Piñera, alors en pleine campagne présidentielle, s’était engagé le 10 novembre 2009 lors d’une rencontre au Círculo Español de Santiago devant quelques 500 militaires retraités, à contribuer à ce que les jugements pour violations des droits de l’Homme ne s’ « éternisent » pas et à faire en sorte que s’applique le principe de prescription des délits (2). Pour les militaires en retraite, l’engagement du candidat à la présidence de la République était le premier pas, en cas de victoire de Piñera, pour qu’au moins un groupe de condamnés puissent recevoir des bénéfices de peine (3).
Peu après l’arrivée au pouvoir de Piñera, les militaires en retraite ont commencé à faire pression pour que le nouveau gouvernement tienne ses promesses. Seulement une semaine après avoir été nommée Directrice du Programme de Droits Humains du Ministère de l’Intérieur, l’avocate Rossy Lama Díaz s’est réunie avec les anciens membres de l’armée. L’ex conseillère rattachée à la Cour de Santiago Centre-Nord, Ouest et Est, a du admettre, devant une séance de la Commission des Droits de l’Homme de la Chambre des Députés, qu’elle avait eu une rencontre avec les militaires en retraite afin d’ « examiner », la manière avec laquelle le gouvernement agirait avec les cas des oppresseurs qui ont été amenés devant la justice pour leurs crimes commis pendant la dictature du général Pinochet.
Les agissements de Rossy Lama, tout comme ceux de Piñera ont été minutieusement observés par les organisations humanitaires, qui soupçonnaient le gouvernement de préparer le terrain à l’application de mesures visant à favoriser les 782 ex oppresseurs qui sont passés par les tribunaux de justice. Parmi ceux-ci, seuls 210 ont reçu des peines ratifiés par la Cour Suprême et à peine 64 purgent des peines effectives d’emprisonnement dans des prisons spéciales comme celles de Punta Peuco ou Cordillera à Peñalolén. Durant leurs jugements et au moment des verdicts, quelques 145 ex agents ont reçu des remises de peine. Dans de nombreux cas, leurs condamnations à la prison ont été remises. Les 64 détenus dans leurs prisons spéciales (cités plus haut) sont condamnés pour des délits d’exécutions sommaires, c’est-à-dire des disparitions forcées de personnes et des tortures ; ce sont des délits de crime contre l’humanité qui, selon les traités internationaux que le Chili a signés, sont imprescriptibles et non sujets à amnistie.
Voici le problème face auquel s’est retrouvé Piñera, lorsque le 21 juillet dernier, la Conférence Épiscopale chilienne emmenée par l’évêque Alejandro Goic, a présenté sa proposition « Le Chili, une table pour tous pour le Bicentenaire » (4). Dans celle-ci, était ouverte la possibilité pour le gouvernement de présenter un projet d’amnistie qui favoriserait certains oppresseurs impliqués dans des faits de sang. Une proposition similaire avait déjà été esquissée au milieu de l’année 2009. Les évêques voulaient la présenter à la Présidente d’alors Michelle Bachelet, mais l’initiative fut écartée puisse qu’elle coïncidait avec la période de campagne électorale présidentielle déjà entamée.
Cette fois, cependant, les militants de la droite la plus compromise avec la dictature militaire à travers des ex-militaires en retraite, ont bien vu que c’était le bon moment pour faire pression afin d’obtenir des bénéfices pour les anciens oppresseurs. Des dirigeants comme Hernán Larraín et José Antonio Kast de la UDI *, ainsi que Carlos Larraín et Cristián Monckeberg de RN **, ont tout de suite appuyé l’idée « de ne pas distinguer les civiles des militaires », pendant qu’à l’intérieur de la droite, comme la Sénatrice Lily Pérez, des voix contraires se faisaient entendre. De leur côté, les organisations de défense des Droits de l’Homme et les partis d’opposition se sont élevés contre une éventuelle grâce pour les anciens militaires impliqués. En plein milieu du débat, la Cour Suprême a émis son arrêt définitif concernant les assassins du Général Prats et son épouse Sofía Cuthbert à Buenos Aires. Le verdict judiciaire n’a pas seulement délivré les peines pour les plus importants chefs de la DINA***. Elle a en plus, fait inédit, signalé que cette organisation répressive était une association illicite formée au sein de l’Armée pour commettre des crimes.
La touche finale a été donnée par l’Armée elle-même qui a « répudié » les militaires impliqués dans le crime de l’ex-chef militaire. Ceux –ci ont commis cet assassinat « lâche » qui porte l’empreinte digitale de Pinochet à travers la création par décret signé de lui-même de cette association illégale.
Ainsi, en seulement deux jours, et avant de connaître la proposition de l’Église Catholique et postérieurement celle des évangélistes, il a paru très clair que ces événements n’ont laissé aucun espace politique pour une grâce générale pour les ex-agents de la dictature.
« Je suis arrivé a la conviction qu’il n’est ni prudent, ni opportun dans les circonstances actuelles de promouvoir une nouvelle loi de grâce générale » a déclaré Piñera dans son discours du 25 juillet. Dans cette inetrvention, il a également précisé qu’il se réserverait la faculté personnelle d’accorder des grâces particulières « mais sous forme très prudente et réduite » comme le lui permet la Constitution.
Lorena Pizarro, Présidente du Rassemblement des Familles des Détenus Disparus (AFDD en espagnol) a soupçonné le gouvernement de Piñera de ne pas avoir enterré totalement sa volonté d’attribuer des bénéfices aux anciens oppresseurs. Pour les familles des victimes, l’impunité est un danger latent et un champ de lutte dans lequel tout n’a pas encore été dit.
1. Discours du Président Sebastián Piñera , 25 juillet 2010, www.presidencia.cl
2. El Mercurio, 11 novembre 2009
3. La Tercera, 11 novembre 2009
4. Voir le texte : www.iglesia.cl
5. Discours du 25 juillet consultable sur : www.presidencia.cl
* Unión Demócrata Independiente, parti de droite-extrême droite, liée au Pinochetisme, et à l’Opus dei
** Renovación Nacional, parti de droite de Piñera
*** Dirección de Inteligencia National : police secrète du régime militaire de Pinochet crée pour réprimer, briser et éliminer tout élément subversif au régime (membres de l’opposition au chili ou en exil)
Traduction : LB