samedi 25 septembre 2010

Les 33 mineurs chiliens : un filon pour le pouvoir

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Le milliardaire conservateur Sebastián Piñera, Président de la République du Chili, lors d'une énième opération de communication dans la mine San José de Copiapo nord du pays. Photo Alex Ibañez
Lançant la semaine dernière les cérémonies du bicentenaire de l'indépendance, le chef de l'État a déclaré que «plus que 1000 mots, les mineurs représentent l'unité et la trempe de ce peuple». Puis il est venu sur la mine San José dialoguer avec ces hommes qu'il a élevé au rang de héros de la nation.
Le pays ne peut cependant pas oublier le tremblement de terre d'une magnitude de 8,8 du 27 février dernier, et le tsunami qui s'ensuivit. Ces deux événements tragiques sont survenus alors que Piñera s'apprêtait à entrer en fonction, ce qui l'avait conduit à promettre: «Je ne serai pas le président du tremblement de terre, mais celui de la reconstruction.»
Las! Après six visites dans la région du Biobio sinistrée, le chef de l'État chilien a changé de plan média. Pour la première fois, mardi 14 septembre, une manifestation spontanée a réuni des habitants de Concepcion, exaspérés par l'oubli présidentiel qui s'installe et par la lenteur des travaux dans leur ville, située à l'épicentre d'un séisme qui fit plus de 500 morts et a jeté 250.000 personnes sous des abris de fortune. Les dégâts ont, eux, été chiffrés à 24 milliards d'euros.
Trente mille cabanes
Dans la deuxième ville du pays, les stigmates causés par le cataclysme sont toujours visibles. L'artère principale de Concepcion est partiellement fermée, car des buildings menacent de tomber. Sept d'entre eux n'ont pas été détruits dans un centre-ville où manquent nombre de bâtiments de tailles plus modestes.
Dans sa mairie, qui n'a pas encore été entièrement réhabilitée, Patricio Kuhn espère seulement parvenir à rétablir la circulation d'ici à décembre. La destruction des buildings est un problème qui le dépasse. «C'est une opération complexe, dit l'édile, son coût est très élevé, il faut attendre le règlement des conflits entre propriétaires et locataires, et que le projet de loi sur la reconstruction soit voté.»
Le gouverneur de la province, l'équivalent d'un préfet nommé par le gouvernement, veut, lui, se satisfaire qu'un abri de fortune ait été livré à toutes les personnes ayant perdu leur logement. Trente mille cabanes en bois ont été construites dans la région du Biobio. La sécurité est également revenue, plaide Carlos Gonzalez. Nombre des pillards, qui avaient dévasté les grandes surfaces et magasins les jours suivant le séisme, ont été arrêtés. Les peines prononcées lors des premiers procès ont été dissuasives. «On a peu à peu récupéré sur les trottoirs des télévisions, des frigidaires et des gazinières en parfait état. On a pu en remplir un gymnase entier.» Voilà, conclut le gouverneur Gonzalez, «la phase d'urgence est terminée, nous allons pouvoir passer à la phase de reconstruction».
Une cinquantaine de kilomètres plus loin, Gaston Saavedra, le maire de Talcahuanau, une ville en bord de mer dévastée par le tsunami qui a terminé l'œuvre du tremblement de terre, s'en étrangle presque. «Mais c'est faux, les gens sont toujours dans une situation d'urgence!», s'exclame cet élu, en couvrant les bruits de marteaux des ouvriers s'affairant à la construction de sa nouvelle mairie. «Les pêcheurs, les commerçants, les restaurateurs, tous ceux qui vivaient de la mer, ont perdu leurs travail, et vivent toujours au jour le jour.»
Un pays très centralisé
Sur sa commune, le sort des anciens habitants de la crique El Morro est, de fait, des plus précaires. La vague a emporté 60 maisons et détruit les 140 autres bicoques où vivait cette communauté de pêcheurs. Ces marins ont été relogés plus haut sur la colline dans un camp constitué par ces fameuses cabanes. «Nous, on vit à trois, avec un lit pour deux personnes», explique Luis Vasques, qui montre l'unique petite pièce de sa nouvelle demeure.
Il a obtenu de la Croix-Rouge une table, un minuscule poêle, quelques couvertures, deux casseroles. «Avec du bois de récupération, j'ai agrandi la cabane», explique-t-il, en montrant le mètre carré gagné, protégé par une bâche. Son souhait est de retourner dans son ancienne crique, pour reprendre la pêche. Il a toutefois compris que les autorités n'autoriseront pas des reconstructions dans un lieu qui sera, un jour ou l'autre, à nouveau dévasté par un tsunami. «Mais alors qu'on nous dise où on veut nous donner une maison», s'insurge Luis, qui a déjà passé un hiver à grelotter.
Luis Vasques ne sait pas exactement à qui se plaindre. Mais au Chili, pays plus centralisé que la France, les critiques finissent toujours pas remonter à la présidence. «Il n'y a pas de décentralisation ici, explique la politologue Paulina Pinchart, qui enseigne à l'université de Concepcion. «Comme les maires n'ont pas d'argent, et qu'à Santiago ils ne comprennent pas la dimension du drame, la reconstruction n'avance pas.»
Sebastian Piñera, dont la cérémonie d'investiture a été écourtée par une réplique de très forte magnitude, doit pourtant savoir que son mandat restera à jamais lié au tremblement de terre. C'est en partie injuste. Michelle Bachelet, qui était encore présidente au moment du séisme, a très mal géré ce dossier les toutes premières semaines. Mais cette femme socialiste, qui risque fort de se représenter dans quatre ans, n'est pas associée à ce drame, et jouit d'une incroyable côte de popularité dans le pays.
Homme d'affaires parmi les plus puissants du Chili, Sebastian Piñera venait de reprendre le pouvoir à la gauche qui l'accaparait depuis la chute de la dictature de Pinochet, il y a vingt ans, quand, un coup du sort, de très forte amplitude, a soudain chamboulé son avenir politique et celui de la droite chilienne.