Carte postale du Cabinet Heitmuller et Pagnard, Traiguen Chili. Écrit à la main au verso : "Indienne portant un enfant». Publié chez Flickr par ookami_dou
D'après nos faiseurs d'opinion en ligne, et en particulier sur Twitter, la maigre couverture médiatique du conflit mapuche (notamment la grève de la faim de 32 d'entre eux depuis le 12 juillet dernier) serait liée à la censure et au bâillonnement de l'information.
Les théories du complot sont souvent séduisantes, mais dans l'immense majorité des cas –et je suis bien placé pour en parler-, là où le spectateur soupçonne manoeuvres ou censure, il n'y a bien souvent que des facteurs bien plus pragmatiques. Et pour cette raison, j'ose soutenir que le peu d'intérêt des médias pour ces grévistes de la faim est à mettre au compte d'une pratique bien plus affligeante, déplorable et inquiétante qu'une censure préméditée : l'indifférence, tout simplement… Ou autrement dit, et peut-être plus familièrement : la flemme.
Le sujet n'est pas vendeur. Le sujet est “inesthétique” et “pas vraiment glamour”: il n'est pas aussi "mignon" que celui des dauphins et des petits pingouins de Punta de Choros [réserve nationale de pingouins au nord-ouest du pays menacée par un projet de centrale thermique].
C'est plus cool de manifester sur le Paseo Ahumada [une des artères principales de Santiago du Chili] pour la défense des pingouins et des dauphins que pour celle des Mapuches. Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est le cortège promapuche, que je ne vois toujours pas défiler dans les rues de la capitale. Pour toutes ces raisons, il n'y a pas lieu de parler d'information muselée ou de complot antimapuche. Il n'en est rien. Cette histoire sans happy end n'intéresse simplement personne, contrairement à celle des mineurs [depuis le 5 août, 33 mineurs sont bloqués dans un puits du nord du pays] ou des pingouins. L'absence de visibilité médiatique des Mapuches ne date pas d'aujourd'hui. Elle est le fruit d'un long processus historique qui a poussé le plus emblématique de nos peuples indigènes à en être réduit à la violence et à l'illégalité. Et ce phénomène est désormais intégré par la société civile aux cheveux les plus clairs et aux noms de famille étrangers, qui ne cherche pas vraiment à le remettre en cause.
Et ce qui est intéressant ici, c'est que le mouvement sur Twitter, qui critique les médias pour leur couverture du conflit mapuche, se comporte en fait de la même manière que ces derniers, et – très probablement – pour les mêmes raisons.
Cette masse qui maîtrise les outils de communication et ne connaît pas les contraintes de l'audiovisuel n'a pas non plus fait grand chose hormis dénoncer, en 140 caractères, le silence ou l'indifférence des médias. Leurs phrases sont vigoureuses et leurs discours enflammés, mais, au-delà, rien n'est réellement comparable avec le caractère spectaculaire du mouvement anti-Barrancones [du nom du site choisi pour l'installation d'une centrale thermique]. Je parierais même que cet article comptabiliserait beaucoup plus de clics sur la Toile si la fenêtre affichait "Punta de Choros" au lieu de "Mapuches".
Franco Ferreira est journaliste à Television Nacional de Chile (TVN, chaîne nationale chilienne)