samedi 13 août 2011

CHILI : "UNE RÉVOLUTION DE CLASSE MOYENNE"

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"Rien n'est gratuit dans la vie"

"On aimerait tous que l'éducation, la santé et plein de choses soient gratuites pour tous (...) mais au bout du compte, rien n'est gratuit dans la vie et quelqu'un doit payer", leur a répondu le président chilien Sebastian Piñera jeudi 11 août.

L'ancien entrepreneur, multimillionnaire, a cependant annoncé la création d'une "Agence pour la qualité", dotée de 40 millions de dollars, chargée d'assurer des "standards minimum", dans un système éducatif très inégal en qualité.

Il a également indiqué que deux projets de loi, pour le rééchelonnement de la dette de 110.000 endettés pour payer leurs études, et un autre pour baisser le taux des crédits étudiants, à ce jour plus chers que les crédits bancaires classiques, seront soumis au Parlement.

Il a enfin affirmé que l'Etat planche sur un mécanisme qui verrait les municipalités -en charge des écoles publiques depuis les années 80- déchargées de cette responsabilité en cas de manquement à un niveau minimum.

Les étudiants ne désarment pas

Largement insuffisants pour les étudiants, qui prévoient une nouvelle journée de manifestations le 18 août.

Ils ont récemment reçu le soutien des Anonymous, ce groupe de hackers politisés, notamment popularisés pour leur participation aux révolutions arabes.

Dans un communiqué transmis au "Nouvel Observateur", les Anonymous disent "défendre le droit d'accès à la connaissance et à l'éducation pour tous les humains" et invitent les citoyens chiliens "à rester dans les rues" pour faire plier le gouvernement. "Le Chili n'est pas seul dans son combat. Nous, les Anonymous, nous battons à vos côtés", affirment-ils.



Un mouvement plus large

Ce mouvement de colère s'étend aussi à bien davantage de Chiliens, qui s'agacent de ne pas surnager dans une économie pourtant "performante" (croissance de 8% sur 2011).

"On vit une révolution de classe moyenne; des gens qui ont leur enfant à l'université, mais sont asphyxiés de dettes, et qui commencent à s'interroger sur le sens de la vie", analyse pour l'AFP le sociologue et ancien conseiller présidentiel Euguenio Tironi.

"Cela rappelle Mai 68 (en France), quand ce sont les fils de la bourgeoisie qui descendirent dans la rue".

Les conversations au bureau, de voisinage, sur les réseaux sociaux traduisent un soutien au mouvement étudiant, et au-delà de l'éducation, interrogent un modèle qui ne satisfait plus assez de monde.

"Depuis le retour de la démocratie (en 1990), le Chili a avancé sur une voie de développement mais d'une intégration sociale insuffisante. Beaucoup sont parvenus sur la rive, face à la Terre promise de la classe moyenne, mais sans pouvoir franchir la rivière", diagnostique le sociologue Patricio Navia, qui soutint en 2010 l'alternance à droite avec Sebastian Piñera.

"Une ségrégation obscène"

Le système éducatif à deux vitesses, où la qualité de l'enseignement est intimement liée aux ressources, freinant de fait l'ascenseur social, est le produit du "modèle" chilien depuis les années 80, jugent ses critiques.

"Même dans ses rêves, le Tea Party n'a jamais imaginé un pays comme celui qu'ont dessiné nos Chicago Boys (les économistes libéraux qui entouraient Pinochet): charge fiscale au plus bas, Etat minimisé, dérégulation quasi totale", résume Mario Waissbluth, un observateur respecté de l'éducation au Chili.

Résultat: de même que la croissance record (5% sur 25 ans) masque de criantes inégalités, le Chili a le meilleur PISA (test scolaire international) d'Amérique latine, mais "une ségrégation obscène en terme de résultats, ou de composition sociale des écoles et universités" note-t-il.

Sans renier une offre public-privé, il faudrait que le pouvoir dise : "nous allons sauver l'éducation publique, coûte que coûte", plaide Mario Waissbluth, qui a été reçu mercredi au ministère pour exposer ses vues sur une sortie de crise.