ajouté.
Les "33" ont passé 17 jours sans nouvelles du monde extérieur, quasiment sans manger ni boire, avant d'être repérés par une sonde le 22 août et d'être libérés le 13 octobre au terme d'une opération de sauvetage spectaculaire qui a coûté plus de 10 millions de dollars et captivé le monde entier. L'accident a relancé le débat sur les conditions de travail et de sécurité au fond des mines.

Sebastian Piñera : "Le Chili n'est plus le même"

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Le milliardaire conservateur Sebastián Piñera, Président de la République du Chili, s'était rendu à Londres, où il a été reçu par la reine Elisabeth. Il a remis un morceaux de roche provenant de de la mine. Photo Presidencia de la República de Chile


En visite officielle de quarante-huit heures, Sebastian Piñera sera reçu par le président Nicolas Sarkozy avec qui, a-t-il expliqué au cours d'une interview accordée au Monde, il entretient "une amitié de longue date". Il confie "admirer" le président français qui, avec le premier ministre britannique, David Cameron, "sont des leaders qui ont rénové le centre droit traditionnel, et proposé de nouvelles solutions pour résoudre de vieux problèmes". Il se reconnaît dans "leur force de caractère, leur cohérence et leur courage".
Evoquant la crise sociale en France, il ajoute que "évidemment le président Sarkozy peut parfois se tromper, mais c'est au peuple français de juger".
Il commente son leadership pour retrouver les mineurs de San José "enterrés sous des tonnes de roches, à 700 mètres sous terre". "Le jour même de l'accident, raconte le chef de l'Etat, quand le gouvernement a réalisé la gravité de la situation et qu'il a su que l'entreprise privée était dans l'incapacité d'organiser un sauvetage, je me suis engagé à faire tout ce qui était nécessaire, d'abord pour les retrouver, ensuite pour les sauver."
"Ce qui semblait une mission impossible s'est transformé en une victoire de la foi et de l'espérance sur l'angoisse et le pessimisme. C'est aussi le triomphe de l'excellence et du compromis", poursuit-il. "Plusieurs chefs d'Etat m'ont assuré que, dans beaucoup de pays, on se serait contenté de mettre 33 croix pour commémorer la mort des mineurs", ajoute M.Piñera.
FAIRE "LES CHOSES À LA CHILIENNE"
Il assure que le président Obama lui a confié qu'aux Etats-Unis ses conseillers lui demandent désormais de faire "les choses à la chilienne". "Le Chili n'est plus le même. C'est un pays plus uni, plus fort, avec davantage de confiance en lui-même, mais aussi plus respecté sur la scène internationale." M. Piñera confesse "être motivé par les défis". Il note avoir assumé la présidence, en février, "dans l'adversité, cinq jours après une autre tragédie : un séisme dévastateur, suivi d'un tsunami, qui a détruit un tiers des écoles, des hôpitaux et des ponts, et anéanti plus de 250000 logements".
Le chef de l'Etat promet la même "efficacité" pour résoudre les problèmes du Chili que celle appliquée pour sauver les mineurs. Interrogé sur les inégalités sociales, il qualifie ses objectifs de "plus ambitieux" que ceux de la coalition de centre gauche qui a dirigé le pays pendant vingt ans.
Le chef de l'Etat ne se prive pas de critiquer le gouvernement précédent de la socialiste Michelle Bachelet : "La pauvreté avait diminué entre 1990 et 2006, mais, au cours des trois dernières années, loin de baisser, elle a de nouveau augmenté, passant de 13,7% à 15,1%. Entre 2006 et 2009, 500 000 personnes sont devenues pauvres." La croissance, dit-il, "avait chuté en 2009 avec une perte de 30 000 emplois et une baisse de 15% des investissements. Cette année, la croissance atteindra 6,5%, les investissements vont augmenter de 25%, et nous allons créer 300 000 postes de travail." Sebastian Piñera propose de faire du Chili, avant la fin de la décennie, "un pays développé, sans pauvreté, qui garantit la sécurité, l'égalité des chances pour tous et un niveau de revenu équivalent à ceux des pays du sud de l'Europe, tels le Portugal, l'Espagne ou la Grèce".
Le président chilien définit son style de gouvernement en une formule lapidaire : "Faire les choses bien, avec un souci d'urgence, de façon transparente et honnête." Interrogé sur le sort des Mapuche, les Indiens du sud du Chili qui revendiquent les terres de leurs ancêtres confisquées par la dictature du général Pinochet, M. Piñera annonce deux mesures : "Une réforme urgente de la Constitution reconnaissant les droits des peuples 'originaires'."
La seconde mesure, qu'il compare au plan Marshall, favorisera le développement économique des communautés mapuche et la reconnaissance de la propriété de la terre. "J'ai toujours été un amoureux de la France, conclut le chef de l'Etat, rappelant que son père est né en France en 1917, quand les bombes tombaient sur Paris." "J'étais à Paris pendant les événements de Mai 68, précise-t-il en souriant, émerveillé par les consignes des étudiants qui prônaient l'imagination au pouvoir."
Avant Paris, M. Piñera s'était rendu à Londres, où il a été reçu par la reine Elisabeth et le premier ministre, M. Cameron. Il terminera sa première tournée en Europe par une étape à Berlin.
Christine Legrand